mardi 7 juillet 2009

NOUVEAU CHANTIER : L’IMPUNITE !

Une nouvelle loi qui ne change rien au contexte…

Le président de la République vient de promulguer, le 07 mai 2009, une nouvelle loi sur l’amnistie. Au sens de l’article 1er de cette loi « il est accordé à tous les Congolais résidant sur le territoire de la République Démocratique du Congo ou à l’étranger une amnistie pour faits de guerres et insurrectionnels commis dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ».

Cette loi est une matérialisation de l’engagement pris à Goma en janvier 2008 par toutes les parties qui ont pris part à la conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans le Nord Kivu et dans le Sud Kivu.

En effet, comme convenu entre parties à Goma, « le gouvernement de la RDC, prenant acte de cet engagement et à la demande du CNDP, mouvement politico militaire, du PARECO/NK, des Mai Mai Kasindien, des Mai Mai Kifuafua, des Mai Mai Vurondo, des Mai Mai Mongol, de l’UJPS, des Mai Mai Rwanzori et du Simba, s’engage, conformément à la recommandation pertinente de la Conférence sur la paix, la sécurité et le Développement dans les provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu à présenter au parlement un projet de loi d’amnistie pour faits de guerre et insurrectionnels, couvrant la période de juin 2003 à la date de la promulgation de la Loi, en ce non compris les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide »

Il est étonnant de lire dans les lignes de cette loi que sa seule préoccupation et sa motivation, qui me semblent d’ailleurs très limite, résident dans le seul besoin « de réaliser la réconciliation nationale ». Ainsi, au nom de cette réconciliation jamais venue, les congolais doivent oublier un atroce passé dont ils ont été injustement victimes pendant des années.

Il échet de rappeler que la doctrine sur la Justice transitionnelle, au sein de laquelle vient se greffer l’amnistie, circonscrit le champ permissible des amnisties et que dès lors elles ne sauraient aller au-delà du « seul soutient au travail des médiateurs dans les négociations avec les parties belligérantes ». Les amnisties ne doivent pas consacrer l’impunité ni constituer des germes de nouvelles velléités guerrières.

La loi promulguée le 07 mai 2009 semble aller au-delà de cette limite en effaçant, tout simplement les crimes du passé pour des personnes préparées à intégrer le régime politique, comme il en a été truffé pendant la transition (2003-2006) et comme il en demeure d’ailleurs même après les élections qui ont vu investir un nouveau président de la République au 06 décembre 2006 et dans lesquelles tous les congolais ont mis leur espoir en faveur du changement.

La définition des expressions que donne cette loi n’est pas particulièrement importante pour attirer l’attention des lecteurs, puisque la RDC a déjà pris plusieurs engagements de ne jamais amnistier les crimes internationaux que sont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide.

En effet, aux termes de l’article 2 de la même loi, « on entend par : faits de guerres, les actes inhérents aux opérations militaires autorisées par les lois et coutumes de guerres qui, à l’occasion de la guerre, ont causé un dommage à autrui ; par faits insurrectionnels, les actes de violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ».

Mais pourquoi cette définition ne devrait pas attirer l’attention des lecteurs ? C’est tout simplement parce, lors des décisions sur des actions judiciaires pour des crimes graves et violations des droits de l’homme, les juges congolais se sont, à plusieurs reprises évertués de qualifier les faits de manière à les inscrire dans la cadre des faits amnistiés.

L’application judicieuse d’une loi d’amnistie va ainsi donc avec la volonté, l’indépendance et la capacité du système judiciaire. Ce qui ne nous semble pas donnée à ce jour surtout lorsqu’on connaît le tas d’interférences politique et militaire dans le fonctionnement de la justice.

L’affaire d’Ankoro est l’une de meilleures illustrations du manque de volonté et de capacités des magistrats congolais à lutter contre l’impunité. Dans cette affaire, des enquêtes menées par la MONUC avaient révélé que de violents affrontements entre les FAC et les Mai-Mai en novembre 2002 ont causé la mort d’au moins 70 personnes. Des milliers de maisons ont été incendiées et détruites et de centaines de maisons et des bâtiments publics dont les hôpitaux, les écoles et les églises ont été pillés, selon le rapport de la MONUC.

Dans le cadre de cette affaire, en décembre 2002, 28 militaires des FAC ont été arrêtés et mis à la disposition de la justice militaire. Sept d’entre eux ont été inculpés de violences et sévices graves envers les populations civiles,…en brûlant, en pillant, en blessant, en tuant les membres de la population civile (art. 472 CJM-1972) et de crimes contre l’humanité, soit des actes inhumains contre la population civile en brûlant presque toutes leurs maisons et en les massacrant par des obus et des bombes (art. 505 CJM-1972). Le procès a été retardé pendant de nombreux mois pour permettre de constituer un panel d’officiers aptes à juger un lieutenant-colonel.

