mardi 7 juin 2011

LE DROIT DE LA FEMME MARIEE AU TRAVAIL ET L’AUTORITE MARITALE EN CAUSE : DEFIS FAMILIAUX

I. BREF APERÇU DU CONTEXTE

La famille est durement mise à l’épreuve depuis 1994 en République démocratique du Congo (RDC). Les guerres suivies de graves violations des droits de l’homme ont désacralisé la vie et la famille. Elles ont particulièrement atteint la femme et l’enfant. Plusieurs femmes violées ont été répudiées par leurs époux. Des enfants abusés et d’autres issus d’actes des viols ont été rejetés hors de la société,… Loin de tout espoir de retrouver un jour une convivialité familiale… un lendemain communautaire…

Ces violences qu’ont connues des femmes et des filles mineures ont aussi généré des décès, des séparations des familles, des infirmités, des maladies, des conséquences néfastes sur la santé reproductive notamment par la contamination au VIH/SIDA ou par le fait des lésions et des infections qui ont sensiblement atteint leurs organismes et affaibli leurs psychologies.
[1]

Mettant le sens de la vie et la famille en danger, le phénomène du viol, utilisé par des militaires comme arme de guerre, est aussi en train de se développer chez les civils et même au sein des familles à cause de l’impunité régnante dans le pays depuis de longues années.
[2]

Un autre effet majeur et regrettable de ces guerres et de ces graves violations des droits de l’homme est d’avoir engendré la pauvreté et la misère. D’avoir contribué à la disparition de plusieurs emplois et activités génératrices de revenus pour les familles et les ménages.

Dans une approche « genre », de plus en plus répandue en RDC
[3], et avec le souci de mettre en place de nouveaux mécanismes protecteurs de la femme, de lui conférer plus de capacité à contribuer à l’équilibre matériel de sa famille et à son épanouissement personnel, le législateur congolais a élaboré plusieurs nouvelles lois et reformé d’autres qui existaient déjà sur le statut de la femme.

C’est dans ce contexte, au sein d’un espace de discussion entre Chercheurs sur la protection et la consolidation de la famille, qu’il m’a été demandé de réfléchir sur « la problématique du droit de la femme mariée au travail, de sa capacité à prester ses services dans le cadre d’un contrat d’embauche face à ce qui apparait comme une sorte de contrainte pour elle, à savoir : une préalable autorisation maritale, une opposition maritale, mais aussi face aux défis familiaux qui s’en dégagent ».

Par delà ce qui est affirmé plus haut, cette réflexion s’inscrit aussi dans un contexte peint de confusion à cause d’incohérentes reformes législatives
[4], politiques et institutionnelles sur le statut de la liberté de la femme, notamment pour ce qui est de sa capacité à engager librement ses prestations dans le cadre d’un contrat d’embauche.

En effet, sous le Code du travail de 1967
[5], il n’était pas clairement dit que la femme ne pouvait pas engager ses services dans le cadre d’un contrat d’embauche sans autorisation préalable de son époux. L'Ordonnance-loi n° 67/310 du 09 août 1967 qui a rompu avec le passé en faisant progresser les débats sur la capacité professionnelle de la femme mariée, parlait plutôt de « l’opposition » et non de « l’autorisation » maritale.

La prise de position du législateur de 1967 révélait ainsi l'institution d'un régime de liberté professionnelle, mais sous réserve de l'opposition expresse du mari. Elle a permis à la femme mariée de recouvrer sa liberté quant aux engagements professionnels qu'elle pouvait conclure, contrairement à l’époque coloniale et sous la première République où la femme mariée avait nécessairement besoin d’une autorisation maritale pour engager ses services.
[6] L’article 3 litera c du texte de 1967[7] affirmait que : « (...) la femme mariée peut valablement engager ses services, sauf opposition expresse du mari », laquelle opposition pouvait d'ailleurs être levée par le tribunal lorsque les circonstances et l'équité le justifiaient.

…On était donc déjà avancé en 1967 sur la question de la liberté de la femme en matière d’embauche. Si loin du débat qui refait jour…notamment suite au silence du code du travail de 2002 sur la capacité ou l’incapacité juridiques de la femme mariée à pouvoir travailler dans le cadre d’un contrat d’embauche.

