I. INTRODUCTION
Dans le cadre du Programme de Développement du Secteur des Médias en
République démocratique du Congo, les organisateurs de la présente rencontre
m’ont convié d’échanger avec vous autour du thème suivant : « Le droit
d’accès à l’information : Champ d’application, bénéficiaires et principes».
Ce thème me semble être d’une importance indéniable et d’un caractère
plus qu’actuel particulièrement pour un pays comme la République démocratique
du Congo qui, depuis le début des années 1990, s’évertue à se muer en une
démocratie, à promouvoir les libertés fondamentales et à fonder sa gestion sur
la transparence et la redevabilité à tous les niveaux.
Le droit d’accès à l’information est l’un de principaux pivots autour
desquels se construisent tous les systèmes de gouvernance fondés sur la
transparence et la redevabilité de tous les responsables, quel que soit leur
domaine d’intervention.
On peut bien conclure d’ailleurs que c’est pour les raisons ci-dessus que
le constituant a inséré ce droit dans le Titre II de la Constitution, loi des
lois, qui est relatif aux « droits humains, libertés fondamentales et
devoirs du citoyen et de l’Etat ».
Au sens de la Constitution, le droit d’accès à l’information est ainsi un
droit humain, une liberté fondamentale et un devoir du citoyen, entendu de tout
gestionnaire de pouvoir, quelque qu’en soit le niveau. Il est aussi un devoir,
une obligation qui incombe à l’appareil étatique, en cela qu’il doit en tout
temps être protégé au titre de droit humain et de liberté fondamentale.
II. LA BASE JURIDIQUE DU DROIT D’ACCÈS À L’INFORMATION
Parler de la base juridique du droit d’accès à l’information revient à
expliquer les soubassements, mieux les dispositions du droit international,
régional et national qui prévoient et qui protègent ce droit.
On trouve, en effet, dans l’arsenal juridique élaboré par les Nations
Unies, l’Union Africaine, les regroupements régionaux d’Etats et dans la
législation congolaise un nombre considérable des principes énoncés autour du
droit d’accès à l’information.
1. Les instruments juridiques des Nations Unies
La notion de « liberté de l’information » a été
reconnue très tôt par l’ONU. En 1946, durant sa première session, l’Assemblée
Générale des Nations Unies a adopté la résolution 59, qui affirmait que :
« La liberté de l’information est un droit fondamental et la pierre de
touche de toutes les libertés à la défense desquelles se consacrent les Nations
Unies »[1].
Quelques mois plus tard la Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme (DUDH)[2] a été adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée Générale des Nations
Unies à San Francisco, en Amérique.
Ce texte, de portée générale a toujours été
considéré comme le texte qui a balisé, au XXème siècle, le fondement le plus
solide des droits de l’homme au plan international, au sein des Etats et entre
les Etats.
Plusieurs de ses dispositions consacrent le droit
d’accès à l’information. Les plus importantes de ces dispositions sont celles
de son article 19 qui stipule notamment que « Tout individu (…) de
chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
Bien qu’il y ait plus d’une source juridique de référence, pour ce qui
est des textes élaborés par les Nations Unies, nous allons nous limiter à
l’examen de deux instruments importants qui nous paraissent plus spécifiquement
axés sur la question qui fait objet du présent échange.
Il s’agit, d’une part du document appelé « Principes directeurs pour le développement et la promotion de
l'information du domaine public gouvernemental », qui a été élaboré par
l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture
(UNESCO) à Paris, en 2004[3] et,
d’autre part, l’ « Observation générale N° 34 » formulée par le
« Comité des droits de l’homme » des Nations Unies lors de sa 102ème
session tenue à Genève du 11 au 29 juillet 2011.
Le premier document, bien que faisant recours à une
expression qui pourrait se révéler limitative, parle de l’accès à
« l'information du domaine public gouvernemental ».
Plus largement cependant, il fait référence aux
dispositions de l’article 19 et à celle de l’article 27 de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) qui sont relatives à la liberté
d’expression en général et du droit du public à l’information.
En effet, en vertu de l'article 19 de la DUDH, le
droit à la liberté d'opinion et d'expression implique celui de chercher, de
recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et
les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.
Et son article 27 garantit le droit pour tous
citoyen de prendre part librement à la vie culturelle de sa communauté, de
participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent, notamment
par l’accès à l’information, je dirai plutôt à l’information tirée de la formation,
notamment scientifique.
