samedi 4 juin 2011

Lettre ouverte par le CERJI à Monsieur Joseph KABILA




A Son Excellence Monsieur le Président de la République,
Chef de l’Etat
Avec l’expression de notre déférence
C/° Bureau sis Palais de la Nation
A KINSHASA/GOMBE


TRANSMIS COPIE POUR INFORMATION A:

­ Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale
­ Monsieur le Président du Sénat
­ Monsieur le Premier ministre
­ Monsieur le ministre de la Communication et des Médias
Tous A KINSHASA

Excellence Monsieur le Président,

Concerne : Lettre ouverte à votre attention

Tirant tout le bénéfice de l’article 23 de la Constitution
[1], nous vous écrivons, ce jour, pour attirer votre attention sur deux questions importantes, à savoir :
­ l’état de la régulation des médias et de l’autorégulation de la profession du domaine des médias en République Démocratique du Congo (RDC) ; ainsi que
­ les dangereux tâtonnements qui retardent la réforme du cadre juridique régissant l’exercice de la liberté de la presse.

I. ETAT DE LA QUESTION

Excellence Monsieur le Président de la République,

Avec l’organisation, la tenue des élections et l’installation de nouveaux animateurs des institutions issues des urnes en 2006, la RDC a amorcé une importante réforme juridique, politique et institutionnelle.

Depuis le 6 décembre 2006, un président, vous-même, élu au suffrage universel direct est entré en fonction. C’était à l’issue d’une transition politique qui a duré trois ans et qui a été gérée par les membres des composantes et entités qui avaient pris part au Dialogue Inter Congolais en Afrique du Sud.

Plus de quatre ans après l’inauguration de ce renouveau par vous-même, la loi relative à l’exercice de la liberté de la presse est restée celle adoptée en 1996, sous le régime dictatorial du feu le Président Mobutu.

A cet état de législation anachronique s’ajoute un grave recul : celui de l’inexistence d’une autorité indépendante de régulation des médias.

La Haute Autorité des Médias a été dissoute de plein droit.

Sa loi organique qui ne contredisait pas les prescrits de la Constitution renseignait en son article 61 qu’elle n’était « applicable que pour toute la période de la transition ». La base juridique relative aux modalités et conditions de la dissolution de la HAM loge dans les articles 212 et 222 de la Constitution de la République
[2].

L’article 212, sans faire allusion à la Haute Autorité des Médias
[3], met en place un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) en ces termes :

« Il est institué un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication doté de la personnalité juridique.
Il a pour mission de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans le respect de la Loi.
Il veille au respect de la déontologie en matière d’information et d’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication.
La composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement du CSAC sont fixés par une Loi organique ».

Il échet, pour la bonne compréhension de ces dispositions, de recourir à l’article 222 de la même Constitution qui dispose :
« Les institutions politiques
[4] de la transition restent en fonction jusqu’à l’installation effective des institutions correspondantes prévues par la présente Constitution et exercent leurs attributions conformément à la Constitution de la transition.
Les institutions d’appui à la démocratie sont dissoutes de plein droit dès l’installation du nouveau Parlement.
Toutefois, par une Loi organique, le parlement pourra, s’il échet, instituer d’autres institutions d’appui à la démocratie ».

Le deuxième alinéa règle définitivement le sort de la HAM et de toutes les autres institutions d’appui à la démocratie qui ont fonctionné pendant la période de la transition ; et ceci, même après avoir constamment demandé leur reconduction pour la troisième République.

C’est d’ailleurs cette disposition de la Constitution qui a justifié que certaines d’entre ces institutions, notamment l’Observatoire National des Droits de l’Homme (ONDH) et la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), aient confectionné leurs rapports finaux qu’elles ont déposés aux archives nationales quelques semaines après l’entrée en fonction des bureaux définitifs de deux chambres du parlement issu des urnes.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Il est important de relever, que par rapport au CSAC, la Constitution ne renseigne pas qu’il sera l’équivalent de la HAM telle qu’elle a été organisée et qu’elle a fonctionné pendant la transition. Elle ne dit pas non plus que la HAM se muera en CSAC pendant la troisième République.

Dans son exposé des motifs, la Constitution dit clairement que « pour garantir la démocratie en République Démocratique du Congo, la présente Constitution retient deux institutions d’appui à la démocratie, à savoir le Commission Electorale Nationale Indépendante (…) et le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication… » La Constitution ne dit pas qu’elle reconduit la Commission Electorale Indépendante et la Haute Autorité des Médias, telles qu’elles ont été instituées par la Constitution de la transition.

