mercredi 1 mars 2017

Le rôle du pouvoir judiciaire congolais dans la protection des libertés publiques


Deux demies journées d’échanges avec les magistrats congolais sur :
« Le rôle du pouvoir judiciaire dans la protection de la liberté de la presse en général et du débat médiatique en particulier »
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Par Charles-M MUSHIZI
Avocat, Expert en droit des médias
+243 810 516 908

˗          Monsieur le Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC),
˗          Monsieur le Représentant du Président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM),
˗          Monsieur le Directeur résident d’Internews,
˗          Mesdames, Messieurs les magistrats,
˗          Mesdames, Messieurs les avocats,
˗          Monsieur le Président de l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC),
˗          Monsieur le Président de l’Observatoire des médias Congolais (OMEC),
˗          Mesdames, Messieurs, tout protocole observé,

Pendant deux jours, les organisateurs des présentes assises nous convient à un échange autour du : « Rôle du pouvoir judiciaire dans la protection des libertés de la presse et du débat médiatique ».

Il s’agit d’un thème plus qu’actuel et d’une grande importance, au regard du contexte ambiant de la RDC, caractérisé, à ce jour par un dialogue politique autour d’un processus électoral voulu transparent et pacifique.

Ce dialogue politique et ce processus électoral constituent deux moments forts pour la refondation de notre société.

Il s’agit des moments au cours desquels les médias sont plus que jamais sollicités pour faire entendre toutes les tendances qui veulent exprimer leurs opinions dans le cadre d’un débat médiatique et pluraliste.

Le débat médiatique est le cadre par excellence à travers lequel s’exercent la liberté d’expression, la liberté de pensée ainsi que la liberté de critique.

Mais il ne peut être possible si les médias ne sont pas réellement libres et si les opinions exprimées demeurent sujet à répression.

Voilà quelques idées centrales autour desquelles nous avons tous été conviés ce matin.

I. De la liberté de la presse

L’article 23 de la constitution affirme que : « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit implique la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs ».

Et la loi du 22 juin 1996 qui fixe les modalités d’exercice de la liberté de la presse en RDC définit cette liberté comme : « le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs ».

Pour protéger la liberté de la presse, le constituant congolais s’est largement inspiré des évolutions universelles consacrées par les Nations Unies à travers les dispositions pertinentes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.

Le même constituant s’est aussi inspiré des textes pris dans le cadre de l’Union Africaine, parmi lesquels la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que la Déclaration des principes sur la liberté d’expression en Afrique.

Comme vous le savez si bien, ces deux textes consacrent le droit pour la presse d’exprimer librement ses opinions et de diffuser les informations sans crainte ni de la censure  ni de la répression d’opinions exprimées dans le cadre d’un débat pluraliste.

Malheureusement, dans notre pays, faute de pouvoir braver la rigueur du code pénal qui leur est applicable, notamment en cas de diffamation ou de propagation de faux bruits ou encore d’outrages, les journalistes ne peuvent librement s’exprimer ni laisser librement s’exprimer l’opinion.

Ils font face à une menace quasi permanente notamment chaque fois qu’ils s’évertuent à soulever des débats autour des questions qui touchent entre autres à la rédévabilité et à la transparence de la gestion de la chose publique.

Ils[1] vivent ainsi dans la peur des poursuites judiciaires qui  bien souvent aboutissent à leur interpellation, à leur arrestation et à leur condamnation à la servitude pénale.

L’actuel régime congolais des infractions commises par voie de presse est, en effet, très rigoureux.

Ce régime a été mis en place par les articles 73 et 74 de la loi n°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse.

Il renvoie au code pénal (ordinaire et militaire) qui, dans l’ensemble, est indifférent à la véracité ou à la fausseté des faits allégués.[2]

Il est bien dommage que pour des infractions comme la diffamation, par exemple, l’honneur, la réputation et la considération de la personne qui se dit victime soient les seuls paramètres sur la base desquels le juge considère si l’infraction est établie ou pas.

Telle est la situation, alors que le constituant congolais considère la liberté de la presse comme faisant partie des droits les plus fondamentaux et inaliénables de chaque Congolais et qu’il a mis en place des mécanismes institutionnels et légaux pour protéger et promouvoir cette liberté.

II. Mécanismes constitutionnels et légaux

Parmi les mécanismes institutionnels de protection de la liberté de la presse en RDC figure en première place le pouvoir judiciaire.

Le magistrat du parquet, le magistrat du siège, la police judiciaire et l’autorité administrative en général ont un rôle important à jouer dans la protection de la liberté de la presse et dans la promotion d’un débat médiatique libre et constructif, essentiellement fondé sur le droit du public à ‘information.

Ce rôle s’inscrit dans l’engagement pris par la RDC dans le cadre de l’article 19 de la DUDH qui stipule que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit».

Dans le contexte actuel du pays, les questions qui soulèvent des débats contradictoires, parfois violents, sont légion.