Bien sûr, la question est aussi d’actualité dans certains pays. Elle est définitivement réglée dans d’autres. Mais elle reste plus ou moins insipide en RDC suite à certaines confusions et paresses légistiques. Elle énerve les habitudes conservatistes, mais intéresse largement les réformistes parmi lesquels les défenseurs des droits de la femme ; ceux qui luttent pour une égalité des droits entre l’homme et la femme ; ou plus ou moins pour un peu plus de liberté en faveur de la femme mariée ; ceux qui estiment qu’entre les textes et les pratiques sociales il y a un large déséquilibre en défaveur de la femme mariée et qu’une reforme devait définitivement lever les équivoques constatés.
[8]

Pour aborder cette question, nous allons diviser notre analyse en deux points, à savoir : les postulats de la loi sur le droit de la femme au travail face à la question de l’autorité, de l’opposition et/ou de l’autorisation maritales ainsi que les défis familiaux qui s’en dégagent.


II. DROIT AU TRAVAIL, OBLIGATION ET LIBERTÉ DE TRAVAILLER

A première vue, ce sous titre, délibérément choisi par l’auteur, est contradictoire.

En effet, si le travail est un droit
[9] pour tout humain et donc pour la femme (notamment pour la femme mariée, puisque c’est d’elle qu’il s’agit plus essentiellement), comment expliquerait-on qu’il devienne en même temps une obligation ? Une sorte de contrainte économique et sociale ?

Envisagée à l’égard de la femme mariée, a priori le caractère obligatoire du travail ici pourrait faire penser à une sorte d’oppression machiste.

Ensuite, si le travail est une obligation pour tout humain et donc aussi pour la femme mariée, comment concilierait-on que la liberté soit le modus operandi de cette obligation ? en clair, comment exécuterait-on une obligation de manière « libre » et « non forcée » ?

Voilà des contradictions devant lesquelles l’on se trouverait si l’on lisait sans effort d’analyse profonde, les dispositions constitutionnelles et légales qui régissent le travail et le droit du travail en République démocratique du Congo.

Et voilà pourquoi dans un premier sous point, nous illustrerons non pas cette contradiction, mais la conciliation légale, sociale et économique de ces dispositions apparemment contradictoires qui pourraient donner lieu à confusion. Dans un deuxième, nous trouverons le fondement de ce droit, de cette obligation et de cette liberté conciliées dans cet engagement social qu’est le travail.

A. Droit, obligation et liberté de travailler pour la femme mariée

Depuis le 18 février 2006, avec la promulgation de la Constitution de la 3ème République, le Constituant congolais a renforcé les droits de la femme, particulièrement son droit au travail et à l’égalité. Il a constitutionnellement consacré des droits au bénéfice de la femme afin d’opérationnaliser son option fondée sur l’approche « genre ». Il s’agit généralement pour la femme du :

­ droit à l’égalité devant la loi
[10] ; du droit à l’élimination de toute forme de discrimination, à la protection et à la promotion de ses droits[11] ;
­ droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales, la garantie de la mise en œuvre par l’Etat de la parité homme-femme dans lesdites institutions
[12] ;
­ droit à la protection contre les violences sexuelles
[13] ;
­ droit au travail, à la protection contre le chômage et à une rémunération équitable et satisfaisante et de ne pas être lésée en raison de son sexe
[14] ;
­ droit à l’accès aux établissements d’enseignement national sans discrimination (…) de sexe.
[15]

L’article 36 de la Constitution affirme que « le travail est un droit et un devoir sacrés pour chaque Congolais ». Et donc aussi pour la femme, quelle qu’elle soit, sous réserve des dispositions légales particulière sur la capacité contractuelle.
[16]

Il ajoute que « l’Etat garantit le droit au travail, la protection contre le chômage et une rémunération équitable et satisfaisante assurant au travailleur ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine, complétée par tous les autres moyens de protection sociale notamment la pension de retraite et la rente viagère ».
[17]

Pour le Constituant, tout le sens des dispositions légales sous examen se trouve ainsi circonscrit dans : le travail, une rémunération, la famille, la dignité humaine et la prospérité nationale.

Et comme pour particulièrement protéger la femme, sans considérer l’état civil de la personne qui engage ou désire engager ses prestations dans le cadre d’un contrat d’embauche, ce dernier estime que « nul ne peut être lésé dans son travail en raison de (…) son sexe (…) ; puisque « tout congolais a le droit et le devoir de contribuer par son travail à la construction et à la prospérité nationales ».