Lorsqu’à l’alinéa 1er de l’article 222 le Constituant parle des « institutions politiques », il se réfère aux institutions classiques de l’Etat et de pure nature politique. Or, durant la transition, la HAM, comme la CEI, ont été envisagées comme des organes techniques et spécialisés même si, au cours de leur fonctionnement elles ont posé certains actes à portée politique. Il y a même lieu de considérer qu’elles ont été des institutions de circonstance et qu’à ce titre, elles ne sont pas considérées par les dispositions sous examen.

Même l’argument tendant à considérer que la HAM gère les affaires courantes est non fondé du point de vue du droit, pour autant qu’en droit la gestion des affaires courantes se limite au stricte nécessaire et à l’urgence. Le gestionnaire d’affaires courantes ne peut donc pas poser des actes qui engagent une institution ou une organisation pour l’avenir.

Cette loi prévoit qu’ : « en attendant la mise sur pied de la structure légale chargée du contrôle et de la neutralité des médias publics, conformément à l’article 58 point 6 de l’Acte constitutionnel de la transition
[5], la compétence dévolue à celle-ci demeure assumée par le Ministère en charge de l’information et de la presse »[6] et ajoute, qu’ « il en est de même de la période précédant la mise en place effective des collèges Exécutifs régionaux prévus par la loi sur la décentralisation administrative et territoriale, lesquels Collèges sont reconnus compétents pour recevoir ladite déclaration ».[7]

Il ne peut juridiquement être pensé que la HAM survit, même après que la Cour Suprême de Justice ait rendu un Arrêt au mois de mars 2008, reconduisant le mandat de la HAM. Le mandat de la HAM était du seul et de l’unique ressort de la loi et il n’appartient pas à une juridiction, fut-elle la plus haute du pays, de redonner vie à une loi abrogée.

Il ne peut non plus être attribué un crédit aux actes que les anciens animateurs de la HAM produisent à ce jour en se référant à sa loi organique abrogée. En effet, ce texte prévoyait des conditions de procédure dans lesquelles la HAM décidait et qui ne sont plus réunies à ce jour. La HAM ne pouvait décider qu’à travers son Assemblée plénière conformément à l’article 23 dudit texte qui précise que cet organe « comprend 21 membres », selon les répartitions qu’elle établit elle-même par composantes.

Force est de constater enfin que ces composantes n’existent plus. Le nombre légal de 21 membres n’est plus acquis pour que cet organe puisse fonctionner normalement. La HAM ne peut donc pas envisager des sanctions à l’endroit des médias ou de leurs programmes.

Aussi, il est fort regrettable que nul ne s’aperçoive que le Ministère ayant en charge le domaine des médias a repris dans ses attributions la question de régulation, conformément à la Loi N°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse dans notre pays.

Dans un processus électoral qui se veut transparent, participatif et où la liberté d’expression doit être garantie à toutes les parties prenantes, cette concentration des pouvoirs entre les mains de l’autorité de réglementation n’est pas de nature à améliorer la qualité de l’exercice de la liberté de la presse au mieux de la démocratie.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Le manque d’appui gouvernemental à l’instance d’autorégulation de la profession du domaine des médias est une autre entorse à notre jeune démocratie.

A l’issue du congrès national de la presse organisé en mars 2004, les journalistes congolais ont mis sur pied l’observatoire des médiats congolais (OMEC). Celui-ci a pour mission de recevoir et d’examiner les plaintes émanant du public au sujet d’articles de presse ou d’émissions jugés incompatibles avec les règles déontologiques.

Il a été conçu comme « policier de l’éthique et de la déontologie des journalistes » et envisagé comme un « tribunal de paires » pour tout manquement touchant à la vie et au travail des journalistes.

Cependant, environ sept ans après, l’espoir d’une presse indépendante, professionnelle et actrice de la construction de la démocratie reste une utopie.

L’inefficacité et les faiblesses institutionnelles de l’OMEC l’empêchent d’être à la hauteur des missions lui confiées.

Et toutes ces tares corroient les bienfaits du renouveau que vous avez eu l’honneur d’inaugurer.

Dès lors, pour donner tout le sens aux dispositions des articles 24 et suivants de la Constitution relatives à la liberté de la presse dans notre pays, votre intervention s’avère urgente et impérieuse, notamment :
­ pour la reforme du cadre juridique régissant l’exercice de la liberté de la presse,
­ pour l’installation rapide d’un nouvel organe de régulation des médias et
­ pour le renforcement des capacités de l’organe de l’autorégulation des médias en RDC.

