jeudi 30 septembre 2010

DEUX INSTITUTIONS FANTOMES DANS LE REGIME POLITIQUE DE LA R.D. CONGO

I. ETAT DE LA QUESTION

Depuis plusieurs mois, les débats se succèdent à travers les médias congolais et sur les rues en République Démocratique du Congo (RDC) à propos de la dissolution ou non de la Haute Autorité des Médias (HAM), autorité de régulation des médias pendant la transition ainsi que de la Commission Electorale Indépendante (CEI), deux de cinq « institutions d’appui à la démocratie », mises en place par les articles 154 et suivants de la Constitution de la transition.

La problématique soulevée dans les débats tourne autour de la question de savoir si « HAM et la CEI existent-elles vraiment du fait de la loi ou qu’elles continuent à fonctionner du fait d’une certaine tolérance politique au détriment de la légalité » ?

Ces deux anciennes institutions d’appui à la démocratie ont-elles survécu à la transition ? Quel serait le fondement de cette survie ? Demeurent-elles fondées à engager l’Etat ? Que dit la loi, en l’occurrence la Constitution de la troisième République (dorénavant « la Constitution »), promulguée le 18 décembre 2006 ? Que disent leurs respectives lois organiques ?

II. PROPOS DE LA HAM

La Constitution, à travers ses articles 212 et 222 offre une importante base juridique à même d’apporter des réponses de droit aux problèmes soulevés. L’article 212, sans faire allusion à la Haute Autorité des Médias , met en place un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) en ces termes :

« Il est institué un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication doté de la personnalité juridique.
Il a pour mission de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans le respect de la Loi.
Il veille au respect de la déontologie en matière d’information et d’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication.
La composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement du CSAC sont fixés par une Loi organique ».

Pour une meilleure compréhension de ces dispositions il échet, de recourir à l’article 222 de la même Constitution qui dispose :

« Les institutions politiques de la transition restent en fonction jusqu’à l’installation effective des institutions correspondantes prévues par la présente Constitution et exerce leurs attributions conformément à la Constitution de la transition.
Les institutions d’appui à la démocratie sont dissoutes de plein droit dès l’installation du nouveau Parlement.
« Toutefois, par une Loi organique, le parlement pourra, s’il échet, instituer d’autres institutions d’appui à la démocratie ».

Le deuxième alinéa règle définitivement le sort de la HAM et de toutes les autres institutions d’appui à la démocratie qui ont fonctionné pendant la période de la transition, même après avoir constamment demandé leur reconduction pour la troisième République.

C’est cette disposition de la Constitution qui a d’ailleurs justifié que certaines d’entre ces institutions, notamment l’Observatoire National des Droits de l’Homme (ONDH) et la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), ont confectionné leurs rapports finaux qu’elles ont déposés en 2006 aux archives nationales.

In fine, il est important de relever que ces dispositions constitutionnelles donnent plein pouvoir à l’Assemblée nationale d’apprécier l’opportunité de recréer d’autres institutions d’appui à la démocratie pour la troisième République (alinéa 3 de l’article 222).

Il faut aussi relever cependant que par rapport au CSAC, la Constitution ne renseigne pas qu’il sera l’équivalent de la HAM telle qu’elle a été organisée et qu’elle a fonctionné pendant la transition. Elle ne dit pas non plus que la HAM se muera en CSAC pendant la troisième République.

Dans son exposé des motifs, la Constitution dit expressis verbis que « pour garantir la démocratie en République Démocratique du Congo, la présente Constitution retient deux institutions d’appui à la démocratie, à savoir le Commission Electorale Nationale Indépendante (…) et le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication… » Elle ne dit pas qu’elle reconduit la Commission Electorale Indépendante et la Haute Autorité des Médias, telles qu’elles ont été instituées par la Constitution de la transition.

Lorsqu’à l’alinéa 1er de l’article 222 de la Constitution le législateur parle des « institutions politiques », il se réfère aux institutions classiques de l’Etat et de pure nature politique. Or, à l’issue du Dialogue Inter Congolais tenu en Afrique du Sud et qui a été le Constituant à la base de la légalité durant la transition, la HAM, comme la CEI ont été envisagées comme des organes techniques et spécialisés même si, au cours de leur fonctionnement elles ont posé certains actes à portée politique. Il y a même lieu de considérer qu’elles ont été des institutions de circonstance et qu’à ce titre, elles ne sont pas considérées par les dispositions sous examen.

