lundi 30 janvier 2017

« La défense de la démocratie exige de combattre la censure de nouveaux médias »

















Par Maître Charles-M. MUSHIZI
Avocat à la Cour
Directeur du « Centre d’Echanges pour des Réformes
Juridiques et Institutionnelles » (CERJI), 106, boulevard du 30 juin
(Enclos de l’Institut Géographique du Congo), Kinshasa/Gombe
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I. Considérations générales

Mesdames, Messieurs,
Chers participants et invités,

Il m’a été demandé d’inscrire mon intervention dans le thème général intitulé : « La protection de la liberté de la presse contre la censure et une surveillance excessive » en me focalisant sur les aspects relatifs à « La défense de la démocratie qui exige de combattre la censure de nouveaux médias ».

En lisant le thème général, j’ai commencé par me poser la question de savoir pourquoi les organisateurs de la présente réunion ont retenu l’expression « surveillance excessive » de la liberté de la presse et pas « surveillance » tout court.

Subsidiairement à ce questionnement pour lequel je ne suis pas parvenu à trouver une réponse, j’en suis resté à la conviction selon laquelle une surveillance et une censure, excessives ou pas, sont déjà, par elles-mêmes, constitutives d’atteintes à la liberté de la presse.

Je ne vais pas m’appesantir sur ce questionnement qui n’intéresse d’ailleurs pas nos échanges.

Je veux dire que le choix des concepts de l’intitulé du thème n’est pas la question centrale qui préoccupe notre débat de ce jour.

Et d’ailleurs, vous conviendrez avec moi que le thème et le sous-thème qui nous réunissent aujourd’hui sont d’une actualité et d’un intérêt évidents par rapport au contexte ambiant de la République démocratique du Congo.

Ce contexte est singulièrement caractérisé par le fait qu’en l’espace de cinq années consécutives, à trois ou quatre reprises, l’internet et les médias sociaux se sont vus coupés sur décision unilatérale du gouvernement, arguant craindre que ces médias ne soient utilisés pour commettre des incitations pouvant avoir des incidences sur l’ordre public.

Pour ce qui est de la liberté de la presse[1], ce contexte demeure aussi, malheureusement, caractérisé par :

1.       une loi liberticide qui consacre d’importantes attributions notamment au ministère qui a en charge les médias. Ces attributions vont jusqu’à conférer le pouvoir de censure, notamment pour des raisons de l’ « ordre public[2] ». L’article 85 de la loi n°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo est éloquent à ce propos. Il stipule qu’en « cas d’urgence dictée par les exigences de l’ordre public, les autorités administratives compétentes sont habilitées à prendre des mesures conservatoires d’interdiction d’émettre et de diffuser une émission ou un programme incriminé (…) ». Et l’article 83 de la même loi ajoute que « Sans préjudice des poursuites judiciaires, le membre du gouvernement ou du collège exécutif régional ayant en charge l’information et la presse peut : a) requérir la saisie des documents, films ou vidéocassettes ; b) interdire la diffusion d’une ou de plusieurs émissions incriminées ; c) suspendre une station de la radiodiffusion sonore ou de la télévision pour une période n’excédant pas 3 mois (…) ».

L’autre élément malheureux du contexte loge dans :
2        la faible capacité organisationnelle et opérationnelle des instances étatiques et non étatiques qui ont été mises en place, depuis de longues années maintenant, pour réguler les médias et autoréguler la profession journalistique.

Je m’en voudrais de ne pas rappeler ici que ces éléments du contexte actuel de la République démocratique du Congo s’inscrivent surtout dans un climat politique particulièrement instable et hostile à toute critique médiatique ?

De même, je serais incomplet si je ne rappelais pas que ce climat d’hostilité, d’instabilité et d’intolérance de la critique médiatique a fini par générer une autocensure des médias et des journalistes et qu’il porte atteinte, de manière drastique, à la pluralité médiatique du fait de priver aux citoyens le choix d’accéder à une information plurale et plurielle.

Voilà globalement le tableau sur lequel s’inscrit l’essentiel de mon propos, ce jour.

II. La censure de nouveaux médias…

Mesdames, Messieurs,
Chers participants et invités,

« La défense de la démocratie exige de combattre la censure de nouveaux médias ».

C’est ce sous-thème qu’il m’a été demandé de développer dans le cadre de présents échanges.

