mercredi 17 juillet 2013

La régulation des médias et l'autorégulation de la presse en RDC

En 2002, à l’issue du Dialogue Inter Congolais (DIC) tenu en Afrique du Sud, la République démocratique du Congo[1] s’est dotée d’une institution chargée de la régulation des médias. Les participants au DIC ont convenu de désigner cette « institution d’appui à la démocratie[2] » sous le nom de « Haute autorité des médias », en abrégé « Ham ».

Ce fut alors une occasion pour le pays d’expérimenter pour la première fois la mise en place d’une institution indépendante, technique et spécialisée sur la régulation des médias. Ce fut surtout l’occasion pour le pays de faire une nette scission entre l’autorité de réglementation, à savoir : le ministre en charge des médias, et l’autorité de la régulation, attributions jadis concentrées entre les seules mains dudit ministère.

Cette importante reforme juridique, institutionnelle et politique opérée par la RDC était alors basée sur une nouvelle conception sociopolitique qui a fait irruption à la fin du XXe siècle, considérant qu’il n’était plus possible pour l’État de réguler les médias avec des outils classiques et inadaptés que sont les ministères ou les institutions éminemment politiques appelés plutôt à assurer la gestion quotidienne de la collectivité.

A la suite de cette nouvelle conception sociopolitique, le DIC, et bien avant, les Conférences Nationales dans des pays africains, avaient d’ailleurs déjà fait le constat selon lequel : « si les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif avaient bien chacun son rôle et ses missions spécifiques, il manquait, pour gérer le paysage médiatique, une instance plus spécialisée que le judiciaire et moins susceptible d’être soupçonnée d’être partisane que l’exécutif du fait de son caractère trop politique ».[3]

Il faut cependant relever que cette conception n’a pas visé de faire des médias un secteur séparé de la vie sociopolitique des Etats. Et même pour certains Etats occidentaux où cette conception est très prononcée, l’expérience démontre qu’il ne suffit pas non plus de faire des médias un secteur à part.

Il s’agit de leur reconnaitre leur spécificité et leur apport indéniable pour la construction de la démocratie et pour le développement des communautés. En effet, les médias constituent un des matériaux indispensables à la construction de l’État de droit car ils sont les vecteurs possibles de la vérité et de la transparence de la gestion de la chose publique. Gestion assurée par d’autres « matériaux » sous forme institutionnelle.

Si les médias dans leur statut et rôle actualisés jouent effectivement leur part de jeu et reflètent avec vérité et transparence les processus politiques en cours dans les nouvelles démocraties comme en RDC, les acteurs du processus ne pourront pas tromper facilement les citoyens.

Bien que difficilement dans les jeunes démocratie où la critique des médias n’est pas encore réellement la bienvenue, un climat de confiance peut alors se créer entre les médias et le reste d’acteurs sociopolitiques et économiques sur qui ils informent le plus régulièrement.

Le lien de confiance, bien que souvent fragile entre les médias et le reste d’acteurs sociopolitiques et économiques est souvent fondé sur l’affirmation des mêmes principes démocratiques par tous. Il est cependant important de relever que l’existence de médias critiques et responsables ne constitue pas la seule condition pour l’émergence d’une telle démocratie. Elle est simplement une condition indispensable et préalable.[4]

En 2011, sur pied des articles 212 et suivants de la Constitution congolaise promulguée en 2006, le pays a entamé sa deuxième expérience de régulation des médias au travers d’une nouvelle institution indépendante, technique et spécialisée, à savoir : le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (Csac).

La mise en place du Csac est intervenue après une longue période de confusion institutionnelle[5] en matière de régulation des médias en RDC. Durant une période de cinq ans, l’autorité de réglementation ayant repris dans ses attributions la régulation, sur fond de l’exposé de motifs de la loi n°96-002 du 24 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse.[6]

En effet, la Ham n’a été mise en place que pour la seule période de la transition allant de 2003 à 2006 alors que le Csac, institution « pérenne », n’a été mis en place qu’en 2011. C’est à dire après une période de plus ou moins cinq ans de confusion à propos de l’institution qui avait compétence pour réguler les médias.

Entretemps, dans le cadre de la réforme institutionnelle, en 2004, les journalistes ont mis en place l’ « Observatoire des médias congolais » (Omec), voulu comme une instance d’autorégulation de la presse, ou, pour reprendre l’expression des professionnels des médias, comme « tribunal des paires ». Il a été rendu compétent pour connaître des fautes déontologiques commises dans l’exercice de la profession de journalistes.