La Constitution pose donc que le travail est un droit pour tout congolais. Un espace d’épanouissement. Un moyen pour gagner de l’argent et pour un auto-développement. A contrario, mettant l’intérêt individuel face à face avec l’intérêt social, elle considère aussi que le travail est une obligation civique pour tout citoyen appelé à contribuer au développement économique et social de son pays.

Le travail est une liberté publique, au sens de la Constitution. Engagement dans le cadre d’un contrat d’embauche, il demeure l’exercice d’une liberté publique. Il est et relève d’un choix personnel, libre et délibéré. Ce qui est déjà aussi posé par le Code du travail
[18] et le Code civil livre III[19] qui consacrent la liberté de contracter et la liberté pour chacune des parties au contrat, notamment au contrat de travail, d’exécuter ses obligations contractuelles en toute liberté et avec « bonne foi[20] ».

Cependant, entre ces dispositions constitutionnelles, légales et la pratique il y a un large fossé, estime une partie de la doctrine
[21] pour qui la liberté et le droit sont limités pour la femme mariée qui désire engager ses services dans le cadre d’un contrat d’embauche ou poser des actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer en personne.[22]

Cette doctrine en veut pour preuve l’obligation pour elle de requérir l’autorisation maritale lorsqu’une femme mariée voudrait exercer une activité commerciale (Décret du 2 août 1913, article 4) ; acheter, vendre, louer, sous‐louer, ouvrir un compte en banque, faire un dépôt, conclure une transaction, conclure un contrat de travail (Code du travail, article 6, combiné avec le Code de la famille, article 448) ; être engagée dans la Fonction publique (Loi du 17 juillet 1981, article 8 ) ; ester en justice en matière civile (Code de la famille, article 450), sauf lorsqu’elle doit ester en justice contre son mari, ou lorsque ce dernier est absent ou condamné à une peine de servitude pénale de six mois, pendant la durée de sa peine (Code de la famille, art. 451), etc., au sens de la même doctrine.

Cette partie de la doctrine tend à considérer qu’en pratique « la femme fait l’objet d’une discrimination en matière de travail » puisqu’elle ne peut si elle est mariée, ni recevoir valablement la rémunération de son travail, ni en disposer librement
[23] ; être embauchée pour une certaine catégorie de travaux[24] ; travailler la nuit dans les établissements industriels publics ou privés.[25]

A la base, de ces limitations se trouve la question de l’autorisation maritale et de l’opposition maritale à l’exercice professionnel pour son épouse. En effet, la notion de l’« autorité maritale classique » reconnue comme élément garant de l’unité et de l’intégrité familiale est souvent matérialisée dans « l’autorisation maritale ».
[26]

D’où l’importance de l’examiner, dans un point séparé et plus détaillé, comme élément de la capacité professionnelle pour une épouse.

B. Conciliation de l’autorité maritale, du droit et de l’obligation de travailler pour la femme mariée

L’autorisation maritale est l’acte verbal ou écrit par lequel l’époux donne pleine capacité à son épouse d’engager ses services dans le cadre d’un contrat d’embauche ou plus généralement de poser un ou plusieurs actes juridiques bien déterminés. En effet, l’article 448 dispose que « la femme doit obtenir l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer en personne ».

Ceci parce que la loi dispose : « le mari est le chef du ménage » à qui sa femme doit obéissance et que « sous la direction du mari, les époux concourent, dans l’intérêt du ménage, à assurer la direction morale et matérielle de celui-ci »
[27].

Il est bon de rappeler que ces dispositions ont souvent fait peur et énervé les défenseurs des droits de l’homme qui y voient une sacralisation de l’inégalité des droits entre époux. Une subjugation de la femme mariée…

Cette dernière considération est erronée. Elle est même trompeuse dans la mesure où on lit ces dispositions de manière unilatérale et isolée. Dans la mesure où le lecteur ne les contextualise pas.

Je veux dire, autant que le fait la Bible, la loi équilibre les rapports entre époux. Ces deux textes de référence attribuent à chacun des époux une gamme de droits mais aussi des charges spécifiques et propres à leurs natures respectives pour des raisons de justice, de complémentarité et non pour une superposition de l’un à l’autre en termes de subjugation.

