jeudi 17 juillet 2008

La liberté de presse en RDC


LA PROBLEMATIQUE DE LA DEPENALISATION DES « DELITS » DE PRESSE EN RD. CONGO
Pistes de renforcement de la liberté de la presse



I. Généralités sur la liberté et les « délits » de presse

Définition

L’article 8 de la Loi N°96-002 du 22 juin 1996 qui régit l’exercice de la liberté de la presse en République Démocratique du Congo définit la liberté de la presse comme : « le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs ».

Parlant des « délits de presse », expression malheureuse pour des raisons que nous allons donner sous peu, l’article 74 de la même loi les définit comme « toute infraction commise par voie de presse écrite ou audiovisuelle ».

Arrêtons-nous donc un moment sur l’expression « délit de presse ».

En droit congolais, cette expression n’est d’usage qu’en matière de droit civil.

L’article 258 du Code civile congolais Livre III portant sur les contrats ou les obligations conventionnelles définit le délit comme « tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui ».

Un délit peut donc être un « fait quelconque ». La loi n’en prévoit ni une liste ni un contenu précis. Il est tel du seul moment qu’il cause préjudice à autrui. Il n’est donc pas à confondre avec une infraction qui, elle, est prévue d’avance par lé législateur du point de vue de leur nombre, de leur contenu et de leurs éléments constitutifs.

Voilà pourquoi l’expression « délit de presse » est malheureuse et qu’il est plus heureux de parler d’ « infraction commise par voie de presse ».

En invoquant déjà ce problème terminologique, il échet de se poser la question sur l’origine de l’expression « délit de presse ».

Nous estimons tout simplement que cette expression participe d’un mimétisme légistique et d’un « copié-collé » sur le modèle des textes occidentaux.

En effet, la législation française qui a fortement inspiré le contenu de cette loi prévoit, elle, dans son arsenal pénal des infractions de moindre gravité qu’elle appelle « délits ».

Contrairement donc à la législation congolaise, le délit est du domaine pénal en France comme en Belgique.


Les fondements de la liberté de la presse

La liberté de la presse est consacrée par plusieurs instruments juridiques internationaux auxquels la RDC est partie et par plusieurs textes nationaux dont certains datent de l’époque coloniale.

Ainsi, le fondement de cette liberté est à la fois international et national.



Fondement international

Quatre textes de référence fondent le principe de la liberté de la presse sur le plan international. Il s’agit de :

la Déclaration universelle des Droits de l’homme

Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948, ce document auquel la RDC est partie pour l’avoir ratifiée, stipule en son article 19 que : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Le même article 19 garantit aussi « la liberté de collecter, de diffuser des informations, ainsi que le droit pour d’autres (il s’agit bien du public ou du droit du public à l’information) de recevoir ces informations en toute liberté ».

Le Pacte international relatif aux Droits civils et politiques

Adopté par la résolution n° 2200 A(XXI) de l’Assemblée générale des Nations unies en sa session du 16 décembre 1966, ce document est entré en vigueur le 23 mars 1976. La RDC l’a aussi ratifié.

Une de ses dispositions stipule que : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».


La Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples

Il y a environ vingt-sept ans depuis que cette charte a été adoptée par les chefs d’États africains réunis au sein de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA devenu Union Africaine) depuis le 27 juin 1981.

L’article 9 de ce document, en deux alinéas affirme que : « Toute personne a droit à l’information. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».

En 15 points, la Déclaration des principes sur la liberté d’expression en Afrique est une avancée considérable dans la normalisation de la liberté d’expression sur le continent africain.

Cette Déclaration qui peut être envisagée comme une mesure d’application de la Charte, aborde aussi bien les questions de la presse écrite que celles de l’audiovisuel.

La Charte de Munich

En 1971, des journalistes originaires de six pays d’Europe de l’Ouest, réunis dans la ville de Munich en Allemagne, ont rédigé une déclaration communément appelée La Charte de Munich.

Celle-ci comporte des devoirs et des droits des journalistes et a, depuis, été adoptée par la Fédération internationale des journalistes (FIJ).

Elle constitue la matrice de la plupart des codes d’éthique et de déontologie des journalistes à travers le monde y compris ceux de la République Démocratique du Congo.


Fondement de la liberté de la presse sur le plan national
[1]

Le principe de la liberté de la presse est consacré par des textes de lois dont au sommet la Constitution en ses articles 22 et suivant ; des textes ayant force des lois et des textes règlementaires.

Plus spécifiquement, la liberté de la presse est régie en RDC par la Loi N°96-002 du 22 juin 1996.

D’autres textes de lois sont :