Les débats à propos de la survivance ou non de ces deux institutions ont tendance à ignorer que « nul n’a le droit de faire une distinction lorsque le législateur n’en fait pas ; puisque lorsqu’il veut, le législateur dit ou se tait ».

En empruntant un article défini « les » institutions d’appui à la démocratie sont dissoutes de plein droit, le législateur s’adresse clairement à « toutes » sans distinction. Les discussions parlementaires autour de la Loi budgétaire de 2007 renforcent cette considération. En effet, il a été relevé que le Projet de budget déposé par le Gouvernement prévoyait une ligne pour la HAM et la CEI. Les députés nationaux, à l’issue des discussions avaient recommandé que cette ligne soit réaffectée à d’autres services de l’Etat du fait que les institutions auxquelles elles s’adressaient n’existent plus.

Mais d’où vient que trois ans plus tard elles aient continué à bénéficier de l’appui budgétaire de l’Etat ? La question reste posée… En tout cas, quelques anciens animateurs de l’ancienne autorité de régulation des médias continuent à produire des déclarations, décisions, recommandation et communiqués de presse réclamant la survie de la HAM sur base du principe de la « régularité et de la continuité des services publics de l’Etat ».

Une nouvelle fois, il est important de relever que cette justification reste fondée sur un simple principe général de droit.

C’est le lieu de rappeler que dans la hiérarchie des sources de droit (règles de droit applicables en cas de conflit), il ne peut être fait recours aux principes généraux de droit que si la jurisprudence et les Lois (Lois ordinaires, Constitutions, Conventions et traités internationaux régulièrement introduits dans la législation interne) sont muettes ; alors qu’en l’occurrence, la Constitution réserve déjà une réponse suffisamment éloquente et définitive quant au sort de la HAM.

Même l’argument tendant à considérer que la HAM expédie les affaires courantes ne peut être fondé du point de vue du droit, pour autant qu’en droit l’expédition des affaires courantes se limite au stricte nécessaire et à l’urgence. Le gestionnaire d’affaires courantes ne peut donc poser des actes qui engagent l’institution pour l’avenir. Or, les décisions et communiqués récemment produits par quelques anciens animateurs de la HAM ont toutes tendances à disposer pour l’avenir.

En outre, une malheureuse confusion refait irruption dans les débats lorsque les intervenants sur la question considèrent que la mise en place de la Cour Constitutionnelle par la Constitution relève de la même réalité que la mise en place du CSAC. Aucun parallélisme n’est possible entre la Cour Suprême de Justice et la HAM du fait que ces deux institutions ne sont pas d’une même nature et n’ont pas les mêmes fonctions. Alors que le CSAC est voulu comme un organe technique de régulation des médias, la Cour Constitutionnelle est un organe judiciaire appartenant à un des pouvoirs classiques de tout Etat moderne, à savoir : le pouvoir judiciaire.

A propos de la dissolution de la HAM, son ancienne loi organique qui ne contredit pas les prescrits de la Constitution renseigne en son article 61 qu’elle n’est « applicable que pour toute la période de la transition ».

En effet, il ne peut juridiquement être pensé que la HAM ait survécu, même après que la Cour Suprême de Justice ait rendu un Arrêt au mois de mars 2008, reconduisant son mandat.

Le mandat de la HAM n’était que du seul et de l’unique ressort de la loi et il n’appartenait pas à une juridiction, fut-elle la plus haute du pays de redonner vie à une loi abrogée. D’ailleurs, en termes clairs la compétence de la Haute Cour en cette matière reste discutable, notamment en considération des articles 155 à 160 du Code de l’organisation et de la compétence judiciaires qui se rapportent particulièrement à sa compétence.

Les conséquences sur les actes produits par les quelques anciens animateurs de la HAM sont claires du point de vue du droit : il s’agit d’actes juridiquement inexistants puisque fondés sur une loi abrogée, pris par des personnes on investies des compétences quant à ce et pris selon les procédures non écrites. Sur le plan de la responsabilité juridique ils engagent leurs auteurs, à titre particulier, notamment pour usurpation des pouvoirs.

Par ailleurs, les textes qui régissaient la HAM décrivaient les procédures dans lesquelles elle fonctionnait et décidait. Par exemple, la HAM ne pouvait décider qu’à travers son Assemblée plénière conformément à l’article 23 de son ancienne loi organique qui précise que cet organe « comprend 21 membres », selon les répartitions qu’elle établissait elle-même. Il s’agissait des répartitions par « composantes » politiques d’alors.