Pour sa meilleure appréhension, cet intitulé nous exige de définir d’abord quelques concepts de base qui portent tout son sens au regard du thème central dans lequel il s’inscrit.

ü Tout d’abord : la démocratie… Qu’est-ce ?

Une conception devenue vulgaire définit la démocratie comme « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple »[3].

Il s’agit, pour ainsi dire, « un système de gouvernance étatique dont les gouvernants sont désignés par le peuple, parmi le peuple, afin de gérer la chose publique, appartenant au peuple, en conformité avec les aspirations fondamentales de ce peuple exprimées à travers les lois, prises au sens du contrat social[4] ».

Vous conviendrez avec mois que de cette définition, la défense de la démocratie peut être comprise comme la défense de la République ou plutôt la défense des valeurs qui fondent la République ; la « res publica », c'est-à-dire « la chose publique » ou, par extension du concept, « la chose du peuple ».

ü Parlons à présent de la censure.

La censure constituait, dans l’ancienne France notamment, un examen auquel l’Etat soumettait les écrits et les spectacles avant d’en autoriser ou d’en interdire la publication ou la représentation.

Dans des pays dictatoriaux et à démocratie déficiente, la censure constitue sans plus ni moins uns sorte de « contrôle de conformité » à une idéologie établie, à une conviction politique dominante au pouvoir, à une ligne directrice aux colorations religieuses, notamment dans certains pays où les règles de droit entretiennent une certaine relation avec celle d’une religion établie, etc.

Quelque soit la justification qui fonde la censure, celle-ci est toujours de nature à restreindre les libertés publiques en générale, la liberté d’expression et la liberté de la presse en particulier.

Dans les démocraties et les Etats modernes les médias constituent des relais d’expression du peuple, de formation et d’information[5] de l’opinion mais aussi de divertissement populaire.

Il en va donc de soi que restreindre la liberté des médias par la censure restreint la liberté d’expression du peuple, restreint son espace d’information, de sa formation et de son divertissement.

Le peuple qui est ainsi au centre de toute démocratie et de toute République devient exclu de la gestion de la chose publique à l’égard de laquelle il n’a plus la liberté d’opinion, de critique, de proposition, de contestation, etc.

Et puisque nous avons affirmé plus haut que la défense de la démocratie c’est la défense de la République ou plutôt des valeurs qui fondent la République, la liberté d’expression et sa composante la liberté de la presse étant l’une de ces valeurs, il ne peut être envisagé que la pratique de la censure soit de nature à conforter la démocratie ni la République.

ü Venons-en maintenant à l’expression « nouveaux médias ».

Pour rappeler l’intitulé du thème qu’il m’a été demandé de développer dans le cadre de la présente réunion, je reviens sur le fait que les organisateurs ont insisté sur l’élément « censure de nouveaux médias ».

Mais, les « nouveaux médias », qu’est-ce ?

J’ose imaginer qu’en parlant de nouveaux médias, les organisateurs de cette réunion ont voulu parler des médias qui font recours aux technologies récentes dans le domaine de l’information et de la communication.

Remarquez que je ne parle pas des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, leur « nouvelleté » étant de plus en plus discutée du fait de leur relative « ancienneté ».

Modestement, je pense qu’en fait de « nouveaux médias », il s’agit, pour faire simple des « médias sociaux », qui sont en fait des relais faisant recours à des publications courtes, rapides et concises, généralement limitées en termes de mots utilisés et visant, bien souvent, à faire passer des alertes tout en renvoyant à des liens plus complets.

Ils sont sociaux en cela qu’ils englobent et dépassent l’espace ordinaire de la profession journalistique dans le cadre de la diffusion d’informations sans considération d’espaces géographiques ni l’auditoire destinataire desdites informations généralement d’accès gratuit, pour le reste.

Les médias sociaux sont en cela des relais planétaires qui émettent ou paraissent de n’importe quel coin du monde pour être captés dans n’importe quel autre coin du monde.

Et puisqu’ils sont d’accès non autrement contrôlé, c’est cela qui permet qu’ils facilitent la critique, la formation, l’information et le divertissement de ceux qui y ont accès.

III. Contradictions entre la loi et les pratiques

Il est important de rappeler les préceptes de la loi afin de mieux illustrer les violations de la liberté de la presse en République démocratique du Congo, bien souvent par le gouvernement.

