Par Maître Charles-M. MUSHIZI
Avocat à la Cour
Directeur du « Centre d’Echanges pour des Réformes
Juridiques et Institutionnelles » (CERJI), 106, boulevard du 30 juin
(Enclos de l’Institut
Géographique du Congo), Kinshasa/Gombe
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I. Considérations
générales
Mesdames, Messieurs,
Chers participants et
invités,
Il m’a été demandé d’inscrire mon intervention dans le thème général
intitulé : « La protection de
la liberté de la presse contre la censure et une surveillance excessive »
en me focalisant sur les aspects relatifs à « La défense de la démocratie qui exige de combattre la censure de
nouveaux médias ».
En lisant le
thème général, j’ai commencé par me poser la question de savoir pourquoi les
organisateurs de la présente réunion ont retenu l’expression
« surveillance excessive » de la liberté de la presse et pas
« surveillance » tout court.
Subsidiairement à
ce questionnement pour lequel je ne suis pas parvenu à trouver une réponse,
j’en suis resté à la conviction selon laquelle une surveillance et une censure,
excessives ou pas, sont déjà, par elles-mêmes, constitutives d’atteintes à la
liberté de la presse.
Je ne vais pas
m’appesantir sur ce questionnement qui n’intéresse d’ailleurs pas nos échanges.
Je veux dire que le
choix des concepts de l’intitulé du thème n’est pas la question centrale qui
préoccupe notre débat de ce jour.
Et d’ailleurs, vous
conviendrez avec moi que le thème et le sous-thème qui nous réunissent
aujourd’hui sont d’une actualité et d’un intérêt évidents par rapport au
contexte ambiant de la République démocratique du Congo.
Ce contexte est singulièrement
caractérisé par le fait qu’en l’espace de cinq années consécutives, à trois ou
quatre reprises, l’internet et les médias sociaux se sont vus coupés sur
décision unilatérale du gouvernement, arguant craindre que ces médias ne soient
utilisés pour commettre des incitations pouvant avoir des incidences sur
l’ordre public.
Pour ce qui est
de la liberté de la presse[1],
ce contexte demeure aussi, malheureusement, caractérisé par :
1.
une loi liberticide qui consacre d’importantes attributions
notamment au ministère qui a en charge les médias. Ces attributions vont
jusqu’à conférer le pouvoir de censure, notamment pour des raisons de
l’ « ordre public[2] ».
L’article
85 de la loi n°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la
liberté de la presse en République démocratique du Congo est éloquent à ce
propos. Il stipule qu’en « cas d’urgence dictée par les
exigences de l’ordre public, les autorités administratives compétentes sont
habilitées à prendre des mesures conservatoires d’interdiction d’émettre et de
diffuser une émission ou un programme incriminé (…) ». Et l’article 83 de
la même loi ajoute que « Sans préjudice des poursuites judiciaires, le membre du gouvernement ou
du collège exécutif régional ayant en charge l’information et la presse peut : a) requérir la saisie des documents, films ou vidéocassettes ; b) interdire la diffusion d’une ou de plusieurs émissions incriminées ; c) suspendre une station de la radiodiffusion sonore ou de la télévision
pour une période n’excédant pas 3 mois (…) ».
L’autre élément malheureux du contexte loge dans :
2
la faible capacité organisationnelle et opérationnelle des instances
étatiques et non étatiques qui ont été mises en place, depuis de longues années
maintenant, pour réguler les médias et autoréguler la profession
journalistique.
Je m’en voudrais
de ne pas rappeler ici que ces éléments du contexte actuel de la République
démocratique du Congo s’inscrivent surtout dans un climat politique
particulièrement instable et hostile à toute critique médiatique ?
De même, je
serais incomplet si je ne rappelais pas que ce climat d’hostilité,
d’instabilité et d’intolérance de la critique médiatique a fini par générer une
autocensure des médias et des journalistes et qu’il porte atteinte, de manière drastique,
à la pluralité médiatique du fait de priver aux citoyens le choix d’accéder à
une information plurale et plurielle.
Voilà globalement
le tableau sur lequel s’inscrit l’essentiel de mon propos, ce jour.
II. La censure de
nouveaux médias…
Mesdames, Messieurs,
Chers participants et
invités,
« La défense de la
démocratie exige de combattre la censure de nouveaux médias ».
C’est ce sous-thème qu’il m’a été demandé de développer dans le
cadre de présents échanges.