Ces composantes n’existent plus et le nombre légal de 21 membres n’est plus acquis pour que la HAM ou ce qu’il en est présenté puisse valablement siéger, décider ou recommander.

L’option levée, deux questions demeurent : à la dissolution de la HAM, la régulation des médias est-elle abandonnée à un vide juridique et institutionnel ? Quelle est finalement l’autorité qui assume la régulation des médias en l’absence de la HAM et sur base de quelle base juridique ?

L’on pourrait être tenté de croire que la question de la régulation des médias est effectivement abandonnée à un vide juridique et institutionnel. Cette considération est erronée pour la simple raison qu’avant l’institution de la HAM, les dispositions qui réglaient la matière demeurent celles de la Loi du 24 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse en RDC.

Elles prévoient qu’ : « en attendant la mise sur pied de la structure légale chargée du contrôle et de la neutralité des médias publics, conformément à l’article 58 point 6 de l’Acte constitutionnel de la transition , la compétence dévolue à celle-ci demeure assumée par le Ministère en charge de l’information et de la presse » et ajoute, qu’ « il en est de même de la période précédant la mise en place effective des collèges Exécutifs régionaux prévus par la loi sur la décentralisation administrative et territoriale, lesquels Collèges sont reconnus compétents pour recevoir ladite déclaration ».

Ceci dit, la HAM dissoute de plein droit, il est fort regrettable que le ministère ayant en charge les médias ait repris dans ses attributions la question de la régulation des médias.

En effet, cette concentration des pouvoirs de régulation des médias entre les mains d’une autorité qui a en même temps la charge de la réglementation dans le domaine des médias a déjà donné lieu à moult dérapages, notamment pendant le deuxième République et même plusieurs années avant le Dialogue Inter Congolais.

III. A PROPOS DE LA CEI

D’autant qu’une comparaison a été faite entre la situation de la CEI qui a aussi continué à fonctionner après la transition et celle de la HAM, il est important de relever que, contrairement à la loi organique de cette dernière, celle de la CEI était éloquente sur les conditions, les modalités et les procédures de sa dissolution.

L’article 39 de la loi organique de la CEI disait in extenso que « la commission Electorale indépendante est dissoute de plein droit après l’adoption de son rapport général sur les dernières élections par le Parlement issu des élections législatives ».

Ce rapport devait être subséquent à l’organisation et à la tenue effective des élections générales et à tous les niveaux sur l’étendue du pays. Il devait aussi prendre en compte les scrutins annulés, notamment au Kasaï et en Equateur ainsi que les élections locales, attendues jusqu’à ce jour.

Contrairement à la HAM, la CEI se trouvait ainsi dans toutes ses attribution ordinaires même après la transition, qu’elle exerçait dans les limites des prescrits de l’article 221 de la Constitution qui dispose que « Pour autant qu’ils ne soient pas contraires à la présente Constitution, les textes législatifs et réglementaires en vigueur restent maintenus jusqu’à leur abrogation ou leur modification ». Le fait pour la loi organique de la CEI de ne pas être contraire à la légalité établie repose simplement sur le fait que celle-ci conservait ses attributions ordinaires jusqu’à la publication de son rapport final, conformément à sa loi organique.

Ces dispositions n’ont jamais été applicables à la situation de la HAM à l’égard de laquelle il ne se pose aucune condition de forme pour sa dissolution ni aux trois autres institutions d’appui à la démocratie qui ont fonctionné pendant la transition et qui, elles, ont démontré d’une élégance suffisante pour élaborer et déposer leurs rapports finaux à qui de droit et dans les délais impartis. Ceci, ajouté au fait que les acteurs politiques s’étaient accordés que le mandat de la CEI serait prorogé jusqu’à couverture totale du travail attendu d’elle, notamment : réorganiser les élections annulées ainsi que préparer et tenir les élections locales.

Voilà qui a justifié qu’entre 2006 et 2009, la question de la survie de la CEI n’a pas soulevé une importante contestation.

Il reste dommage que la CEI n’ai été assujettie à aucune échéance pour le dépôt de son rapport final. Et il faut même regretter qu’elle ait continué à fonctionner, finalement en empiétant, sans raison, sur les compétences d’autres institutions légalement établies.