C’est ainsi que la loi qui considère le mariage comme un « contrat
[28] », oblige le mari de « protéger » sa femme[29] et celle-ci d’obéir, d’être soumise à son mari.

Cette loi emprunte au principe d’égalité entre époux, qui lui-même participe de la culture croyante répandue dans le pays. C’est ainsi qu’elle dispose que « si l’un des époux est frappé d’incapacité ou s’il est absent, l’autre exerce seul les attributions prévues à l’article précédent »
[30], puisque « les époux contribuent aux charges du ménage selon leurs facultés et leur état ».[31]

A la lecture combinée de toutes ces dispositions, il apparait clairement que l’autorisation maritale est une simple « voie de coordination » et non d’oppression ni de subjugation. Elle est une modalité par laquelle la famille retrouve son unité, par laquelle le mari exécute une très difficile obligation humaine, légale et chrétienne : celle de « maintenir l’union et la cohésion de la famille à travers des choix rationnels, humains et charitables en considération de ce qui est essentiel pour la famille et pour chacun de ses membres ».
[32]

Sur le plan strictement formel, l’autorisation maritale n’est pas toujours écrite. Elle est bien souvent verbale d’ailleurs. Ce qui démontre la souplesse avec laquelle les couples la conçoivent. Elle est souvent non pas une formalité administrative mais plutôt un résultat du dialogue et des échanges sur les questions essentielles du ménage. L’autorisation maritale est tellement a-formalisée que, comme le dit la loi « si l’un des époux est frappé d’incapacité ou s’il est absent, l’autre exerce seul ses attributions ».

Comme dit plus haut, on remarque bien que finalement toutes ces dispositions légales ramènent à l’idée d’égalité et d’équilibre d’époux dans l’exercice de leurs devoirs d’état et dans la conduite et la gestion du ménage. En fait l’article 451 du Code de la famille est déjà éloquent puisqu’il dispose que « l’autorisation du mari n’est pas nécessaire à la femme… si le mari est absent ».

C’est tout dire ! Pour moi, cela signifie qu’en toute égalité, chacun des époux peut valablement diriger le ménage à l’absence de l’autre.

Plusieurs défenseurs des droits de la femme considèrent à tort que l’autorisation maritale est anachronique et qu’elle devrait être supprimée de toutes les législations congolaises. L’autorisation maritale n’apparaît pas à leurs yeux comme « un mécanisme de protection, un outil et une voie de coordination harmonieuse ».

Pourtant, du point de vue de la solidarité qui doit régner au sein de la famille, l’article 458 du Code de la famille stipule que « les époux se doivent soins et assistance réciproques pour la sauvegarde des intérêts moraux et matériels du ménage et des enfants. Ils se doivent mutuellement fidélité, respect et affection ».

III. DEFIS FAMILIAUX

Si le principe de l’autorisation maritale a fonctionné de manière excellente dans les années 80 et 90 et particulièrement au sein des familles où les épouses étaient majoritairement ménagères, il connait quelques difficultés depuis, notamment à cause du fait de la scolarisation de la femme. De plus en plus les femmes obtiennent les mêmes diplômes que les hommes, acquièrent les mêmes aptitudes et prétendent aux mêmes compétences professionnelles, au risque de considérer généralement l’autorisation maritale comme un frein à leur liberté et à leur choix d’exercer leurs compétences.

Toute la problématique est là !

Que deviennent l’autorité maritale et l’autorisation maritale lorsqu’au risque de tout une épouse tient à prester ses services dans le cadre d’un contrat d’embauche ? Comment penser que le désir effréné de la femme à exercer effectivement ses compétences ne puisse mettre en mal la cohésion familiale ? Comment faire en sorte qu’octroyée, l’autorisation maritale ne génère quelque manque à gagner pour la famille ni pour chacun de ses membres ? Comment envisager la protection de jeunes enfants contre différents maux sociaux à la suite de l’absence de leurs deux parents pris dans l’engrenage professionnel ? Comment garantir l’équilibre de la croissance des enfants en s’assurant d’un minimum d’attention sur eux et sur leurs études ?

L’exercice de la liberté, du droit et de l’obligation de la femme mariée au travail peut être à la base d’un nombre incalculable de défis économiques, des défis à l’encontre du couple lui-même et même des défis à l’encontre des enfants.

