mercredi 7 octobre 2009

LE SIDA DANS LE CONTEXTE DE LA RD. CONGO

I. D’entrée de jeu

Dans une question très révélatrice, Koffi Annan soulève la problématique du sida face aux femmes et aux enfants en ces termes : « la menace qui pèse sur les jeunes filles et les femmes : Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées à l’infection ? Pourquoi en est-il ainsi, puisque ce ne sont pas elles qui ont le plus grand nombre de partenaires sexuels en dehors du mariage ou qui sont plus susceptibles que les hommes de s’injecter de la drogue ? Habituellement, c’est parce que les inégalités de la société leur font courir des risques, des risques injustes, intolérables ».

Cette considération soulève la problématique même de cette analyse : la politique de la RDC face au sida. Plus particulièrement ce regard envisagé à l’endroit des personnes vulnérables (les femmes et les enfants).

Nous avons fait le choix de donner des réponses aux questions soulevées en épinglant les limites de cette politique à ce jour tracée par une récente loi votée par le parlement congolais sur les droits des personnes vivant avec le sida et des personnes affectées du sida en République Démocratique du Congo.

En réalité, cet article aurait mieux porté le titre de : « les insuffisances de la protection juridique et de la prise en charge sociale du sida en République Démocratique du Congo. Propositions des réformes. »


II. Tristes réalités aggravées au quotidien

De plus en plus le nombre de la « population » atteinte ou affectée par le sida accroît. Plusieurs rapports à ce sujet établissent qu’au minimum 40 millions de personnes seraient concernées depuis la fin de l’année 2006.

Par rapport à la rapidité de propagation de la « pandémie du siècle », des rapports établissent qu’ « environ toutes les six secondes, une personne est infectée à travers le monde ». Ceci ramène plus ou moins à 10 le nombre des personnes atteintes à la minute.

Face à la vitesse de propagation du sida et de la dévastation qu’elle laisse derrière lui (pertes en vies humaines, manque à gagner macroéconomique, etc.), l’élaboration d’une politique dynamique et le réveil de la société civile pourraient constituer un début de réponse tant attendue par les malades et les personnes affectées.


III. des chiffres qui perlent d’eux-mêmes !

Au cours du siècle écoulé, les pays de l’Est et du Sud Est asiatique ont payé un lourd tribut à l’infection au VIH pour avoir manqué de répondre rapidement et de manière adéquate à cette urgente question qu’est le sida. On estime à plus de huit millions les personnes qui sont aujourd’hui infectées en Asie parmi lesquelles presque deux millions des femmes.

Selon un rapport de l’ONU SIDA corroboré par celui de la FIJ (Fédération Internationale des Journalistes), l’Afrique subsaharienne reste la partie du monde la plus touchée.

Par delà la grande pauvreté, la mal gouvernance, le taux élevé d’analphabétisme, presque deux tiers de la population globale des personnes atteintes par le virus du SIDA, vivent en Afrique.

Encore une fois, le nombre des femmes atteintes est impressionnant et tourne autour de plus ou moins 76 %. Plus précisément, 58 % des adultes porteurs du virus du SIDA en Afrique subsaharienne sont des femmes, les deux tiers des jeunes atteints du virus sont de sexe féminin.

Avec le sens que l’Afrique a de la femme face à la famille, il est clair que le sida touche plutôt autant des familles qu’il touche des personnes de sexe féminin ; avec ceci de particulier, qu’il victimise en même temps autant des membres des familles directement touchées et cela de façon disproportionnée.

Les femmes et les enfants sont les victimes les plus vulnérables. On estime à environ 12 millions les enfants en Afrique qui sont devenus orphelins à cause du sida.

Il reste dommage que les capacités opérationnelles des acteurs institutionnels intervenants demeurent d’une remarquable faiblesse.