C’est pour cela qu’il est important, pour l’autorité judiciaire saisi d’une plainte dans le cadre de ces débats de bien savoir situer principalement : la place du droit à la liberté d’opinion et de pensée ainsi que la place du droit du public à l’information.

De cette manière, il appréciera, avec justesse, les circonstances objectives qui entourent les faits incriminés subséquemment à un débat médiatique quel qu’en ait été le sujet de discussion et l’appartenance politique réelle ou supposée des débateurs.

Une fois encore, l’engament pris par le pays dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est tel que : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».[3]

Le rôle de la justice dans la protection et la promotion des libertés fondamentales est consacré par la constitution dont l’article 150 met à charge du pouvoir judiciaire l’obligation d’en garantir la protection.[4]

En disposant que le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens, le constituant rappelle le rôle classique du magistrat qui est celui de réguler la société, c'est-à-dire celui de toujours chercher les équilibres nécessaires à la convivialité, à la paix sociale et au développement du pays en général. 

Par-delà l’honneur à protéger dans le cadre des poursuites d’infractions comme les outrages ou la diffamation, le droit du public à l’information demeure une valeur centrale à promouvoir dans la construction d’une démocratie.

A ce titre, le rôle du juge dans la construction d’une jurisprudence de référence pouvant booster des réformes demeure central, notamment lorsqu’il instruit des infractions comme « les imputations dommageables » ou encore « les outrages ».

Comme vous le savez, et comme affirmé plus haut, le juge congolais est indifférent sur la véracité ou la fausseté d’informations diffusées et réprimées au titre de diffamations ou d’outrages.

L’essentiel pour lui, et c’est malheureusement cela que lui exige la loi, est de constater l’existence d’informations publiées suivies d’une plainte de la personne qui estime que ces dernières portent atteinte à son honneur ou à sa considération et l’exposent au mépris du public.

Pourtant, le point XII de la Déclaration des principes sur la liberté d’expression en Afrique relatif à la « protection de la réputation » dispose que les Etats doivent s’assurer que leurs lois relatives à la diffamation sont conformes au fait que nul ne doit être puni pour des déclarations exactes.

Pour le reste, et c’est ici que je voudrais nous engager à un échange réellement réformiste, il est consternant de constater aussi que le régime de répression des infractions de presse demeure inadapté aux principes sacrosaints du droit pénal.

Dans une large mesure, le régime appliqué aux infractions de presse viole le principe universel et constitutionnel de la « responsabilité personnelle ou individuelle ».

Lorsqu’un journaliste commet une infraction par voie de presse, il est soumis en premier lieu au régime de responsabilité pénale personnelle s’il est connu et directement identifiable.

Une fois encore, en violation de la constitution et des principes généraux du droit pénal, cette responsabilité arrête d’être personnelle lorsque l’auteur de l’infraction de presse ne peut être retrouvé par la justice.

En effet, l’article 28 dispose que :
« Sont pénalement responsables, à titre principal, des délits de presse, dans l’ordre suivant :
1. l’auteur de l’article ;
2. à défaut de l’auteur, le directeur de la publication ou l’éditeur ;
3. l’imprimeur, lorsque ni l’auteur, ni le directeur de la publication, ni l’éditeur ne sont connus ».

En attendant d’obtenir la réforme de ces dispositions, dans son rôle de garant des libertés fondamentales et dans son rôle réformateur du droit à travers la jurisprudence, la justice, prise en la personne du premier président de la cour suprême de justice ou en la personne du procureur général de la République, peut être à la base des décisions de principe relatifs à l’instruction et à la poursuite des infractions de presse.

Voilà, en quelques mots, ma modeste contribution aux échanges que nous allons faire pendant ces deux demis journées.

Je vous remercie pour votre aimable attention.


[1]Par professionnel des médias on entend généralement le journaliste professionnel qui se voue d’une manière régulière à la collecte, au traitement, à la production, à la diffusion de l’information d’actualité et des programmes d’information à travers un ou plusieurs organes de presse et qui tire l’essentiel de ses revenus de cette profession. Outre le journaliste, il y a aussi les catégories des métiers d’information telles que : les directeurs de publication et/ou des programmes ; le rédacteur en ce compris le rédacteur web ; le présentateur des programmes d’information d’actualité ; le caricaturiste ; le traducteur-rédacteur ; le reporter-photographe ; Le réalisateur et le régisseur ; l’opérateur de prise de son ou l’opérateur de prise de vues œuvrant pour le compte d’une ou de plusieurs organes de presse écrite, audiovisuel et en ligne ; les blogueurs professionnels.
[2] En effet, il a été jugé par le tribunal de paix de Kananga, siégeant en matière répressive en chambre foraine à Ndekensha dans le territoire de Kazumba (RP 016/26 février 2005) que « le fait d’exposer une personne au mépris du public en affirmant publiquement ou en propageant l’information selon laquelle il est expert en matière superstitieuse, même si ceci est vrai, est constitutif d’imputations dommageables ».
[3] Article 19 du Pacte
[4] Article 150 : « Le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens ».

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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...