Le manque de moyens financiers pour l’instruction des enfants et pour la survie de la famille, les risques de rupture du couple, l’abandon de l’éducation des enfants dû à l’occupation professionnelle,… sont ainsi parmi les plus importants et les plus vécus au sein des familles où tous les deux époux travaillent.

A. Risque de rupture

Le professeur Bongo-Pasi circonscrit bien ce risque, notamment à propos du défi de rupture lorsqu’il écrit qu’il « y a une véritable crise d’autorité et de responsabilité dans les familles aujourd’hui. La modernité, la parité, le féminisme exigent le partage de l’autorité parentale. Là où cela est mal compris, la famille se disloque et l’autorité qui crée l’unité et la discipline s’effrite », ajoutant que « dans une famille, les rôles doivent être bien définis et hiérarchisés de manière naturelle ou par convention. La crise existe là où une épouse est libre de décider de sa vie (…). La crise existe aussi là où l’homme et la femme permutent leurs rôles.
[33]

Et Luwenyema Lule
[34] de renchérir à propos du risque de rupture du couple : « dans la pratique, il y a pour la femme une liberté qui ne s'exerce vraiment qu'avec le consentement tacite du mari, car si celui-ci refuse, le ménage peut sérieusement en pâtir. L'entêtement de la femme face à l'opposition du mari entraîne souvent la dislocation du foyer ».

Une sorte de mise en garde ? Mukadi Bonyi
[35] abonde dans le même sens lorsqu’il estime que « le droit reconnu à la femme de s'adresser au tribunal pour obtenir la levée de l'opposition ne constituait qu'une illusion ». Du fait qu’« en pratique, le recours au tribunal ne se conçoit qu’au sein des ménages qui ne s'entendaient pas.. ».

Cependant, dans les familles congolaises où le dialogue a disparu. « D'une manière générale dès que le mari use de son droit d'opposition, la femme se voit obligée de se soumettre à la volonté de son mari »
, écrit Mukadi Bonyi[36]. Ceci arrive généralement au sein des couples où la femme se refuse à la séparation.

S’agit-il là d’une sorte de résignation ?

La pratique familiale congolaise ne nous permet pas de l’affirmer. D’une part, la société congolaise est fortement « nuptialiste
[37] » et donc fort attaché au mariage ; d’autre part, dès que mariées, les femmes congolaises démontrent toujours plus d’attachement aux enfants qu’à leurs maris. Et tous les hommes le savent d’ailleurs !

A la suite de ces pratiques congolaises, je considère donc que ce qui apparait ici comme une résignation pour la femme mariée est en fait une décision de sauver le couple, la famille et le ménage qui en participe. Et il n’y a pas plus sage décision !

Heureusement que cela est d’autant illustré que pour consolider l’idée et la réalité de famille, pour les conflits pouvant surgir, la loi érige la famille en une instance privilégiée pour leur règlement pacifique et à l’amiable. La famille intervient ainsi comme un « tribunal pour la paix et l’harmonie ». Et l’instance érigée à cet effet par la loi est appelée « conseil de famille ».

B. Défis économiques

La question de la pauvreté et du manque de ressources pour les familles peut être à la base d’une décision de travailler pour la femme mariée et/ou de deux époux.

En RDC, des rapports
[38] affirment que plus de 85% de la population congolaise vit dans une extrême pauvreté, notamment à cause de l’absence des mécanismes de justice distributive, du manque de production interne et des failles de tout le système étatique.

On peut relever qu’il y a de longs mois que les fonctionnaires de l’Etat et autres professionnels qui émargent de son budget n’ont pas été payés. Depuis de longs mois donc, des pères et des mères des familles qui travaillent pour l’Etat n’ont pas reçu leurs salaires. Ce qui en clair veut dire que des familles ont été privées de leurs ressources vitales.

En invoquant la question du revenu familial qui est aussi un élément de l’harmonie et de la sécurité de la famille et particulièrement des enfants, on ne saurait occulter cette autre question de l’autorisation du mari pour une épouse qui désire contribuer à la génération de revenus pour le ménage, pour la protection de la famille et de ses membres.