Ce qui est étonnant, est que pans son réquisitoire final, le Ministère public militaire a demandé d’acquitter cinq des sept prévenus des crimes contre l’humanité et des violences et sévices graves envers les populations civiles, tout en recommandant de condamner les deux autres à 20 mois de prison pour les crimes simples de meurtres et d’incendies. Le Tribunal a ainsi prononcé l’acquittement de six prévenus et a condamné le septième à une peine de 20 mois de réclusion pour meurtre. Le Ministère Public, satisfait de l’arrêt, ne forma pas appel.

Certes, l’article 3 de la loi du 07 mai 2009 rappelle qu’elle « ne concerne pas le crime de génocide, les crimes de guerre, et les crimes contre l’humanité », mais il devient quasi impossible d’imaginer « des actes de violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national » tels que dits à l’article 2 de la loi d’amnistie sans être certain que de telles violences soient à la base de graves violations des droits de l’homme, notamment à l’endroit des civils non armés.

Le mot « violences » est en lui-même très éloquent dans la situation particulière de la RDC. Il ne signifie nullement soulèvement (expression qui eût été plus heureuse), ni contestation pacifique, ni opposition pacifique à l’ordre politique établi. Il signifie simplement « guerre », rébellion », « mutinerie », etc.

L’intention du législateur de mai 2009 de renforcer l’impunité apparaît dès lors dans le choix de ses mots mais plus encore dans la seule intention de viser une certaine « réconciliation » par l’octroi de l’amnistie pour les faits qui ont eu lieu dans les deux provinces de Kivu « pendant la période allant du mois de juin 2003 au 07 mai 2009 », selon l’article 5 de la même loi.

Cette impunité a d’autant été renforcée qu’en vertu de l’article 6 de cette loi, le 13 juin 2009, le Ministre de la Justice a pris un arrêté pour amnistier 120 personnes, officiellement accusées des faits de guerres et insurrectionnels commis dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, alors même qu’elles seraient auteurs des crimes internationaux et des violations graves des droits de l’homme. Par l’effet de cet arrêté, et bien avant, des poursuites judiciaires initiées contre certains d’entre eux ont simplement été abandonnées.

Refus de motiver ? Ou d’engager sa responsabilité historique ?

La très brève motivation de l’arrêté de mise en œuvre de la loi de mai 2009 est interpellatrice. Le Ministre de la Justice se limite à y dire « vu la constitution de la République, spécialement les articles 93 et 221 ; vu la loi N°09/003 du 07 mai portant amnistie pour faits de guerre et insurrectionnels commis dans les provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu… ».

Il faut même dire que cet arrêté, autant que la loi à laquelle il se rapporte, manquent de motivation. Aucun des articles auxquels fait référence l’arrêté ne renseignent sur les motivations profonde de l’amnistie octroyée à 121 personnes. Cet arrêté ne dit ien sur la qualité, la provenance et l’état de ces personnes. Il ne spécifie pas pourquoi il se limite à 121 personnes et pas à plus ou à moins, etc.

L’article 93 auquel se réfère l’arrêté n’a rien d’original puisqu’il rappelle simplement que ledit arrêté a été pris dans le cadre des attributions ordinaires du Ministre de la Justice de la RDC. Cet article stipule simplement que : « Le ministre est responsable de son département. Il applique le programme gouvernemental dans son ministère, sous la direction et la coordination du Premier ministre. Il statue par voie d’arrêté ».

Même l’article 221 de la même Constitution n’ajoute rien et n’apporte aucune réponse à tant des questions que pourraient se poser les lecteurs dudit arrêté. Il se limite à rappeler que les textes juridiques ne sont d’application que lorsqu’ils ne sont pas anticonstitutionnels. Cet article dit que : « Pour autant qu’ils ne soient pas contraires à la présente Constitution, les textes législatifs et réglementaires en vigueur restent maintenus jusqu’à leur abrogation ou leur modification ».

Il apparaît ainsi que les références faites à la fois dans la loi de mai 2009 et dans l’arrêté de juin 2009 sont une large diversion en termes de motivations qui y sont inscrites, au point que les lecteurs resteront à leur soif à se demander « quelles sont les motivations profondes de ces deux textes » et « pourquoi leurs auteurs ont tant cherché à camoufler leurs convictions profondes pour accorder l’amnistie à 120 personnes et non plus ou moins ? »

La difficulté d’application judiciaire de tels textes sera évidente puisque les magistrats ne seront guidé par aucune motivation particulière.

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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...