jeudi 17 juillet 2008

Les avortements et abandons des bébés à Kin


LES AVORTEMENTS ET ABANDONS DES BEBES A KINSHASA
Cécité ou simple divergence de vues sur l’opportunité de reformer le code pénal de la République Démocratique du Congo ?

Par Charles-M. MUSHIZI
Avocat à la Cour - IJ

Ces faits tragiques se passent à Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo (RDC), et se multiplient avec la bénédiction de l’inattention des autorités compétentes et l’inaction des responsables des familles.

34 ans, diplômée d’université, très belle de son vivant, divorcée depuis quelques mois, en juin 2008, une dame a trouvé la mort devant une clinique privée située dans la commune de Kintambo.

Elle n’a donc pu être admise dans cette clinique où elle était entrain d’être transférée par une autre, pour une meilleure prise en charge médicale ; souffrant d’une forte hémorragie et d’une asthénie physique qui s’en est suivie des suites d’un mauvais curetage lors d’un avortement « criminel ».

Tôt le matin du même jour, sous un froid glaçant de la saison sèche, dans la commune de Makala, deux bébés, probablement âgés de mois de trois semaines chacun selon le Commissariat, venaient d’être ramassés à deux endroits différents, abandonnés par leurs géniteurs dans des couvertures de fortune.

Une dizaine de jours plus tôt, près de la rivière Kalamu, un autre bébé a été trouvé enveloppé dans un sachet noir en plastic. Il ne devait pas avoir plus d’une semaine de naissance… Deux ou trois jours seulement, peut-être, selon les témoins de ce triste événement !

Il est fréquent que des bébés, dont le nombre exact n’a pu être fourni par l’hôpital général de référence de Kinshasa et l’Inspection de santé de la même ville, soient abandonnés sur des lits d’hôpitaux par des mères indigentes ou qui refusent simplement d’assumer.

Des bébés, produits des grossesses non désirées sont aussi jetés ou abandonnés sur les rues ou dans des endroits publics quelque peu isolés après des accouchements non désirés.

Leurs mères espèrent, ce qui est presque toujours le cas, que des personnes de bonne volonté les ramasseraient et s’en occuperaient. Certains de ces bébés sont purement et simplement étranglés, enterrés vivants ou jetés dans des fosses sceptiques.

Ces faits sont notoires et connus de tous. L’indifférence des autorités compétentes et l’inaction des responsables des familles sont d’autant grandes que des images de ces faits sont souvent diffusés par des médias locaux ou publiés dans des journaux de la place.

Tel est le cas d’une dame dont les images ont été télévisées en début 2007. Elle sortait tôt le matin « pour aller acheter du pain à revendre » dans un quartier populaire de Kimbangu et a trouvé, devant elle, « un sachet en plastique qui bougeait », elle l’a « ouvert à l’aide d’un bâtonnet » et y a trouvé « un bébé vivant abandonné ».

Tel est aussi le cas d’un autre bébé trouvé abandonné sur les étalages du pavillon 8 du Marché central de Kinshasa en février 2008 et qui a été repris par les enfants de la rue tard la nuit, avant d’être repris par les éléments de la police du sous commissariat du marché.

Les avortements et abandons des bébés pourraient relever d’une révolte des femmes qui sont souvent seules à assumer la responsabilité et les conséquences des naissances et des grossesses non désirées.

Lors des enquêtes et des poursuites judiciaires en cas d’avortement, les femmes sont généralement d’ailleurs les seules à écoper des condamnations. Sur le plan social, une femme qui est réputée avoir avorté passe pour une criminelle à côté de l’auteur de la grossesse avortée sur qui il n’est fait le moindre regard. Ce genre d’homme, plus habiles demeurent protégés par ces pratiques sociales machistes.

Pendant ce temps, un grand nombre des femmes et des jeunes filles meurent des suites d’avortements « interdits par la loi », notamment à cause de leur pauvreté et donc de leur incapacité à assumer seules le coût d’une maternité ou simplement à cause de leur refus d’assumer seules la responsabilité d’un acte partagé au départ.