Les défis économiques auxquels font face les familles sont ainsi mis à nus. Et la dure épreuve d’autoriser une femme à travailler peut s’avérer comme une fatalité pour le mari qui se retrouverait, à titre illustratif, devant un manque de ressources pour sa famille alors même que le milieu professionnel où voudrait s’engager son épouse, un rare privilège, ne lui semble pas propice, notamment du point de vue de la moralité.

C. L’éducation et la surveillance des enfants

Bien souvent, les effets de la crise ou même du conflit que peut entrainer l’absence des parents pour des raisons professionnelles entrainent l’irresponsabilité des parents et l’abandon des enfants. « Le phénomène des enfants de la rue est une preuve de la démission des parents et des familles » surtout en RDC, comme écrit le professeur Bongo-Pasi.

Il est courant que ces effets favorisent la fuite des enfants du toit familial ou, à moyen terme, leur « incontrôlabilité ». Ces enfants, dont la place se trouve à l’école, seront désormais obligés d’être des enfants de personne (pour reprendre l’expression du professeur Bongo Pasi), …des enfants de la rue contraints à une vie sans lendemain caractérisée par des actes criminels de fois comme le vol, le vagabondage, …

Les causes profondes du phénomène « enfant de la rue » ou « enfant sorcier » est souvent aussi l’absence des parents qui engendre l’absence d’espaces familiaux de dialogue, de communication et de planification de l’avenir des enfants. Et comme on le sait, le manque de dialogue tue la famille et les relations de famille. La convivialité, le dialogue et la communication créent la famille et libèrent la famille de plusieurs entraves.

La place du travail de la femme par rapport à la vie de couple et à la gestion quotidienne du ménage doit faire objet d’une option, notamment au sein des couples où l’homme et la femme n’ont pas les mêmes horaires ou ne travaillent pas dans la même ville.

L’option doit absolument prendre en compte la question de l’éducation des enfants qui, en RDC et généralement en Afrique, est une tâche presque toujours mise à la charge de la femme, mère et épouse.

IV. CONCLUSION

Je voudrais conclure cette note de réflexion sur trois interpellations.

La première : sur le plan étatique et institutionnel

Il est une exigence pour l’Etat de garantir la justice à l’égard de ses citoyens mais aussi d’assurer l’égalité du genre humain.

En cela il doit s’assurer que des mécanismes nécessaires sont mis en place et qu’il est renforcé dans ses capacités responsives institutionnelles face aux demandes de protection de la famille, de la vie, des enfants et de la jeunesse, qui le demandent si constamment.

Cette réponse ne doit pas s’arrêter sur l’adoption de nouvelles lois et sur la mise en place de nouvelles institutions sans ressources humaines et matérielles nécessaires et adéquates.

La deuxième : Sur le plan individuel et familial.

Nous ne devons pas nous y tromper. Tous ces défis sont bien réels et vécus au quotidien par des milliers des familles à travers le monde et tout particulièrement en République démocratique du Congo.

Et à propos, comme écrit un auteur, « ma petite expérience m’invite à penser que quand le couple est uni et généreux, quand la communication et le soutien mutuel sont présents, la plupart des situations peuvent être gérées. Ce qui tue un couple, ce sont les petites ruptures sans réconciliation, le repli sur soi, la distance qui s’installe petit à petit. Ce qui tue un couple, ce n’est pas tant le fait de se voir peu que le fait de se voir sans se regarder. Quand on aime quelqu’un, on le porte partout avec soi. Quand on aime et que l’esprit de dialogue souffle sur le couple, quand les grands choix de vie sont pris de commun accord, le couple peut résister et affronter vents et marées ».
[39]

Pour nos familles respectives, il est souhaitable que la question de l’autorité ou de l’autorisation maritale soit au cœur du dialogue pour qu’elle n’apparaisse pas comme une oppression machiste au sein du couple, mais plutôt comme un moyen de sauvegarder l’unité de la famille à travers l’unité de la direction du ménage, conformément à la bible
[40] et aux lois de nos pays.

La troisième : sur le plan ecclésiastique

Face aux défis qui mettent à mal la famille Benoît XVI disait en mars 2006 pendant qu’il rencontrait le clergé de Rome « l’Eglise doit aider à sauver la famille ». Le pape interpellait ainsi « les responsables de l’église catholique sur l’importance pour eux de s’impliquer dans la protection de la famille qui fait objet de plusieurs attaques ».

