vendredi 1 novembre 2019

JOSEPH KABILA PEUT-IL A NOUVEAU CANDIDATER POUR LA PRESIDENTIELLE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO ?

Par Charles-Mugagga MUSHIZI
Avocat à la Cour
Directeur du CERJI (Centre d’Echanges pour des
Réformes Juridiques et Institutionnelles)
+243810516908 -  +243854235269

A l’état actuel de la législation, la réponse est indiscutablement « oui ! »

Depuis plusieurs semaines, la question de savoir si oui ou non Joseph Kabila demeure fondé de candidater à nouveau comme président de la République fait couler ancre et salive. Cette question préoccupe des juristes, des scientifiques (universitaires même), des politiques congolais et même des professionnels des médias. Le « non » dominant qui y est constamment réservé au titre de réponse me semble plutôt « réactionnaire ». Pour moi, cette réponse ressort d’une sorte d’attitude plutôt récriminatrice à l’endroit de Joseph Kabila. Elle est très probablement justifiée par les résultats largement négatifs de mandats que celui-ci a passés à la tête de la République démocratique du Congo (RDC) de manière ininterrompue depuis 2001 jusqu’à 2018.

Il y a certes cette récrimination qui est socialement et même politiquement compréhensible, mais il y a surtout en toile de fond des analyses basées sur une interprétation incomplète, incorrecte même, des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 70 de la Constitution de la RDC au sens desquelles « le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ».

Je note que les dispositions ci-dessus, rapprochées de celles de l’alinéa 6 de l’article 104 de la même constitution au sens desquelles « les anciens présidents de la République élus sont de droit sénateurs à vie » font affirmer ces juristes, scientifiques, politiques et professionnels des médias qu’après son deuxième mandat, l’ancien président de la République ne peut plus, de toute sa vie, postuler à nouveau.

Sans préjudice d’une interprétation écrite du juge (en l’occurrence de la cour constitutionnelle), une telle interprétation n’est soutenable que dans les limites de l’esprit de la constitution et de la loi N°18/021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs de corps constitués.

Aussi, je me permets de rappeler qu’en droit positif la force contraignante de loi (au sens général) ne réside pas tant dans son esprit que dans ses dispositions écrites (son préambule ou son exposé des motifs ainsi que ses articles).

Voilà pourquoi j’estime que de cette mauvaise interprétation découlent les deux accessions totalement contradictoires ci-dessous :
¬        D’une part, elles tendent à affirmer qu’aucun ancien président de la république ne peut plus jamais se représenter pour un nouveau (deuxième) mandat même lorsqu’il n’en a fait qu’un seul puisqu’il sera entretemps devenu sénateur à vie ; et
¬        D’autre part, elles insinuent que tout ancien président de la République, devenu sénateur à vie, ne peut de toute sa vie avoir droit à un autre (troisième éventuellement) mandat à cause de son droit viager de sénateur.

Au le plan strictement juridique, ces deux assertions, qui sont des conséquences de cette lecture combinée des dispositions constitutionnelles, sont fausses, notamment lorsqu’elles sont confrontées aux dispositions des articles 110 et suivants de la même constitution qui sont relatives à « la fin du mandat de député national ou de sénateur ».

Elles sont d’autant fausses, tout au plus incorrectes, du fait qu’au regard des dispositions de la « loi N°18/021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs de corps constitués », il n’est expressément de restriction sur cette question aux anciens présidents de la République.

On note, par exemple, que sans préciser qu’il s’agit des sénateurs élus ou non, l’article 110 de la constitution dispose entre autres que « le mandat de député national ou de sénateur prend fin par (…) démission », c’est-à-dire par « un acte à travers lequel on renonce à une fonction ou à un mandat[1] ».

En effet, la loi N°18/021 du 26 juillet 2018 qui devait constituer un important levier pour dénouer ce débat se limite à dire à son article 1er notamment qu’elle « fixe le statut des anciens présidents de la République élus, (…) détermine les règles spécifiques concernant leurs droits et devoirs, (…) le régime de leurs incompatibilités, leur statut pénal ainsi que les avantages leur reconnus (…) ».

La lecture des dispositions de cette loi qui sont relatives aux obligations d’anciens présidents de la République élus ne renseigne strictement pas non plus sur le caractère contraignant ou non contraignant du mandat viager de ces derniers lorsqu’ils deviennent sénateurs à l’issue de leur mandat de chef de l’Etat.

Les conclusions, au plan juridique, deviennent aisées : « ce qui n’est pas interdit est permis », « ubi lex no distinguere, non distinguere debe mus », « ubi lex noluit taquit ». On peut ajouter à ces conclusions que ni le constituant ni législateur n’ont assorti leurs dispositions des sanctions particulières à l’égard d’anciens présidents de la République qui iraient à l’encontre de leurs prescriptions.

Je note par ailleurs que le constituant de 2006 ainsi que le législateur de 2018 ont simplement voulu faire de ce droit viager un « droit purement personnel » auquel les anciens présidents de la République peuvent renoncer à volonté, notamment par démission, lorsqu’ils désirent solliciter un nouveau mandat présidentiel.

Pour pas que la prochaine candidature du « président honoraire de la République[2] », Joseph Kabila soit donc déclarée recevable et fondée, la loi N°18/021 du 26 juillet 2018 et même la constitution de la RDC devraient assortir ce droit de quelques contraintes allant notamment dans le sens d’interdire toute possibilité de renonciation au mandat viager du sénateur à vie.

Dans le cadre de ces contraintes, l’article 110 de la constitution devrait faire une nette différence entre le régime appliqué aux députés nationaux, aux sénateurs élus et aux sénateurs à vie en créant un régime spécial pour ces derniers. Ce régime spécial devrait ainsi consacrer le caractère non dérogeable par ses bénéficiaires.

Il n’y a qu’avec cette restriction que les présidents honoraires de la République ne pourraient plus jamais revendiquer le droit à un nouveau mandat constitutionnel de président de la République, de député national, de député provincial, de sénateur, de gouverneur de province, de bourgmestre, de conseillers communaux, d’échevins, etc.

Il me semble donc que seule la réforme de l’actuelle constitution de la RDC ainsi que de la loi N°18/021 du 26 juillet 2018 dans le sens indiqué ci-dessus constitue la seule voie pour parer à toute éventuelle future candidature du concerné.


[1] Lexique des termes juridiques, 21ème édition, Dalloz-Campus, p. 313.
[2] Expression consacrée par la loi N°18/021 du 26 juillet 2018
_________________________________________

L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...