lundi 3 août 2009

Des rapports qui accablent le gouvernement… Et en attendant une loi plus dure sur la liberté de la presse, RFI est interdite de diffusion

C’est « pour des raisons de sécurité et de défense du pays » puisqu’ « on ne peut pas permettre à un média, quel qu’il soit de s’arroger le pouvoir de donner ou de diffuser des informations qui démotivent ou démoralisent les troupes militaires au front, quelle que vraie que soit l’information donnée par ce média », a déclaré Lambert Mende Omalanga, ministre congolais de l’information et des médias, pour justifier la décision du gouvernement de couper indéfiniment le signal de Radio France Internationale sur toute l’étendue du territoire. C’était lors d’une conférence de presse tenue le 28 juillet 2009 au Grand Hôtel de Kinshasa devant plus d’une centaine de journalistes de la presse nationale et indépendante ainsi que des activistes des droits de l’homme parmi lesquels moi-même.

Comme beaucoup d’auditeurs de RFI à Kinshasa, nous captions fidèlement les émissions sur la bande 97.5 en modulation de fréquence—jusque ce 24 juillet vers 15 heures. Selon le ministre, RFI a vu son « signal coupé sur décision du gouvernement et à la suite de la résiliation du contrat qui liait celle-ci à la RDC ». Raison ? Selon le ministre, la RFI « a persisté dans des reportages fantaisistes sur la guerre qui sévit en RDC ainsi que des par propos de nature à démoraliser les forces armées congolaises ».

La RDC est déchirée par une série de guerres depuis 1996. Selon des rapports d’Ong, ces guerres ont fait environ 4 millions des victimes. Les habitants de Kinshasa qui dépendent quasi entièrement de la production agricole des provinces en guerre ont vu leur niveau de vie sensiblement baisser depuis environ 13 ans, notamment sur le plan alimentaire.

Habitués à s’informer par les ondes de la RFI, notamment sur la situation de la guerre qui déchire leur pays, les congolais en général et les kinois en particulier, sont partagés quant à l’impact de la coupure de ce signal. Pour les uns, « heureusement qu’il reste possible de capter la RFI par ondes courtes ». Pour d’autres « cette coupure n’est pas si grave puisqu’il existe en RDC plusieurs autres chaînes de télévisions et des radios internationales qui peuvent apporter une information tout aussi fiable que RFI, y compris sur la situation militaire et sécuritaire ». D’autres encore n’y attachent aucune importance, lançant des anecdotes du genre « on a entendu ce média mentir publiquement lorsqu’elle affirmais, par exemple en 1997, que les troupes rebelles se trouvent dans la localité de Molaert à 20 Kms de Kinshasa, alors que Molaert est un quartier de la commune de Bandalungwa en pleine ville Kinshasa …»

Il faut noter que face à la déliquescence des médias d’Etat, du reste confisqués par le groupe politique majoritaire au pouvoir, à Kinshasa comme dans quelques endroits du pays, très peu des citoyens s’informent par la radio ou la télévision nationales. Plusieurs congolais se sont habitués à capter des chaînes étrangères par le biais des antennes achetées auprès de différents fournisseurs de services ou simplement en fréquence modulée. Entretemps, Radio Okapi, un projet commun de la Fondation Hirondelle et de la Mission des Nations Unies en RDC (MONUC) demeure le seul véritable média qui couvre, de manière indépendante, toute l’étendue du pays et qui fait crédit à propos des informations diffusées sur la situation de la guerre en RDC.

La coupure du signal de la RFI intervient en moins deux semaines de la publication des rapports de trois organisations internationales de défense des droits de l’homme dont le Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Human Rights Watch (HRW) et Global Witness qui accablent le gouvernement « de ne pas respecter les droits de l’homme » et d’être « devenu répressif à l’endroit des activistes des droits de l’homme et des opposants politiques comme à l’époque du feu Maréchal Mobutu ».