Comme on peut bien le remarquer, ces différentes expériences de reformes constituent d’importantes étapes d’amélioration de la qualité de la liberté de la presse et par voie de conséquence l’amélioration de la démocratie dont les deux pieds sont généralement la justice[7] et la liberté d’expression.

Il faut cependant faire remarquer que toutes ces reformes ont été partielles, incomplètes et inachevées, tant du point de vue de leur conceptualisation que du point de vue de leur mise en place. Pour ce qui est du Csac, on notera par exemple plusieurs maladresses qui encadrent sa naissance et qui demeurent perceptibles dans ses textes fondateurs. Tandis que pour l’Omec, on relèvera un manque de sens pratique qui a caractérisé sa conceptualisation et sa mise en place, et qui a généré son caractère in-opérationnel depuis environ une décennie.

Ces reformes successives sont en plus restées peu bénéfiques pour la profession journalistique tant elles n’ont pas encore permis de mettre en place un cadre normatif plus cohérent et une réglementation de référence, générale, impersonnelle et contraignante pour encadrer le développement de la profession.

Plus en clair, elles n’ont pas permis de mettre en place une nomenclature relativement exhaustive des incriminations, élucidé les éléments constitutifs de ces incriminations et élaborer des  règles de procédures uniformes qui puissent garantir la cohérence dans l’instruction des causes dont elles ont été saisies.

La conséquence de ces différentes faiblesses, comme nous le verrons dans les lignes qui suivent, est qu’une même faute, commise par cinq médias différents ou par dix journalistes de différents médias, a été différemment instruite et sanctionnée. L’interprétation des faits ayant été différente selon les circonstances de temps, d’espace et d’acteurs face à l’absence des règles communes de référence.

Ce livre a l’avantage d’expliquer plus largement les différences fondamentales entre la régulation et l’autorégulation, notamment du point de vue de leurs approches respectives, de leurs objectifs, de leurs finalités, etc. afin de tracer des lisières claires et départitrices des compétences pour chacune de ces instance.

Il se donne l’ambition de proposer l’uniformisation des principes et des règles de régulation et d’autorégulation. Il se limite cependant à élucider les fautes habituellement commises par les médias et les journalistes, propose une compréhension plus aisée de leurs éléments constitutifs mais aussi propose les procédures suivant lesquelles les instances de régulation et d’autorégulation devraient juger leurs justiciables respectifs qui s’en redent coupables.

Il s’agit, de manière claire d’un véritable manuel de procédures en matière de régulation des médias et d’autorégulation de la profession journalistique, qui sert surtout à encadrer les activités de ces deux instances, afin que, respectant les principes uniformes, généraux, impersonnels et contraignants, l’activité d’instruction et de jugement qui leur est dévolue ne génère aucun déséquilibre, aucune injustice.

Par-delà cet effort de codification et de proposition de procédures, ce livre a surtout le mérite de ne pas présenter la régulation et l’autorégulation comme des faits isolés. Il les inscrit dans une dynamique républicaine, institutionnelle et organique. Sur le plan individuel, il met aussi en valeur les droits des justiciables de ces instances à faire valoir leurs voies de recours lorsqu’ils considèrent que les décisions dont ils font objet ne sont pas justes. C’est ainsi qu’en dehors des recours devant ces deux instances ou après que celles-ci se soient totalement dessaisies des causes, les justiciables demeurent en droit de recourir devant les juridictions de l’ordre judiciaire ou devant les juridictions de l’ordre administratif pour faire valoir leurs prétentions de droits.

Voilà qui rend complet le cycle de la distribution de la justice au nom du droit !