C’est dans ce sens que ce document affirme entre
autres que « l'un des buts suprêmes de toute société œuvrant au
développement humain est de rendre chacun de ses citoyens maître de son destin
en lui donnant les moyens d'accéder à l'information et aux connaissances et de
les utiliser ».
L’accès aux connaissances et l’utilisation de ces
dernières peut être formalisé dans un système d’enseignement, de recherche
scientifique. Il peut aussi être a-formalisé et consister en de simples
mécanismes administratifs et en des dispositifs moins rigoureux qui facilitent
l’accès à l’information, quelle qu’elle soit, tant qu’elle recèle une certaine
utilité pour la personne qui la recherche.
Le deuxième document se base aussi sur les
dispositions de l’article 19 de la DUDH. Mettant le citoyen au centre du droit
d’accès à l’information, il réaffirme le principe universel selon lequel
« La liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions
indispensables au développement complet de l’individu ».
Pour ce document, ces deux libertés sont
essentielles et constituent le fondement de toute société libre et
démocratique, en cela qu’elles battent en brèche la gestion opaque et la
culture du secret dans la gestion de la chose publique tout en promouvant la
transparence et la redevabilité.
Il est tout de même important d’épingler un autre
document de grande importance qui est relatif au droit d’accès à l’information,
et qui a été élaboré par les Nations Unies.
Il s’agit de la Convention des Nations Unies contre la
corruption qui est l’un des
instruments les plus fondamentaux relatifs au droit d’accès à l’information et
qui constitue le gage de la transparence et de la redevabilité sur la gestion
de la chose publique.
Elle a été adoptée par la résolution 58/4 de l’Assemblée
Générale des Nations Unies du 31 Octobre 2003.
Elle tend à lutter et à éradiquer au sein des
Etats parties l’ensemble des pratiques par lesquelles passe la corruption et
qui ont tendance à renforcer l’opacité sur l’état de la gestion de la chose
publique.
2. Les instruments
juridiques régionaux
Au niveau régional,
nous pouvons nous limiter à citer :
§ La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dont l’article 25 qui est
plus ou moins relatif au droit d’accès à l’information commence par mettre à
charge des Etats membres l’obligation de promouvoir et d’assurer, par l’enseignement, l’éducation et la diffusion,
le respect des droits et des libertés contenus dans la présente Charte, et de
prendre des mesures en vue de veiller à ce que ces libertés et droits soient
compris de même que les obligations et devoirs correspondants.
§ La Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique au
sens de laquelle (article IV - 1)
« les organes publics gardiens du bien public et (que) toute personne a le
droit d’accéder à cette information, sous réserve de règles définies et
établies par la loi ».
§ La Charte
africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance qui réaffirme,
l’engagement pris par les Etats africains de « promouvoir l’établissement des conditions nécessaires à la participation
du citoyen protégé, à la transparence, accès à l’information, liberté de la
presse, et à la responsabilité dans la gestion des affaires de l’Etat ».
§ La convention africaine sur la prévention et la lutte contre la
corruption dont le cinquième objectif repris à son article 2 appelle les Etats africains à
« créer les
conditions nécessaires pour promouvoir la transparence et l’obligation de
rendre compte dans la gestion des affaires publiques ».
§ La Charte africaine sur les valeurs et principes du service et de
l’administration publics dont l’article 6 est relatif aux valeurs et aux
principes du service et de l’administration publics dans chaque Etat membre.
3. Les dispositions
constitutionnelles de la RDC
La République démocratique du Congo ne dispose pas
encore d’une loi spécifique sur le droit d’accès à l’information.
Néanmoins, au titre des droits civils et politiques
le constituant congolais inscrit le droit d’accès à l’information en ces termes
« Toute personne a droit à l’information[4] »
et enjoint le législateur d’organiser les modalités de son exercice.[5]
En RDC, pour rendre plus compréhensibles les
dispositions de l’alinéa 1er de l’article 24 de la Constitution, une
loi spéciale s’en faut. Ces dispositions sont, en effets applicables à la fois
au droit du public à l’information et au droit d’accès à l’information, qui
sont deux concepts totalement différents du point de vue de leurs contenus
respectifs.
Pour nous conformer aux prescrits des organisateurs de la présente
rencontre, nous allons maintenant parler du champ d’application du droit
d’accès à l’information et de ses bénéficiaires.
III. CHAMPS
D’APPLICATION ET BENEFICIAIRES
Les instruments juridiques
internationaux auxquels la RDC est partie ainsi que le constituant congolais
veulent que toute personne, quelle qu’elle soit et quel que soit son
domaine d’activités, soit titulaire du droit d’accès à l’information.