Pour sa meilleure appréhension, cet intitulé nous exige de
définir d’abord quelques concepts de base qui portent tout son sens au regard du
thème central dans lequel il s’inscrit.
ü
Tout d’abord : la démocratie…
Qu’est-ce ?
Une conception devenue vulgaire définit la démocratie comme
« le pouvoir du peuple, par le
peuple et pour le peuple »[3].
Il s’agit, pour ainsi dire, « un système de gouvernance étatique dont les gouvernants sont désignés
par le peuple, parmi le peuple, afin de gérer la chose publique, appartenant au
peuple, en conformité avec les aspirations fondamentales de ce peuple exprimées
à travers les lois, prises au sens du contrat social[4] ».
Vous conviendrez avec mois que de cette définition, la défense
de la démocratie peut être comprise comme la défense de la République ou plutôt
la défense des valeurs qui fondent la République ; la « res publica », c'est-à-dire
« la chose publique » ou,
par extension du concept, « la chose
du peuple ».
ü
Parlons à présent de la censure.
La censure constituait, dans l’ancienne France notamment, un
examen auquel l’Etat soumettait les écrits et les spectacles avant d’en
autoriser ou d’en interdire la publication ou la représentation.
Dans des pays dictatoriaux et à démocratie déficiente, la
censure constitue sans plus ni moins uns sorte de « contrôle de conformité » à une idéologie établie, à une
conviction politique dominante au pouvoir, à une ligne directrice aux
colorations religieuses, notamment dans certains pays où les règles de droit
entretiennent une certaine relation avec celle d’une religion établie, etc.
Quelque soit la justification qui fonde la censure, celle-ci est
toujours de nature à restreindre les libertés publiques en générale, la liberté
d’expression et la liberté de la presse en particulier.
Dans les démocraties et les Etats modernes les médias constituent
des relais d’expression du peuple, de formation et d’information[5]
de l’opinion mais aussi de divertissement populaire.
Il en va donc de soi que restreindre la liberté des médias par
la censure restreint la liberté d’expression du peuple, restreint son espace
d’information, de sa formation et de son divertissement.
Le peuple qui est ainsi au centre de toute démocratie et de
toute République devient exclu de la gestion de la chose publique à l’égard de
laquelle il n’a plus la liberté d’opinion, de critique, de proposition, de
contestation, etc.
Et puisque nous avons affirmé plus haut que la défense de la
démocratie c’est la défense de la République ou plutôt des valeurs qui fondent
la République, la liberté d’expression et sa composante la liberté de la presse
étant l’une de ces valeurs, il ne peut être envisagé que la pratique de la
censure soit de nature à conforter la démocratie ni la République.
ü
Venons-en maintenant à l’expression
« nouveaux médias ».
Pour rappeler l’intitulé du thème qu’il m’a été demandé de
développer dans le cadre de la présente réunion, je reviens sur le fait que les
organisateurs ont insisté sur l’élément « censure de nouveaux médias ».
Mais, les « nouveaux
médias », qu’est-ce ?
J’ose imaginer qu’en parlant de nouveaux médias, les
organisateurs de cette réunion ont voulu parler des médias qui font recours aux
technologies récentes dans le domaine de l’information et de la communication.
Remarquez que je ne parle pas des Nouvelles Technologies de l’Information
et de la Communication, leur « nouvelleté »
étant de plus en plus discutée du fait de leur relative « ancienneté ».
Modestement, je pense qu’en fait de « nouveaux médias », il s’agit, pour faire simple des « médias sociaux », qui sont en fait
des relais faisant recours à des publications courtes, rapides et concises,
généralement limitées en termes de mots utilisés et visant, bien souvent, à
faire passer des alertes tout en renvoyant à des liens plus complets.
Ils sont sociaux en cela qu’ils englobent et dépassent l’espace
ordinaire de la profession journalistique dans le cadre de la diffusion
d’informations sans considération d’espaces géographiques ni l’auditoire
destinataire desdites informations généralement d’accès gratuit, pour le reste.
Les médias sociaux sont en cela des relais planétaires qui
émettent ou paraissent de n’importe quel coin du monde pour être captés dans
n’importe quel autre coin du monde.
Et puisqu’ils sont d’accès non autrement contrôlé, c’est cela
qui permet qu’ils facilitent la critique, la formation, l’information et le
divertissement de ceux qui y ont accès.
III. Contradictions
entre la loi et les pratiques
Il est important de rappeler les
préceptes de la loi afin de mieux illustrer les violations de la liberté de la
presse en République démocratique du Congo, bien souvent par le gouvernement.