Dans le rapport de la FIDH on peut par exemple lire « Le gouvernement du Président Joseph Kabila a commencé à utiliser la violence et l’intimidation pour éliminer ses opposants politiques dès le lendemain du premier tour peu concluant des élections de juillet-août 2006. Kabila a donné le ton et la direction de la répression. En donnant ses ordres, il a parlé « d’écraser » ou de « neutraliser » les « ennemis de la démocratie », les « terroristes » et les « sauvages », impliquant qu’il était acceptable d’utiliser une force illégale contre eux. Il est possible que du fait du manque de compétences dans les services de l’armée et des forces de l’ordre, les tentatives de Kabila pour monopoliser le pouvoir aient été parfois désorganisées, mais son intention de se débarrasser de ceux qui étaient considérés comme des opposants était claire. Comme un membre désillusionné du cercle d’intimes de Kabila en a fait la remarque à Human Rights Watch, Kabila a adopté une approche du « vainqueur rafle tout », ne laissant aucune place pour d’autres opposants politiques forts. … des soldats, des policiers et des agents du renseignement fidèles au Président Kabila ont délibérément tué, blessé, arrêté arbitrairement et torturé des centaines de personnes. Ils ont agi sous la direction de Kabila ou de ses conseillers et dans le but de renforcer le contrôle de Kabila. Ces subordonnés ont agi suivant des filières aussi bien officielles qu’officieuses, s’appuyant d’abord sur l’une puis sur l’autre des diverses forces de sécurité de l’Etat —notamment la Garde Républicaine paramilitaire, une « commission secrète », le bataillon spécial de la police Simba et les services de renseignement — selon ce qu’exigeaient les circonstances— pour resserrer le contrôle sur les opposants présumés ».

Réagissant à ce rapport, dans un communiqué de presse rendu public par le gouvernement, le 25 juillet 2009, on peut lire « Cette affirmation est la preuve de la méconnaissance du contexte politique congolais postélectoral. Le gouvernement actuel a hérité d’une situation militaire d’une complexité indescriptible. Il faut mettre en perspective toute la problématique de la gestion politique de différentes milices issues de mouvements rebelles. Grâce à l’appui des institutions internationales, des efforts de réorganisation de l’armée nationale sont, en effet, plus que probants. Toutes les expertises militaires en témoignent. La lutte contre l’impunité engagée par le gouvernement ne s’est pas arrêtée aux portes de l’armée, puisqu’elle a permis la mise hors d’état de nuire de plusieurs justiciables, civils et militaires. Le Chef de l’Etat s’est personnellement investi dans l’assainissement de l’appareil judiciaire, gage de toute pratique démocratique. Après avis formel du Conseil supérieur de la magistrature, des ordonnances présidentielles - février 2008 et juillet 2009 - ont été ainsi publiées afin de faciliter la réforme de la justice. A titre d’exemple, il y a quelques jours à peine, 165 magistrats accusés de concussion, corruption, dol et d'autres maux, ont été soit révoqués ou mis à la retraite, par le président Joseph Kabila, dans le cadre de l’assainissement du secteur de la Justice ».

Pour Mende, s’exprimant lors de la conférence de presse « rien ne peut expliquer que trois rapports sortent en même temps, avec un contenu quasi similaire si ce n’est un objectif malsain de salir le gouvernement de la RDC ». Les qualifiant, il considère que « ces rapports sont infamants, et appellent au démentiellement du pays ainsi que de ses nouvelles institutions ».

En 2006, la RDC a inauguré une nouvelle ère politique et institutionnelle en organisant des élections générales à l’issue desquelles un président élu a été investi, un nouveau parlement national et des parlement et gouvernements provinciaux ont été installés et une nouvelle constitution a été promulguée. Ce renouveau a ravivé les espoirs de tous les congolais dont la majorité estime, trois ans après, que rien n’a changé quant aux brimades des libertés publiques, au niveau de vie économique et social et aux difficultés d’accès à la justice.

« L’interdiction d’émission de la FRI a été décidée sine die pour des impératifs de sécurité et de défense, après que le gouvernement ait, à plusieurs reprises appelé en vain à l’ordre ce média qui se complaint dans la diffusion des informations et des reportages fantaisistes », selon Mende pour qui « plusieurs rencontres, échanges, correspondances entre les dirigeants de ce média et ceux de la RDC n’ont su rendre plus consciente la RFI, obstinée et prétentieuse ».

Cette décision soulève le grand débat de la qualité et des modalités d’exercice de la liberté de presse, déjà vieux de plus d’une décennie en RDC.

Dans ses déclarations, le ministre Omalanga a promis que le gouvernement sera « plus rigoureux dans la loi à intervenir » qui va modifier la loi existante sur les modalités d’exercice de la liberté de la presse.

