mercredi 3 juin 2009

FAITES UN CHOIX JUDICIEUX POUR DONNER LA CHANCE AUX VICTIMES, A LA DEMOCRATIE ET AU DEVELOPPEMENT…

Face à des millions des demandes de justice qui continuent à fuser de la part des victimes de graves violations des droits de l’homme et des crimes internationaux qui ont été commis en République Démocratique du Congo (RDC) pendant près de 16 ans, le choix d’un ou des mécanismes de justice transitionnelle hante la place dans les débats.

Faut-il une Commission de vérité ? Ou alors un tribunal international spécial pour la RDC ? Le système national de justice se suffit-il à lui-même pour donner des réponses adéquates et durables aux demandes exprimées de justice ? Les institutions nationales et les autorités congolaises offrent-elles une garantie de confiance aux victimes qui les voient envisager les politiques de justice transitionnelle ?

Pour des raisons pratiques, je n’aborderai que deux questions de toute cette importante problématique, à savoir : l’établissement de la vérité et les poursuites judiciaires qui me semblent être d’une urgence et d’un tel besoin exprimé au quotidien.

Au contact de la société congolaise, particulièrement dans l’arrière pays, la commission de vérité semble faire l’objet de demandes populaires selon des résultats de sondages de quelques organisations nationales et internationales parmi lesquelles celles qui œuvrent en RDC et qui travaillent dans le domaine de la justice transitionnelle, parmi lesquelles le Centre Internationale pour la Justice Transitionnelle (CITJ), Human Rights Center (Université catholique à Berkeley) et Payson Center for the International Development (Université de Tulane).
[1]

La cause de cette forte demande semble être fondée sur le simple fait le peuple congolais ressent depuis des années qu’elle a le droit à la vérité sur toutes les violations graves des droits de l’homme commises sur son sol depuis plusieurs années et sur lesquelles les gouvernants sont restés silencieux.

Par définition, une commission de vérité est une structure officielle ou non chargée d’enquêter et d’établir la vérité sur les graves violations des droits de l’homme commises au cours d’une période particulièrement caractérisée par des violences ou par une dictature politique et/ou militaire afin de contribuer à la recherche des réponses à donner aux demandes massives de justice. Elle n’est pas un organe judiciaire mais lui ressemble fort par l’indépendance organique et l’impartialité qui la caractérisent. A la différence du système de justice nationale, la commission de vérité est un organe dont la durée est limitée dans le temps, puisqu’elle n’est généralement créée que pour régenter un contexte de transition politique (enquêter, analyser et tirer les conséquences sur les violations établies, dans le but de favoriser la réconciliation entre citoyens et jeter les jalons d’un Etat de droit sur base des engagements de non répétition).

La République Démocratique du Congo a déjà expérimenté une commission de vérité qui était en même temps chargée de la réconciliation (ce qui n’est pas toujours le cas. En effet, il a existé des commissions de vérité qui n’ont pas eu la mission de réconcilier les citoyens). La Commission vérité et réconciliation (CVR) congolaise a été une de cinq institutions d’appui à la démocratie pendant la transition politique qui a pris cours en 2002 et qui s’est terminée avec l’intronisation d’un chef d’Etat issu des élections, le 6 décembre 2006.
[2]

Pour ce qui était de ses attributions spécifiques, l’article 4 de la loi organique de la CVR précisait que sa mission était de « rétablir la vérité
[3], de promouvoir la paix, la justice, la réparation, le pardon et la réconciliation[4] en vue de consolider l’unité nationale ». C’est à ce titre qu’elle devait assurer l’accompagnement citoyen de la transition ; la prévention ou la gestion des conflits par la médiation ; la création d’un espace d’expression entre congolais ; la recherche de la gestion de guérison des traumatismes et le rétablissement de la confiance mutuelle entre congolais.[5]

Dans l’Accord global et inclusif, les signataires ont accepté que la CVR, qui était une émanation de la « Commission paix et réconciliation » au sein du dialogue inter congolais, soit mise en place par la résolution DIC/CPR/04 et qu’elle examinerait tous les crimes politiques, économiques et sociaux commis depuis 1960 à 2003, afin d'établir la vérité et d'aider les individus et les communautés à se réconcilier. Malheureusement celle-ci n’a pu fonctionner et son échec
[6] avait plusieurs raisons que nous éluciderons dans une prochaine analyse.

Mais pourquoi le système de justice national congolais ne serait pas à mesure de faire l’affaire en lieu et place d’une commission de vérité ? Cette question a plusieurs fois été posées, y compris par des magistrats qui croient que la force dissuasive de la justice pénale est suffisante pour non seulement établir la vérité mais aussi sévir et produire des garanties de non répétition.

L’idée ne manque pas de mérites. Mais il faut compter non seulement avec le grand nombre des cas en cause que la justice ne peut absolument pas appréhender, mais aussi avec des lacunes et faiblesses devenues presque congénitales tant sur le plan institutionnel, organique, intellectuelle qu’autres, qui émaillent le fonctionnement de la justice congolaise au point de le rendre incapable de toute action d’envergure attendue.