Il est important de souligner deux facteurs qui exacerbent les faits sous analyse :

En considération de la doctrine chrétienne prédominante sur l’avortement cette question, autant que toutes celles qui touchent au sexe, restent frappées d’un caractère de tabou et ne constituent jamais des sujets d’échanges au sein des familles.

Il y a un silence coupable équipollent à une hypocrisie sur des questions relatives aux relations intimes (sexuelles notamment), au point qu’à la suite, des avortements clandestins pour des grossesses non désirées se passent dans toutes les conditions de risque.

L’ignorance des uns, l’hypocrisie des autres et le caractère tabou qui frappe une question si importante exacerbent la situation en défaveur des femmes, maintenues dans une situation d’injustice.

Sur le plan juridique, le code pénal congolais, en ses articles 165 et 166 du Code pénal congolais punit l’avortement « criminel » (celui fait en dehors de toute recommandation médicale) d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quinze ans.

Dépassé par rapport au contexte actuel de la RDC, ce code date des années 70 et donc de l’époque de la pure et dure dictature du Maréchal Mobutu, qui a vu instituer le principe de la « majorité sexuelle pour une fille âgée de 14 ans », au détriment de toute la jeunesse féminine.

C’est sur base de ce principe que bon nombre des dignitaires des régimes successifs depuis le Maréchal ont sexuellement abusé de jeunes filles, profitant de leur ignorance et de leur vulnérabilité.

Sous un angle réformiste, l’Accord de Maputo adopté le 11 juillet 2003 par l'Union africaine sur les droits des femmes en Afrique est un autre paradigme d’analyse et de proposition des réformes, s’il échet.

Ce Protocole exige des gouvernements africains l'élimination de toutes les formes de discrimination et de violence à l'égard des femmes et la promotion de l'égalité entre sexes. Il prône la protection des femmes contre les pratiques traditionnelles dangereuses, la protection lors des situations de conflit armé, l'accès égal à la justice pour les femmes.

En vertu de ces dispositions,
les Etats signataires s'y engagent à prendre des mesures appropriées pour notamment :

- adopter et renforcer les lois interdisant toutes formes de violence à l'égard des femmes, y compris les rapports sexuels non désirés ou forcés, qu'elles aient lieu en privé ou en public ;
- adopter toutes autres mesures législatives, administratives, sociales, économiques et autres en vue de prévenir, de réprimer et d'éradiquer toutes formes de violence à l'égard des femmes ;
- identifier les causes et les conséquences des violences contre les femmes et prendre des mesures appropriées pour les prévenir et les éliminer ;
- promouvoir activement l'éducation à la paix à travers des programmes d'enseignement et de communication sociale en vue de l'éradication des éléments contenus dans les croyances et les attitudes traditionnelles et culturelles, des pratiques et stéréotypes qui légitiment et exacerbent la persistance et la tolérance de la violence à l'égard des femmes ;
- réprimer les auteurs de la violence à l'égard des femmes et réaliser des programmes en vue de la réhabilitation de celles-ci ;
- s'assurer que, dans les pays où elle existe encore, la peine de mort n'est pas prononcée à l'encontre de la femme enceinte ou allaitante;

Toutes ces dispositions trouvent encore plus d’explication pratique dans celles de l’article 14 du même texte qui est relatif aux droits à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction, entendu le droit pour une femme de décider sur toutes les questions en relation avec sa maternité.
Les Etats y affirment le droit pour les femmes
d'exercer un contrôle sur leur fécondité, de décider de leur maternité, du nombre d'enfants et de l'espacement des naissances, du choix des méthodes de contraception et de toutes modalités de protection contre les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA;

Ce protocole n’a pas encore trouvé bon écho en RDC.

Pourtant des médecins comme le Docteur BAMBA, gynécologue et obstétricien, reconnaît que « plusieurs médecins » de son département ont déjà « fait face à des demandes d’avortements non thérapeutiques » ; mais qu’ « aucun d’eux n’a jamais publiquement accepté de le faire pour ne pas être en faux par rapport à la loi ».