En effet, depuis la fin du mois d’août 2010, les questions d’actualité sont celles de savoir « d’où vient que la CEI ait continué à fonctionner après vote et mise sur pied de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ? Pourquoi trois mois après promulgation de la loi organique de la CENI c’est la CEI qui a élaboré et publié le calendrier électoral des élections de 2011 à 2013, alors que dans son préambule, la loi sur la CENI affirme à son article 211 que « la Constitution confie à la Commission électorale nationale indépendante la mission d’assurer la régularité du processus électoral et référendaire ? »

Les violations commises par quelques membres de la CEI sont à ce point que l’article 3 de la loi organique de la CENI affirme que celle-ci « est chargée de l’organisation de tout le processus électoral et référendaire. Elle en assure la régularité ».

Des sources indépendantes tendent à considérer que « la survie politique et non juridique de la HAM et de la CEI participe du devoir de reconnaissance pour la qualité et la nature de leur contribution à la victoire de Joseph Kabila et de certains autres membres influents du régime en place en RDC. Ces derniers auraient ainsi décidé de ne pas porter ombrage aux vaillants collabo qui leur ont assuré la victoire…la place au soleil ».

« La HAM a pesé de tout son poids pour laisser la RTNC sous le contrôle du PPRD, parti de Joseph Kabila, et la CEI a démontré toute sa faiblesse au point d’apporter tout son soutien aux candidats de ce parti », affirment les mêmes sources.

Il apparait que la survie de la HAM et de la CEI relève d’une tolérance politiquement immorale, d’une sorte de corruption d’Etat, en récompense à quelques individus qui seraient, à la fin de la transition politique, en mal d’emploi ; ou plutôt d’individus gratuitement nourris désormais par la caisse du trésor…par l’argent du contribuable congolais, pour avoir accepté d’utiliser les institutions publiques au bénéfice de quelques individus. Ce qu’on a encore vu, d’ailleurs lors des élections provinciales au Sud Kivu en juin 2010.

Finalement, le calendrier électoral publié par la CEI fait réapparaitre une sorte de parti pris pour cette ancienne institution d’appui à la démocratie en faveur du régime politique en place. Les mandats du président de la République et des parlementaires s’y retrouvent "proroge" du fait de « fixer au 27 novembre 2011 » le premier tour de la présidentielle. Ainsi selon ce calendrier, le nouveau président issu de prochaines élections devrait prêter serment le 10 janvier 2012 s'il est élu au premier tour et le 4 avril s'il est élu au second.

En effet, il aurait été tout logique que soit compté 5 ans entre le 6 décembre 2006, date à laquelle avait prêté serment le président élu en 2006. Ainsi la prestation de serment du nouveau président qui serait élu au deuxième tour devrait intervenir le 6 décembre 2011 et non le 4 avril.

IV. CONCLUSION

La gestion de la diversité au niveau des médias requiert un cadre de régulation devant garantir aux citoyens une saine jouissance et exercice de la liberté d’expression, de la liberté d’information et d’émission par la radio, la télévision et d’autres moyens de communication des masses.

C’est donc à ce titre que le peuple congolais, en adoptant, lors du referendum populaire, le projet de la Constitution promulguée en décembre 2006 et actuellement en vigueur, a créé une institution d’appui à la démocratie dénommée Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) en remplacement de la Haute Autorité des Médias (HAM) qui a fonctionné durant la transition politique.

La nouvelle institution de régulation des médias, aux termes de l’article 212 de la loi fondamentale sus-évoquée sera entre autres tâches chargée de :
 garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ainsi que tous les moyens de communication des masses dans le respect de la loi ;
 veiller au respect de la déontologie en matière d’information et ;
 veiller à l’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication.

De même, la Constitution affirme qu’il est institué une Commission électorale nationale indépendante dotée de la personnalité juridique et qui est chargée de l’organisation du processus électoral notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum. La CENI assure la régularité du processus électoral et référendaire.

Les lois organiques de ces deux institutions d’appui à la démocratie, les seules mises en place par la Constitution, ont été votées par le Parlement et promulguées, depuis de longs mois par le président de la République.

Le défaut d’installation effective de ces deux institutions et la continuation de fonctionnement de la HAM et de la CEI soulèvent plusieurs problèmes dont certains sont relatifs à légalité et à la légitimité tandis que les autres sont plutôt relatifs à la moralité et à la probité politiques.

Connaissant à qui bénéficie cette immoralité politique, il apparait que non seulement un groupe politiquement fort s’arroge le pouvoir de faire accepter par l’ensemble de l’opinion interne et externe des actes juridiquement inexistants, pris dans des formes irrégulières par des organes irrégulièrement constitués et sur base des lois abrogées mais aussi s’arroge le pouvoir de dilapider l’argent du contribuable congolais à nourrir quelques « alliés » en mal d’emploi.

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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...