Pour cela, il est nécessaire que l’Eglise renforce ses capacités opérationnelles pour la sauvegarde de la famille et pour le renforcement du niveau d’éducation morale et chrétienne. Des programmes d’information et de formations des couples s’avèrent ainsi nécessaires à double titre : constituer des espaces d’apprentissage et d’échanges antre couples, prémunir les couples des connaissances sur les nouveaux défis que connait l’institution famille, en Afrique où l’Eglise constitue, depuis longtemps, un important outil de formation, d’information, d’éducation et même « d’endoctrinement positif », .

Faisant face à tous ces défis, espérant grandement que la grâce de Dieu nous permettra de maintenir le dialogue familial pour y faire face, ma famille à Kinshasa et moi-même ici présent vous remercie pour votre attention !
[1]Lire le www.with.jrs.net/files/VS_RDC.pdf et le www.unfpa.org/emergencies/symposium06/docs/centralafricanrepublicdaytwosessionfivec.ppt
[2] Au cours de l’année 2007, la Commission Provinciale de Lutte contre les Violences Sexuelles appuyée par l’UNFPA a enregistré 2.648 nouveaux cas contre 2.471 en 2008 au premier semestre, dont 99,9 % de femmes et 0,2 % d’hommes. Près de 64 % des auteurs sont des hommes en uniforme, 35,4 % des civils et 0,5 % des personnes non autrement identifiées. Ces auteurs de viols dont 60 % sont des adultes et 31 % des mineurs de moins de 18 ans sont généralement des personnes ayant subi des traumatismes divers non pris en charge.
[3] Un projet de loi sur la « mise en œuvre de la parité homme-femme en République démocratique du Congo » a été déposé par le gouvernement devant l’Assemblée nationale le 25 mars 2011. Celle-ci l’a déclarée recevable le 14 avril 2011 pour ultérieur examen. Ce projet de loi qui va consacrer l’égalité entre l’homme et la femme en exploitation des disposition des articles 12 et suivants de la Constitution qui affirme que « tous les congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection devant la loi ».
[4] Déjà énoncé dans le bref aperçu du contexte.
[5] L'Ordonnance-loi n° 67/310 du 09 août 1967 est un texte promulgué sous la vague révolutionnaire de la Deuxième République (le Zaïre).
[6] On se rapportera ici au Code civil livre Ier, abrogé par la loi N° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (J.O.Z., no spécial, 1er août 1987.
[7] Aussi abrogé par la Loi N°015-2002 du 16 octobre 2002 portant code du travail.
[8] On peut lire dans l’exposé des motifs du projet de « loi sur la parité homme-femme en République démocratique du Congo » qui se veut particulièrement ambitieuse de changer le cours des pratiques professionnelles : « des inégalités de droits, de chances et de sexe persistent encore entre les hommes et les femmes et font perdre à la RDC l’utile contribution des femmes à la réalisation de ses objectifs de développement humain durable. Cette persistance des disparités entre hommes et femmes est constatée dans les domaines politique, économique, social et culturel. Lesquelles disparités entrainent inéluctablement des discriminations qui entravent la mise en œuvre de la parité ».
[9] C'est-à-dire un droit objectif ; ou celui échu à l’humain en tant que tel, de manière inconditionnelle. Une liberté publique qui ne demande qu’à être exercée. Finalement ou tout simplement « un droit de l’homme »
[10] Article 12 de la Constitution
[11] Article 14 de la Constitution
[12] Article 14 de la Constitution
[13] Article 15 de la Constitution
[14] Article 36 de la Constitution
[15] Article 45 de la Constitution
[16] On se rapportera ici sur les dispositions du Code civil livre III. 30 juillet 1888 – DÉCRET – Des contrats ou des obligations conventionnelles.
[17] Constitution du 18 février 2006, Journal officiel, numéro spécial du 18 février 2006. Le nouveau mot introduit par le constituant, à savoir : la famille, est une espère de passerelle pour illustrer la question.
[17]Loi N°015-2002 du 16 octobre 2002 portant code du travail.
[18] Loi N° 015-2002 du 16 octobre 2002 portant code du travail
[19] 30 juillet 1888 – DÉCRET – Des contrats ou des obligations conventionnelles.
(B.O., 1888, p. 109)
[20] Une nouvelle expression qui s’ajoute à la liberté.