Ces avortements sont tout de même pratiqués ; mais dans des conditions de parfaite clandestinité au point de multiplier les risques qui s’en suivent au détriment de la femme.

L’hypocrisie sociale et le dépassement du code pénal sont tels que selon Dr. BAMBA, « les demandes d’avortements clandestins sont souvent faites par de jeunes filles, des femmes adultes et même par des parents pour leurs enfants en âge de scolarité ». Les justifications de ces demandes pour les parents sont entre autres : « le refus de faire peser une trop grande responsabilité sur une jeune fille encore mineure, lui permettre de poursuivre normalement sa scolarité, sauvegarder l’honneur de la famille ou pour ne pas être appelée à assumer une responsabilité matérielle dont on n’est pas capable ».

Une attention particulière doit être faite sur les milieux universitaires connus comme endroits favoris de « consommation » du sexe et probablement où les pratiques d’avortements clandestins sont légion.

Les étudiants interrogés sur la question estiment qu’« en comparaison aux maisons de tolérance, la ‘consommation’ du sexe dans les milieux académiques peut aller au double ou au triple et des avortements dans les mêmes proportions ».

Une étudiante de l’Université de Kinshasa (UNIKIN) qui a requis l’anonymat a avoué : « avorter ne me choque pas. Je n’ai pas des moyens pour nourrir un enfant si j’en fais aujourd’hui. Oui j’ai déjà avorté, si tu veux le savoir ! Mais je ne le ferai plus parce que j’ai failli mourir ! ».

Craignant les effets néfastes du caractère tabou qui frappe la question du sexe et des avortements, le Dr. BAMBA estime « les lois du pays doivent s’adapter dans le sens de libéraliser l’avortement. La loi doit être ouverte aux femmes qui sont dans le désarroi pour à la fois les protéger et protéger les médecins qui interviennent. La loi doit donner aux médecins et aux femmes enceintes la possibilité de suivre des consultations prénatales sous X et de pouvoir accoucher sous anonymat en confiant, si elles le désirent à l’Etat la responsabilité d’assumer l’avenir de ces bébés. L’autorisation légale d’avorter diminueraient les abandons des bébés ou leurs étranglements par leurs mères ainsi que les risques des avortements clandestins » ou « criminels » parce que « ceux-ci seraient alors pratiqués par des personnes scientifiquement et techniquement qualifiées ».

Nourrissant les mêmes peurs Patrick SENGA estime que, « l’avortement devrait être autorisé par la loi dès lors que pour des raisons objectives les deux responsables de la grossesse ne s’accordent pas sur la nécessité de garder l’enfant ou dès lors que telle est la volonté de la femme dont le partenaire dénie la grossesse ».

Une femme qui a requis l’anonymat considère qu’ « il est juste pour une fille de se faire avorter pour sauvegarder ses chances de se marier un jour. Les hommes congolais n’aiment pas épouser des femmes qui ont déjà des enfants. En plus, une jeune fille qui se permet de faire un enfant alors qu’elle n’a pas de revenus pour le nourrir est simplement bête ».

En désaccord avec ces points de vues, Emmanuel MUKENGESHAYI considère que le principe constitutionnel de la « sacralité de la vie humaine » est une barrière à toute forme d’avortement autre que thérapeutique.

Il reste dommage que le débat n’intéresse pas encore le parlement congolais. « La question n’est ni opportune ni actuelle », selon les députés qui ont accepté de répondre à nos questions. « Le parlement a un calendrier par session et ce genre de question n’intéresse encore personne ».

Par ce genre de réponse, la RDC restera encore longtemps en marge de ses propres réalités. Sans envisager d’adopter la réforme en faveur de la libéralisation de l’avortement, il est tout de même urgent pour les autorités compétentes de se rendre compte que les réalités ci-haut présentées remettent en cause l’idée même de la sacralité de la vie humaine et compromettent l’avenir de notre société.

L'avortement clandestin ou « criminel » est devenu un phénomène de la société congolaise et ne devrait plus rester en laisse de toutes les autres questions qui suscitent des débats au quotidien.