Le principe de la loi[6] est tel que « Toute personne a droit à
la liberté d’opinion et d’expression. Par liberté d’opinion et d’expression, il
faut entendre le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses
sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support
utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits
d’autrui et des bonnes mœurs ».
Sur base de ce principe, censurer les médias en général et tout
particulièrement censurer les médias sociaux revient à priver à l’ensemble des
populations mondiales de leur droit d’accès à une information plurale et
plurielle, à une critique médiatique, à leur droit à la formation, à leur droit
à l’information et à leur droit au divertissement.
L’exemple le plus banale est qu’une information relative au
Dialogue politique qui est en cours en République démocratique du Congo peut
intéresser un professionnel, une population ou une organisation citoyenne basée
au Canada, au Cameroun, en Italie, au Japon, etc.
De ce fait, porter la censure contre les médias sociaux en les
empêchant d’informer l’univers, pour ainsi dire, constitue un acte de nature à
préjudicier l’ensemble de la population du monde.
Sur ce point, je suis même de tendance à considérer qu’il s’agit
là d’un acte qui devrait être érigé en crime contre l’humanité et poursuivi
comme tel y compris devant les juridictions internationales au nom de la
défense de la démocratie qui ne peut exister sans la liberté d’expression, sans
la liberté de la presse, sans la liberté de la critique populaire et sans la
liberté d’opinion de manière générale, bien entendu sous réserve du respect des
principes légaux établis.
Sous cette réserve, nous en venons ainsi à une conclusion selon
laquelle « la censure est un acte
qui va à l’encontre des valeurs qui fondent la démocratie ainsi que la
République. Elle est de nature à préjudicier l’ensemble de la population du
monde, particulièrement lorsqu’elle touche aux médias sociaux ».
Et dans un pays comme la République démocratique du
Congo où les médias peinent à convaincre sur leur professionnalisme et sur leur
indépendance, la censure des médias sociaux est encore plus nuisible au droit
du peuple à accéder à l’information plurale et plurielle.
La censure des médias sociaux est à ce
titre d’autant nuisible qu’elle viole les rescrits de l’alinéa 1er
de l’article 13 de la loi de 1996 qui stipule que « L’État a l’obligation
d’assurer et de rendre effectif le droit à l’information ».
De ce fait, lutter contre toutes les formes de censure devient un
engagement et un acte citoyen, républicain.
IV. Combattre la
censure : un engagement citoyen et républicain
En tant que défenseur des droits humains, je suis
convaincu que le fait de lutter contre toutes les lois liberticides et toutes
les formes de musellement des libertés publiques est un engagement citoyen et
républicain.
Voilà pourquoi je voudrais nous engager, tous, dans
le monitoring de la proposition de loi actuellement en examen à l’Assemblée
nationale et qui vise à obtenir les meilleurs conditions d’exercice de la
liberté en République démocratique du Congo.
Ce texte qui a été déposé par l’Honorable MUSHIZI
Kizito depuis environ deux ans, à ce jour n’a pas retenu l’attention du Bureau
de l’Assemblé nationale ni des autres députés nationaux pour être rapidement
examiné et voté.
Votre engagement ne consistera pas simplement en un
plaidoyer plat. Il consistera en la mobilisation des personnes de bonne volonté
qui ont juste besoin d’être informé sur ce texte et sur son importance dans la
construction d’une démocratie et d’un Etat de droit en République démocratique
du Congo
Voilà, Mesdames, Messieurs, chers participants et
invités, la quintessence de mon propos, tout au moins, pour ce qui est du sujet
qu’il m’a été donné de développer à votre aimable attention.
Mesdames, Messieurs,
C’est tout particulièrement pour cette attention que
je vous remercie.
[1] C’est à dire
« le
droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de
les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous
réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des
bonnes mœurs »
[3] Définition d’Abraham Lincoln,
ancien président des Etats Unis d’Amérique.
[4] L’expression
« contrat social » est de
Jean Jacques Rousseau dans son livre « L’esprit
des lois ». Lire Charles
Louis de SECONDAT, baron de la Brède et de MONTESQUIEU, « De l'esprit des lois », La Brède, January
18, 1689 – Paris.
[5] L’article 3 de la loi de 1996 stipule que « Par information, il faut
entendre des faits, des données ou des messages de toutes sortes mis à la
disposition du public par voie de la presse écrite ou de la communication
audiovisuelle ».
[6] Article
8 de la loi n°96-002 du 22 juin 1996
L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...