Le principe de la loi[6] est tel que « Toute personne a droit à la liberté d’opinion et d’expression. Par liberté d’opinion et d’expression, il faut entendre le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs ».

Sur base de ce principe, censurer les médias en général et tout particulièrement censurer les médias sociaux revient à priver à l’ensemble des populations mondiales de leur droit d’accès à une information plurale et plurielle, à une critique médiatique, à leur droit à la formation, à leur droit à l’information et à leur droit au divertissement.

L’exemple le plus banale est qu’une information relative au Dialogue politique qui est en cours en République démocratique du Congo peut intéresser un professionnel, une population ou une organisation citoyenne basée au Canada, au Cameroun, en Italie, au Japon, etc.

De ce fait, porter la censure contre les médias sociaux en les empêchant d’informer l’univers, pour ainsi dire, constitue un acte de nature à préjudicier l’ensemble de la population du monde.

Sur ce point, je suis même de tendance à considérer qu’il s’agit là d’un acte qui devrait être érigé en crime contre l’humanité et poursuivi comme tel y compris devant les juridictions internationales au nom de la défense de la démocratie qui ne peut exister sans la liberté d’expression, sans la liberté de la presse, sans la liberté de la critique populaire et sans la liberté d’opinion de manière générale, bien entendu sous réserve du respect des principes légaux établis.

Sous cette réserve, nous en venons ainsi à une conclusion selon laquelle « la censure est un acte qui va à l’encontre des valeurs qui fondent la démocratie ainsi que la République. Elle est de nature à préjudicier l’ensemble de la population du monde, particulièrement lorsqu’elle touche aux médias sociaux ».

Et dans un pays comme la République démocratique du Congo où les médias peinent à convaincre sur leur professionnalisme et sur leur indépendance, la censure des médias sociaux est encore plus nuisible au droit du peuple à accéder à l’information plurale et plurielle.

La censure des médias sociaux est à ce titre d’autant nuisible qu’elle viole les rescrits de l’alinéa 1er de l’article 13 de la loi de 1996 qui stipule que « L’État a l’obligation d’assurer et de rendre effectif le droit à l’information ».

De ce fait, lutter contre toutes les formes de censure devient un engagement et un acte citoyen, républicain.

IV. Combattre la censure : un engagement citoyen et républicain

En tant que défenseur des droits humains, je suis convaincu que le fait de lutter contre toutes les lois liberticides et toutes les formes de musellement des libertés publiques est un engagement citoyen et républicain.

Voilà pourquoi je voudrais nous engager, tous, dans le monitoring de la proposition de loi actuellement en examen à l’Assemblée nationale et qui vise à obtenir les meilleurs conditions d’exercice de la liberté en République démocratique du Congo.

Ce texte qui a été déposé par l’Honorable MUSHIZI Kizito depuis environ deux ans, à ce jour n’a pas retenu l’attention du Bureau de l’Assemblé nationale ni des autres députés nationaux pour être rapidement examiné et voté.

Votre engagement ne consistera pas simplement en un plaidoyer plat. Il consistera en la mobilisation des personnes de bonne volonté qui ont juste besoin d’être informé sur ce texte et sur son importance dans la construction d’une démocratie et d’un Etat de droit en République démocratique du Congo

Voilà, Mesdames, Messieurs, chers participants et invités, la quintessence de mon propos, tout au moins, pour ce qui est du sujet qu’il m’a été donné de développer à votre aimable attention.

Mesdames, Messieurs,

C’est tout particulièrement pour cette attention que je vous remercie.



[1] C’est à dire « le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs »

[3] Définition d’Abraham Lincoln, ancien président des Etats Unis d’Amérique.
[4] L’expression « contrat social » est de Jean Jacques Rousseau dans son livre « L’esprit des lois ». Lire Charles Louis de SECONDAT, baron de la Brède et de MONTESQUIEU, « De l'esprit des lois », La Brède, January 18, 1689 – Paris.
[5] L’article 3 de la loi de 1996 stipule que « Par information, il faut entendre des faits, des données ou des messages de toutes sortes mis à la disposition du public par voie de la presse écrite ou de la communication audiovisuelle ».
[6] Article 8 de la loi n°96-002 du 22 juin 1996
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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...