Mais, quid d’un tribunal international spécial pour la RDC ? Des analyses ont tenté de faire croire qu’une telle juridiction aurait énormément d’atouts pour la lutte contre l’impunité en RDC, notamment puisqu’elle n’aurait aucune obstruction à entendre de hauts dirigeants politiques du pays et puisqu’elle ne serait pas bloquée par des immunités quelconques,…
Une analyse plus proche de la RDC peut cependant révéler que ce genre de mécanisme manque toute efficacité cependant. Il suffit de se représenter la durée pendant laquelle fonctionne le Tribunal international pour le Rwanda (TPIR), les millions de dollars américains ou d’euros qui ont été engloutis dans son fonctionnement par rapport aux maigres résultats auxquels il est à ce jour en termes d’affaires définitivement jugées. Il suffit aussi de s’imaginer les attentes que ne cesse de formuler le système national de justice rwandais à ce tribunal pour comprendre qu’il ne lui a été d’aucun apport ou presque. On aurait bien attendu que ce tribunal aide au renforcement des capacités internes de la justice pour qu’il ne soit pas ressenti un vide le jour de son démentiellement. D’ailleurs, les mêmes reproches sont faits à l’endroit du Tribunal pour la Sierra Leone.

Et les chambres mixtes ? Voilà qui pourrait probablement faire l’affaire des activistes qui estiment qu’elles ont tout l’effet contraire des tribunaux internationaux spéciaux pour les pays. Pour les activistes, ces chambres ont déjà l’avantage de voir leurs procédures ne pas connaître l’obstruction d’immunités quelconques. Elles font participer les sources humaines locales (magistrats notamment) à leur juridiction au point qu’elles constituent un espace d’échange continu d’expériences et donc au point de renforcer les capacités internes.

Les chambres mixtes, particulièrement lorsqu’elles sont internationalisées et installées sur l’ensemble du territoire d’un pays constituent un outil très valeureux de lutte contre l’impunité et de renforcement des capacités du système national de justice.

Ce point de vue n’a pas encore percé l’esprit de plusieurs magistrats congolais qui, par « amour propre » revendiquent à cor et à cris qu’il ne soit fait recours à aucun magistrat étranger pour juger, au Congo, les violations graves des droits de l’homme.

Ils peuvent continuer à se « défendre avec cet esprit de corps », mais toujours est-il que ce moyen de défense relève d’un manque d’ambition. Les magistrats congolais renteraient une belle occasion de demander d’être mis dans les conditions de travail que leurs collègues experts étrangers si jamais ces chambres ne sont pas mises en place.
[1] Vivre dans la peur, une étude réalisée au sein de la population sur la paix, la justice et la réconciliation dans l’est de la République Démocratique du Congo, août 2008.
[2] Se rapporter ici sur les articles 154 à 160 de la Constitution de transition issue de l’Accord Global et Inclusif adopté à Sun City en avril 2002.
[3] Par « vérité », l’article 4, alinéa 1er de la Loi N°04/17 du 30 juillet 2004 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation, in Journal officiel de la République démocratique du Congo, cabinet du président de la République, 45ème année, numéro spécial, 1er août 2004, p 26 dit qu’elle est le « rétablissement clair et objectif de la réalité historique des faits, des crimes et violations des droits de l’homme ayant directement, dans la période concernée, causé à une personne ou à un groupe de personnes, un préjudice tant moral, physique, social que matériel ».
[4] La réconciliation est définie par l’article 4 alinéa 2 de la Loi N°04/17 du 30 juillet 2004 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation, in Journal officiel de la République démocratique du Congo, cabinet du président de la République, 45ème année, numéro spécial, 1er août 2004, comme « le rétablissement de l’harmonie, de la concorde, de la paix du cœur et d’esprit entre congolais et/ou groupes de congolais, auteurs et victimes de divers préjudices et crimes perpétrés pendant la période concernée, en vue de restaurer l’unité nationale ; la réconciliation implique la reconnaissance des faits, la demande et l’accord du pardon, la réparation équitable des préjudices et des crimes ainsi que la réhabilitation tant morale que physique ».
[5] En dehors de la loi organique de la CVR, Loi N°04/17 du 30 juillet 2004 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation, in Journal officiel de la République démocratique du Congo, cabinet du président de la République, 45ème année, numéro spécial, 1er août 2004, pp 24-36, on se rapportera ici à l’exposé de Monseigneur Jean Luc Kuye Ndondo, président de la Commission Vérité et Réconciliation, prononcé à l’occasion du séminaire international sur la gestion de la transition en République démocratique du Congo, Kinshasa 26-28 avril 2004, p76.
[6] Lire à ce propos « Faire face aux crimes du passé au niveau national », Analyse : dynamique de la justice en RDC et en RCA, International center for transitional justice (ICTJ), janvier 2009. http://www.ictj.org/static/Factsheets/ICTJ_CAR_fs2009_fre.pdf _________________________________________

L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...