IV. Bref aperçu de la situation épidémiologique

La situation épidémiologique des malades du sida ainsi que des personnes qui en sont affectée est aggravée par le silence de l’Etat et le manque de politique cohérente. En témoigne les chiffres repris en bas.

- Nombre de personnes vivant avec le VIH : 1.000.000 ;
- Taux de prévalence du VIH, adultes entre 15 et 49 ans : 3.2 % ;
- Adultes de 15 ans et plus vivant avec le VIH : 890 000 ;
- Femmes de 15 ans et plus vivant avec le VIH : 520 000 ;
- Enfants entre 0 et 14 ans vivant avec le VIH : 120 000 ;
- Orphelins du SIDA entre 0 et 17 ans : 680 000 ;
- Femmes et hommes infectés par le VIH et bénéficiant d’une thérapie antirétrovirale : 4.0% ;
- Fréquentation scolaire parmi les orphelins : 50.0% parmi les non orphelins : 70.0%.

Epinglant la mal gouvernance et le contexte général de la RDC lors de la célébration de la journée mondiale de lutte contre le sida en 2008, l’OMS a affirme que « la RDC est en situation d’épidémie généralisée avec une forte concentration de la prévalence tout le long du fleuve Congo, au niveau des ports fluviaux, dans des zones d’exploitation minière ainsi que dans celles où il y a d’importants mouvements des populations » pendant que « la réponse à l’épidémie reste en deçà de son ampleur et ne cible pas les zones à forte vulnérabilité ».

La remarque est que l’Etat n’intervient presque pas dans les zones à plus forte prévalence qui sont généralement les milieux pauvres (villages, zones minières, etc.). Ces zones qui sont caractérisées par une quasi inexistence des pouvoirs d’Etat sont ainsi abandonnées à l’arbitraire des baronnies et des chefs coutumiers qui bien souvent abusent même de leurs prérogatives.

A cela s’ajoute l’instabilité du contexte général du pays, la continuation des guerres, l’amateurisme des dirigeants en place et une faiblesse remarquée de la société civile cycliquement décapitée de ses têtes d’affiche selon différentes échéances politiques qui ont chaque fois sollicité la société civile.

Quelques nouveaux éléments dans ce contexte fondent cependant un espoir d’avenir et de réforme importante en faveur des malades du sida et des personnes affectées. Il s’agit notamment du vote, en 2008, d’une loi particulière sur les droits des personnes vivant avec le sida et des personnes affectées du sida en RDC.

V. Evolution des contextes sectoriels connexes

Il s’agit principalement de l’évolution du contexte politique vue sur le plan strictement institutionnel, juridique, sécuritaire et du contexte relatif aux droits humains, envisagé face au sida.

A. Contexte politique et sécuritaire

Avec l’organisation, la tenue des élections générales et l’installation de nouveaux animateurs et des institutions issues de ces élections, la RDC a d’inauguré une importante réforme politique et institutionnelle.

Depuis le 6 décembre 2006, un président élu au suffrage universel direct est entré en fonction, à l’issue d’une transition politique qui a duré trois ans et qui a été gérée par des membres des composantes et entités qui avaient pris part au dialogue inter congolais.

Du point de vue de l’évolution institutionnelle, à la fin de l’année 2002 et au début de l’année 2003, une série d’accords de paix sont intervenus aux niveaux national et international entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda pour mettre fin aux conflits qui ravageaient la partie Est de la RDC depuis août 1994. Ces accords sont tombés à point nommé.

L’attente longtemps exprimée par les populations meurtries par les guerres était non seulement la cessation effective des hostilités, le déclenchement des poursuites judiciaires contre les auteurs des crimes et graves violations des droits de l’homme commis pendant les conflits ainsi que la réforme du système sécuritaire (armée et police nationales). Fort heureusement ces accords tenaient compte de cette attente.

Le pays a connu une des guerres les plus meurtrières qui a impliqué plus de sept armées étrangères, depuis 1996 jusqu’en 2003. Cette guerre a eu une grande influence dans la dissémination du sida parmi les populations civiles, continuellement victimes d’exactions des hommes en armes.