Dure affirmation, certes ! Mais les professionnels des médias et les défenseurs de la liberté de la presse ne prétendront pas un jour qu’ils n’ont pas été avertis ni qu’ils ne savaient pas que désormais la véracité ou la fausseté de leurs informations n’intéresseront plus le gouvernement congolais.

C’est d’ailleurs déjà cela le contenu de l’article 74 du code pénal congolais auquel les juges ne cessent de se référer lorsqu’ils poursuivent des journalistes pour diffamation ou imputations dommageables. Cet article dit que la diffamation ou les imputations dommageables résultent dans le fait d’imputer à quelqu’un un fait précis de nature à porter atteinte à son honneur ou à l’exposer au mépris du public. La doctrine congolaise ajoute que la véracité ou la fausseté de ce fait sont inopérantes.

Autant mieux se taire avant de subir la sanction lorsqu’informer devient un crime ? Ou faut-il prendre le risque d’informer au nom du droit du public à l’information et courir tous les risques ?

Cette coupure du signal de la RFI est différemment commentée. Alors que pour l’Ong de défense de la liberté de la presse « Journaliste en danger » (JED), elle « dénote d’un empiètement à la liberté de la presse à n’en point douter », certains journalistes comme Zacharie Bababaswe qui anime un journal en langue locale estime que « la décision du gouvernement est très importante et nécessaire pour rappeler de fois à l’ordre ces médias qui exagèrent dans la déformation de l’information et dans la diffusion de fausses informations ».

La raison qui a amené le gouvernement à prendre cette décision tirerait de 2006, lorsque Gislaine Dupont, une ancienne reporter de RFI en RDC a produit un certain nombre de reportages qui n’ont pas plus au gouvernement, affirmant la montée de la criminalité dans les rangs des Forces armées de la RDC (FARDC) dont plusieurs membres s’étaient illustrés par des viols et pillages des biens des civils et mettant à nu les détournements récurrents des soldes des militaires par leurs commandants qui bénéficiaient en cela d’une totale impunité.

Le cas Dupont aurait ainsi été la goutte qui a fait déborder le vase et le germe de différentes incompréhensions qui se sont succédées dans les rapports entre la RFI et les autorités de la RDC. Celles-ci auraient demandé qu’elle soit sanctionnée par son média pour toutes les fautes déontologiques commises sur le territoire de la RDC.

« Un des responsables à la RFI où nous nous sommes rendus nous a laissé entendre que sanctionner Dupont pourrait donner lieu à un soulèvement de ses collègues et ouvrir une brèche à une grève interne » qui pourrait paralyser les activités de la radio, selon Mende, pour qui, « ce n’est pas la crainte de la grève des agents de la RFI qui prévaudrait à l’urgence de sécurité et aux besoins de la défense de la RDC ».

Le contrat qui liait la RFI à la RDC a été signé le 13 juillet 2001 et stipule en son article 3 que la RFI « s’engage à respecter les lois congolaises ». Pour Mende, la RFI a violé cet article du contrat, en violant les articles 78 et 87 de la loi n° du 22 juin 1996 portant modalités d’exercice de la liberté de la presse en RDC.

L’article 78 de cette loi stipule que « Seront punis pour trahison tous ceux qui en temps de guerre, auront par les moyens cités à l’article 76 :
- incité les forces combattantes à passer au service d’une puissance étrangère;
- sciemment participé à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la population dans le but de nuire à la défense nationale;
- livré (directement ou indirectement) à une puissance étrangère un renseignement, document ou procédé qui doit être tenu secret dans l’intérêt de la défense nationale ».

Et l’article 87 stipule que : « Seront interdites de diffusion au Zaïre, toutes les sociétés privées de radiodiffusion sonore et de télévision non en règle avec le prescrit de la présente loi ».

Raison d’Etat contre les libertés fondamentales ?

La coupure du signal de la RFI en RDC est certes ainsi justifiée du point de vue du gouvernement. Mais s’il reste à considérer qu’il s’agit là d’un média suivi par la grande majorité des congolais, ceux-ci ne tarderont peut-être plus à exprimer un point de vue qui pourrait être à la base d’une rupture de confiance face aux autorités en place.

Rien n’est dit..._________________________________________

L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...