[1] Dorénavant RDC
[2] Conformément au point V de l’Accord Global et inclusif relatif aux institutions de la transition : « Pendant la période de la transition, il est créé un Exécutif de la transition, un Parlement de la transition composé d’une Assemblée nationale et d’un Sénat, un pouvoir judiciaire constitué notamment des cours et tribunaux existants, et des Institutions d’appui à la démocratie, dans les conditions déterminées dans la Constitution de la transition. Les institutions de la transition sont : la Présidence, le Gouvernement, l’Assemblée nationale, le Sénat, les cours et les tribunaux. En plus de toutes les Institutions ci-dessus, sont créées les institutions d’appui à la démocratie suivantes ; la Commission électorale indépendante, l’Observatoire national des droits de l’homme, la Haute autorité des médias, la Commission vérité et réconciliation, la Commission de l’éthique et de la lutte contre la corruption ». Ces mêmes dispositions sont reprises par le Chapitre II de la Constitution de la transition sous la rubrique « Des institutions d’appui à la démocratie » (articles 154 à 160) en ces termes : Les institutions d’appui à la démocratie sont : la Commission électorale indépendante, l’Observatoire national des droits de l’homme, la Haute Autorité des médias, la Commission vérité et réconciliation, la Commission de l’éthique et de la lutte contre la corruption. Les institutions d’appui à la démocratie ont pour mission : de garantir la neutralité et l’impartialité dans l’organisation d’élections libres démocratiques et transparentes, d’assurer la neutralité des médias, de consolider l’unité nationale grâce à une véritable réconciliation entre les Congolais, de promouvoir et de protéger les droits de l’Homme, de favoriser la pratique des valeurs morales et républicaines. Les institutions d’appui à la démocratie jouissent de l’indépendance d’action entre elles et par rapport aux autres institutions de la République. Les institutions d’appui à la démocratie disposent de la personnalité juridique. Les institutions d’appui à la démocratie sont présidées par les représentants de la composante «Forces vives», conformément aux dispositions pertinentes de l’accord global et inclusif. Les autres composantes et entités du dialogue inter congolais font partie de leurs bureaux respectifs. Les présidents des institutions d’appui à la démocratie ont rang de «ministre», conformément au prescrit du point V 4 c de l’accord global et inclusif. Les présidents et les membres des institutions d’appui à la démocratie sont désignés pour toute la durée de la transition. Sans préjudice des dispositions de l’alinéa 1er du présent article, les fonctions de président et de membres des institutions d’appui à la démocratie prennent fin par démission, décès, empêchement définitif, condamnation pour haute trahison, détournement de deniers publics, concussion ou corruption. Conformément à l’accord global et inclusif, l’organisation ou la formation de la composante «Société civile» dont il est issu présente son remplaçant à l’assemblée nationale pour entérinement, endéans sept jours. L’organisation, les attributions et le fonctionnement des institutions d’appui à la démocratie sont déterminés par des lois organiques adoptées, dans les trente jours suivant leur installation, par l’ Assemblée nationale et le Sénat.
[3] Guyot (Jean-Claude) et Tiao (Luc-Adolphe), conceptualisent mieux cette nouvelle tendance à travers leur analyse « La régulation des médias : principes, fondements, objectifs et méthodes », Éditée par l’Institut Panos Paris, Février 2007, p 11.
[4] Guyot (Jean-Claude) et Tiao (Luc-Adolphe), Op cit, p 11
[5] Confusion purement entretenue sur le plan politique mais pas juridique (infra).
[6] Cet exposé de motifs stipule notamment qu’« en attendant la mise sur pied de la structure légale chargée du contrôle et de la neutralité des médias publics, conformément à l’article 58 point 6 de l’Acte constitutionnel de la transition[6], la compétence dévolue à celle-ci demeure assumée par le Ministère en charge de l’information et de la presse »[6] et ajoute, qu’ « il en est de même de la période précédant la mise en place effective des collèges Exécutifs régionaux prévus par la loi sur la décentralisation administrative et territoriale, lesquels Collèges sont reconnus compétents pour recevoir ladite déclaration ».
[7] Comme l’écrit Miklós Haraszti (« Les mérites de l’autorégulation des médias : Concilier droits et responsabilités, In Le Guide Pratique de l’Autorégulation des Médias, Les questions et les réponses. P.12 et suivants ») : « en promouvant des normes, l’autorégulation aide à préserver la cr

édibilité des médias auprès du public. Cela est particulièrement opportun dans les nouvelles démocraties au sein desquelles une presse indépendante est le plus souvent un phénomène récent. L’autorégulation aide à convaincre le public que les médias libres ne sont pas irresponsables. L’autorégulation protège le droit des journalistes à être indépendants et à être jugés pour leurs fautes professionnelles non pas par ceux qui sont au pouvoir, mais par leurs collègues. Lorsqu’il s’agit de remédier à des erreurs factuelles ou à des violations des droits de la personne par un journaliste, une décision des instances d’autorégulation peut atténuer la pression exercée sur le système judiciaire pour qu’il sanctionne le journaliste ». Pour compléter la pensée de Haraszti, il faut aussi relever que « la bonne pratique journalistique constitue la garantie la plus efficace contre les restrictions gouvernementales et les pressions exercées par des groupes d'intérêts particuliers. Toute tentative pour fixer des normes et principes directeurs devraient émaner des journalistes eux-mêmes ». Lire à ce propos la Déclaration de SOFIA, Résolution 35, adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO lors de  sa vingt-neuvième session (1997)
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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...