[21] Journée internationale de la femme : quoi de neuf en RDC ? Mukadi Bonyi, Dr. Jur. KU Leuven, Avocat, Professeur ordinaire, Centre de recherche en Droit social (CRDS), 8 mars 2008
[22] Lire le code de la famille notamment en son article 448
[23] Article 102 du Code du travail est muet à ce sujet
[24] Code du travail, article 128
[25] Journée internationale de la femme : quoi de neuf en RDC ? Mukadi Bonyi, Dr. Jur. KU Leuven, Avocat, Professeur ordinaire, Centre de recherche en Droit social (CRDS), 8 mars 2008. Lire aussi le Code du travail, article 125
[26] Se rapporter au J.O.Z., N° spécial, 1er août 1987.
[27] Lire les articles 444 et 445 de la loi N° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (J.O.Z., no spécial, 1er août 1987).
[28] Au sens le plus banal, on parlerait d’un « accord de volontés de deux personnes » pour la réalisation d’un but et des objectifs déterminés. En effet, un contrat se définit comme une convention formelle ou informelle, passée entre deux parties ou davantage, ayant pour objet l'établissement d’obligations à la charge ou au bénéfice de chacune de ces parties. L’article 1er du Décret du 30 juillet 1888 portant Les contrats ou des obligations conventionnelles en république démocratique du Congo dispose que « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. Dans son sens classique, le mariage est l'« union » légitime d'un homme et d'une femme ». Selon cette définition, c'est l'établissement officiel et solennel d'une communauté de vie appelée « famille » (ou foyer, feu, ménage,...), dont le but est traditionnellement d'instituer le cadre destiné à élever des enfants. Du point de vue de la loi congolaise l’article 330 de la loi du 1er août 1987 portant Code de la famille dispose que « le mariage est l’acte civil, public et solennel par lequel un homme et une femme qui ne sont engagés ni l’un ni l’autre dans les liens d’un précédent mariage enregistré, établissent entre eux une union légale et durable dont les conditions de formation, les effets et la dissolution sont déterminés par la présente loi ».
[29] Article 444 de la loi N° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (J.O.Z., no spécial, 1er août 1987).
[30] Article 446 de la loi N° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (J.O.Z., no spécial, 1er août 1987).
[31] Article 447 de la loi N° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (J.O.Z., no spécial, 1er août 1987).
[32] Les exemples des familles unies à ce point sont légion.
[33] Dr Willy BONGO-PASI MOKE SANGOL, Professeur Ordinaire et Doyen Honoraire, « Crise familiale et réponses réparatrices ». Network of African family scholars, 3rd annual colloquium, Strathmore business school, centre for research on organisations, work and family
Nairobi, Kenya, November 26th to 28th
[34] Yves-Junior MANZANZA LUMINGU, La capacité de la femme mariée en matière du travail en droit français et en droit congolais, Mémoire défendu pour l’obtention d’une licence en droit, Université de Kinshasa, http://www.memoireonline.com/10/09/2765/La-capacite-de-la-femme-mariee-en-matiere-du-travail-en-droit-franais-et-en-droit-congolais.html
[35] Idem
[36] Ibidem
[37] Le mariage est ici comme une obligation sociale. Raison pour laquelle des personnes sont mal vues, traitées de sorciers dans certaines parties du pays ou des « bitula » (invendu), de « musigala » (invendu ou reste inutile), …lorsqu’à un certain âge, si elles ne sont pas engagées dans une vie religieuses, elles ne s’engagent pas non plus dans un lien de mariage.
[38] Etude du Programme des Nations Unies pour le Développement, Kinshasa, 2010. Lire aussi Marie-France Cros, « D.C. NEWS – Vérité et Justice pour le Congo, 44 millions de congolais sur 55 millions souffrent de malnutrition » at http://dc-kin.net/info/2011/02/05/44millions-de-congolais-sur-55-millions-souffrent-de-malnutrition/
[39] Benoît Drèze, Le travail, chemin de vie et d’épanouissement ? http://www.preparation-au-mariage.ch/pages_conferences/Conference_Banneux_Dreze.pdf
[40] « Femmes, soyez soumises à vos maris autant que l’Eglise est soumise au Christ ! » La comparaison n’appelle pas commentaire pour qui connait que l’Eglise est dite « épouse du Christ ».

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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...