II. AVIS ET RECOMMANDATIONS DU CERJI

Excellence Monsieur le Président de la République,

Pour ce qui est de l’amélioration du cadre juridique relatif à la liberté de la presse, depuis 1996, plusieurs tentatives de réforme du cadre juridique régissant la liberté de la presse ont eu lieu dans notre pays.

La plus déterminante de toutes a été amorcée en juin 2007 par le Ministère de l’information, presse et communication nationale et a réuni toutes les tendances majeures de la profession, y compris des experts nationaux et internationaux au « Centre catholique Bondeko » de Kinshasa.

Ils ont produit deux avants propositions de lois dont l’une complétant et modifiant la loi de 1996 qui régit la liberté de la presse et l’autre portant organisation, fonctionnement et attributions du CSAC.

Après plusieurs revisitassions de ces deux textes par des commissions d’experts, seul le texte sur le CSAC a été examiné, voté par le Parlement, promulgué par vous-même et publié au Journal officiel depuis janvier 2011.

Excellence Monsieur le Président de la république,

Rien n’explique qu’à ce jour le CSAC ne soit effectivement installé, cinq mois après la publication de sa loi organique au Journal officiel.

Le Centre d’Echanges pour des Reformes juridiques et Institutionnelles (CERJI) estime que l’absence d’une instance de régulation des médias en cette période cruciale de la démocratie congolaise n’est pas de nature à crédibiliser les élections à venir.

Le CERJI considère que le caractère privé qui continue à affecter le fonctionnement de l’OMEC, n’est pas non plus de nature à conforter les droits des personnes victimes des infractions commises par voie de presse.

De ce qui précède, le Centre d’Echanges pour des Reformes juridiques et Institutionnelles (CERJI) en appelle ainsi à votre haut sens de responsabilité pour :

1. rapidement désigner et installer les animateurs du CSAC ;
2. veiller au caractère indépendant et non partisan de cet organe de régulation ;
3. donner au CSAC les moyens nécessaires pour son fonctionnement harmonieux et efficace ;
4. ordonner que soit rapidement examiné et adopté la proposition de loi modifiant et complétant la loi de 1996 relative aux modalités d’exercice de la liberté de la presse ;
5. veiller à ce que la loi à intervenir consacre de manière formelle l’OMEC comme « tribunal de paires »,
6. veiller que cette loi reconnaisse le caractère officiel de ses décisions, actes et recommandations ; avec pour conséquence que ceux-ci seront revêtus d’un caractère coercitif, gage de la protection des droits des personnes victimes des violations de la déontologie et de l’éthique des journalistes ;
7. Veiller à ce que le pays s’approprie rapidement la stratégie de développement de la radiodiffusion sonore élaborée à l’issue d’un long processus piloté par le Secrétariat général près le Ministère de l’Information et des Médias, avec l’appui des agences des Nations Unies au nombre desquelles l’UNICEF.

Dans l’espoir que notre appel retiendra votre attention, nous vous prions d’agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de nos sentiments patriotiques et de notre très profond respect.



Maître Charles-M. MUSHIZI, Directeur









Jean Claver MULENGEZI MUDUMBI, Chargé du Monitoring










[1] Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit implique la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs.
[2] http://www.presidentrdc.cd/constitution.html
[3] La Constitution ne dit pas que cette institution est créée en remplacement de la HAM. Et l’allusion souvent faite à la Commission Electorale Indépendante (CEI) vaut la peine d’être relevé à ce niveau. La Constitution ne dit pas non plus que le CENI qu’elle institue à son article 211 est l’équivalent de la CEI, tout autant dissoute de plano.
[4] Il s’agit des institutions politiques classiques dont les équivalents dépendaient de l’issue des élections (Parlement, Gouvernement et Président de la république). On se rappelle que l’Assemblée Nationale successivement dirigée par M. Olivier Kamitatu et Thomas Luhaka ainsi que le Sénat dirigé par Mgr. Marini Bodho, sont resté en fonction jusqu’à l’installation de l’actuel parlement. Et que la même situation a prévalu au Gouvernement.
[5] Il s’agit de l’Acte Constitutionnel de la Transition de 1994 produit lors de la Conférence nationale Souveraine et revu à l’occasion de plusieurs autres assises politiques dont les Conclaves politiques qui s’en sont suivies. Le ministère recouvre ainsi ce qu’en droit on appelle une compétence résiduaire, puisque la loi de 1996 demeure en vigueur et le lui reconnaît en se référant à une autre, dont « les dispositions non contraires à celle en vigueur restent d’application ». Grave recul !
[6] Cfr. Exposé des motifs et article 90 de la Loi N°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse en République Démocratique du Congo.
[7] Idem. Dans le contexte politique actuel, il s’agit de la Loi sur la décentralisation.
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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...