Ce droit qui est de plus en plus au centre de la gouvernance
démocratique des Etats « modernes », constitue désormais le fondement
du développement social, scientifique, culturel, économique dans les Etats où
il est mis en œuvre de manière adéquate.
Bien
souvent, le droit d’accès à l’information est confondu avec le droit du public
à l’information, le droit d’être informé et le droit de pouvoir informer, par
voie des moyens de communication de masse.
Cette
conception est très restrictive et, à la limite, erronée, du fait que le droit
d’accès à l’information couvre une étendue matérielle de loin plus large qui ne
peut être réduite à la seule modalité informationnelle par voie des médias (de
la presse) et se rapporte à une étendue tout aussi large des professionnels qui
ne peuvent être réduits aux seuls journalistes.
En
effet, ce droit se rapporte à toutes sortes d’informations, de quelques natures
qu’elles soient, qui peuvent être en la possession des organismes publics,
parapublics ou même privés, pour autant que l’information détenue par eux ait
un caractère d’utilité publique.
On
est donc bien au-delà du seul droit du public à recevoir des informations par
la voie des médias et l’on s’inscrit dans un ensemble plus large qui, au titre
des sources d’informations, inclut les médias aux côtés de bien d’autres
sources parmi lesquelles l’administration publique, les services de
renseignements, les entreprises publiques, les bibliothèques, les entreprises privées,
etc.
Le
droit d’accès à l’information s’applique ainsi à toute personne qui recherche,
à titre individuel ou professionnel une information ainsi qu’à tous les corps
de métiers parmi lesquels, bien entendu les médias dans leur travail quotidien
de recherche de l’information, mais aussi :
§ Les parlementaires
dans l’exercice le plus ordinaire de leur contrôle parlementaire, de
proposition des réformes basées sur des évidences ;
§ Aux chercheurs
scientifiques, aux autorités publiques dans l’exercice de leurs enquêtes
administratives de routine ;
§ À la police en
général et à la judiciaire en particulier ainsi qu’à la justice
institutionnelle dans leurs enquêtes judiciaires,
§ Aux investisseurs
économiques qui désirent obtenir des informations précises pouvant leur
permettre d’orienter leurs capitaux, etc.
Ainsi
vu, le droit d’accès à l’information est un pivot autour duquel tournent la
gouvernance démocratique des Etats modernes, la transparence de la gestion de
la chose publique, la redevabilité des autorités publiques, le développement
économique, social, scientifique, etc.
IV. PRINCIPES DU
DROIT D’ACCES A L’INFORMATION
Bien qu’en RDC certaines des premières lois
garantissant un droit d’accès aux informations détenues par les organes publics
aient reçu le nom de lois sur la liberté de l’information ou même de loi
relative aux modalités d’exercice de la liberté de la presse, le contexte
congolais montre clairement que le droit d’accès à l’information n’est ni
suffisamment compris ni suffisamment intégré.
Telle qu’elle est utilisée dans les différents
instruments juridiques des Nations Unies, le droit d’accès à l’information se
réfère plus en général au libre accès et à la libre circulation de
l’information dans les sociétés et non à l’idée plus spécifique d’un droit
d’accès aux informations détenues par les seuls organes publics.
Aussi, les deux principes les plus importants qui
s’attachent à ce droit et que la RDC devrait intégrer dans l’ensemble de sa
législation sont :
§ Le principe de l’universalité du droit d’accès à l’information. Il
s’agit d’un droit non exclusif et qui s’attache à l’universalité du genre
humain, non pas comme un privilège du prince, mais comme un droit humain et
comme une liberté fondamentale.
§ Le principe de la non restriction du droit d’accès à l’information.
L’information, dans sa diversité et dans sa pluralité doit en tout temps être
rendue disponible à toute personne qui la recherche, tant pour son besoin
individuel que pour des raisons plus largement sociales, professionnelles, etc.
[1] ONU, Résolution 59 de 1946
[2] Proclamée par l’Assemblée générale
des Nations Unies dans sa résolution 217A/III du 10 décembre 1948 et entrée
dans la législation congolaise par sa publication à la page 1206 du Bulletin
officiel de la RDC.
[3] Principes directeurs
pour le développement et la promotion de l'information du domaine public
gouvernemental/document établi par Paul F. Uhlir. - Paris, UNESCO, 2004. - ix,
46 p. ; 30 cm. (CI-2004/WS/5)
[4] Alinéa 1er de l’article 24
de la Constitution de la RDC.
L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...