Dans toutes les provinces du Nord et de l’Est de la RDC les armées impliquées, en complicité directe avec les milices, ont été à la base d’importantes violations des droits de l’homme, notamment des massacres, pillages, viols massifs y compris sur des mineures et des vieillards hommes et femmes.

Cette situation a ramené le taux de prévalence du VIH à environ 5% pour tout le pays dont 6,3% pour les seules provinces de l’Est, selon un rapport de la MONUC.

B. Contexte judiciaire face aux victimes du sida

Un projet de loi protégeant les droits des personnes vivant avec le sida et des personnes affectées par le sida était en discussion au parlement depuis 2004. La loi a été votée puis promulguée en fin 2008. Ceci est une grande avancée dans le domaine de l’amélioration du cadre juridique relatif aux malades et aux personnes affectées du sida

Les efforts du pouvoir judiciaire pour poursuivre les auteurs de ces crimes mettre un terme à l'impunité reste très insuffisant. Un effort jurisprudentiel se met en place sur la protection des victimes des violences sexuelles et des viols massifs qualifiés des crimes contre l’humanité (dans certaines décisions judiciaires intervenues depuis 2004).

Mais les victimes spécifiques de la contamination au sida ainsi que leurs familles restent encore en dehors des préoccupations de la justice congolaise, notamment à cause des insuffisances techniques et opérationnelles du système judiciaire congolais.

Par ailleurs, la justice congolaise est essentiellement caractérisée par de nombreux dysfonctionnements qui l’affectent et l’affaiblit (nombre insuffisant des magistrats et du personnel d’appoint, corruption, manque de formation spécifique, dérision d’équipement, archaïsme, etc.)

Une brève enquête menée par nous révèle aussi que la justice congolaise est inaccessible tant du point de vue géographique, culturel que financier et que les conditions de travail des acteurs judiciaires sont inadéquates (infrastructure, équipement général, rémunération , manque d’effectifs ).

Tous ces éléments accentuent la situation déjà si précaire des victimes (parmi lesquelles des malades de sida et des personnes affectées du sida), particulièrement celle qui vivent en dehors des agglomérations citadines. Elles ne peuvent ni accéder aux soins ni à la justice.

La justice congolaise manque aussi d’efficience et de sens pratique, d’impartialité (corruption, dépendance et ingérence du pouvoir exécutif) et manque des compétences liées notamment au manque de mises à niveau régulières des connaissances du personnel de l’ordre judiciaire, au manque de moyens financiers mais aussi au manque de contrôle et de coordination.

Le Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) mène une enquête à propos des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité perpétrés au Congo. Cette initiative pourrait un jour permettre de traduire en justice certains des principaux auteurs des violences sexuelles et des viols massifs ayant notamment transmis le sida, en plus de ceux qui sont strictement poursuivis à ce jour pour des crimes autres que ceux touchant au sexe ou à la transmission, y compris volontaire, du sida.

Il est actuellement admis en droit international coutumier que les viols commis au cours d’un conflit armé par des membres des forces gouvernementales ou des groupes d’opposition armés, qu’il s’agisse d’un conflit international ou interne, constituent un acte de torture et donc un crime de la compétence de la Cour Pénale Internationale.

En exploitant cette même idée doctrinale et jurisprudentielle, l’évolution de la protection des malades du sida et des personnes qui en sont affectées pourrait considérer par exemple que « la transmission volontaire du sida au cours d’un conflit armé par des membres des forces gouvernementales ou des groupes d’opposition armés, qu’il s’agisse d’un conflit international ou interne, constituent un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, selon les cas et les circonstances particulières liées aux faits ».

Encore faudra-il que des victimes, déjà pauvres et éloignées des villes où se trame cette justice, soient capacitées à être à la base des enquêtes, des plaintes et des actions en justice, et informées de leurs droits.


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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...