L’O-L N°81-012 du 2 avril 1981 portant statuts des journalistes oeuvrant en République du Zaïre. (J.O.Z., no 8, 15 avril 1981, p. 14) ;
L’Ordonnance N°81-050 du 2 avril 1981 portant création et statuts d’un établissement public dénommé Office de radiodiffusion et de télévision. (J.O.Z., no 8, 15 avril 1981, p. 41) ;
Arrêté ministériel N°04/MIP/018/96 du 26 novembre 1996 portant fixation des frais administratifs pour l’établissement des récépissés de déclarations préalables de publication, d’exploitation des stations de radio et/ou de télévision, de création d’agences de presse ainsi que pour l’agrément des agences-conseil en publicité et pour l’autorisation de reportage photographique ou filmé. (Ministère de l’Information et de la Presse) ;
Arrêté ministériel N°04/MIP/020/96 du 26 novembre 1996 portant mesures d’application de la loi 96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse pour les entreprises de presse audiovisuelle. (Ministère de l’Information et de la Presse) ;
Arrêté ministériel N°04/MIP/006/97 du 28 février 1997 portant création de la Commission de contrôle de conformité des stations de radiodiffusion et des chaînes de télévision publiques et privées. (Ministère de l’Information et de la Presse) ;
Arrêté ministériel N°04/MIP/008/97 du 3 mai 1997 portant fixation des frais administratifs pour l’autorisation de reportage photographique ou filmé. (Ministère de l’Information et de la Presse) ;
Arrêté ministériel N°04/MCP/011/2002 du 20 août 2002 modifiant et complétant l’arrêté ministériel 04/MIP/020/96 du 26 novembre 1996 portant mesures d’application de la loi 96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse dans la communication audiovisuelle. (Ministère de la Communication et Presse) ;
Ordonnance N°75-271 du 22 août 1975portant création d’un Comité national de normalisation. (J.O.Z., no 21, 1er novembre 1975, p. 1341) ;
Arrêté départemental N°DENI/CAB/030/88 du 19 août 1988 fixant le fonctionnement du Comité national de normalisation. (J.O.Z., no 23, 1er décembre 1988, p. 25) ;
Ordonnance N°23-113 du 25 avril 1956 portant « Documents officiels de presse ». (B.A., 1956, p. 873) ;
La Convention collective de la RTNC ;
Note circulaire N°MIN/PRES&INFO/Cab/BL/LM/136/2005, relative à l’exploitation d’entreprise de presse.


II. Dépénaliser les infractions commises par voie de presse ?

Il existe en droit congolais des expressions qui portent à confusion du fait de leur sémantique quasi rapprochée.

Certaines de ces expressions, auxquelles nous ferons recours tout au long de cette conférence sont :

- Dépénaliser ;
- Décriminaliser ;
- Dé judiciariser ; et
- déprisonniser
[2].

Dépénaliser

Cette expression signifie « enlever le caractère pénal à un fait infractionnel ».

Le caractère pénal c’est le caractère incriminatoire d’un fait. Le fait que ce fait soit constitutif d’infraction et donc passible d’une condamnation par le juge pénal à une peine prévue par la loi.

L’enlèvement du caractère pénal peut être total ou partiel. Dans ce dernier cas on parle d’une désescalade pénale ou d’un changement intervenu dans le taux de pénalité consacré par la loi à une infraction.

Ceci dit, dans le cadre de la campagne pour la « dépénalisation des infractions commises par voie de presse » menée par certaines Ong nationales et internationales, la tendance à considérer que « dépénaliser » consiste à « supprimer l’application de la peine de prison à l’endroit des auteurs de ces infractions » est incorrecte, et cela pour trois raisons :

- Toutes les infractions des codes pénaux congolais sont susceptibles d’être commises par voie de presse. Et donc dépénaliser au sens de ces Ong reviendrait à enlever le caractère pénal à toutes les infractions de ces codes, au bénéfice notamment des journalistes. Difficilement envisageable !

- Différemment punir la diffamation, l’injure, les fausses informations, les faux bruits ou les outrages en se fondant simplement sur le seul modus operandi à savoir la voie médiatique, engendrera des inégalités sociales et des injustices pour autant que les personnes qui auraient commis ces infractions par voie de presse s’en verraient relativement gratifiées d’une sanction plus ou moins pénible que d’autres personnes qui les auront commises par des voies autres que médiatiques.

- Il est encore plus périlleux et irréaliste de demander au juge congolais de condamner les auteurs des infractions commises par voie de presse à des peines autres que la prison et de considérer ces faits comme de simples faits civils. En effet, les condamnations civiles peuvent être encore plus difficiles à endurer pour nos journalistes et nos médias connus pour leur grande pauvreté. Pour le comprendre, il suffit d’imaginer un média ou d’un journaliste congolais que la justice condamnerait à payer des dommages-intérêts de l’ordre de 100.000 USD à l’endroit d’une victime de la diffamation constituée partie civile ? Une telle condamnation pourrait engendrer des fermetures des médias ou leurs confiscations judiciaires au titre de paiement des sommes dues et non payées par insolvabilité des condamnés. Elle pourrait même amener encore les condamnés à subir une peine de prison connue sous le nom de « contrainte par corps » du fait du non paiement des sommes dues en vertu des condamnations pénales.

Décriminaliser

Cette expression ressemble fort à la première en ce sens qu’elle signifie presque la même chose.

La nuance ici tient au fait que la décriminalisation est un effacement pure et simple d’un fait antérieurement incriminé par le législateur.

Ceci n’est possible que par le fait du législateur et donc de la loi.

En rappelant que toute loi a trois caractères particuliers à savoir : être générale, impersonnelle et contraignante, il n’est donc envisageable que la décriminalisation puise s’adresser à un groupe cible isolément pris, en l’occurrence les journalistes.

Dé judiciariser

Ici l’expression emprunte aux deux premières et se révèle être un simple effet. Une conséquence.

Les faits dépénalisés ou décriminalisés ne peuvent plus être portés devant le juge à titre contentieux.

Ces faits tombent ainsi dans le lots des événements purs et simples tant ils ne portent atteinte à quelque droit.

L’exemple classique est celui de la grivellerie ou le fait pour un client de prendre le large sans payer la note après d’être fait servir dans un restaurant. Il n’y a qu’au début du dix-neuvième siècle que la grivellerie a commencé à être réprimée comme infraction.

Déprisonniser

Cette expression semble receler le contenu de ce que les Ong précurseuses de la « dépénalisation des délits de presse » entendent donner à leur concept.

En effet, déprisonniser c’est simplement supprimer la possibilité de condamnation à la peine privative de liberté (emprisonnement) lors d’une condamnation pénale par le juge.

Dans ce sens le juge aura un large éventail d’autres peines applicables pour les mêmes faits, à l’exception de la peine de prison.

Au cas où cette déprisonnisation serait obtenue par une modification de loi, le grand avantage pour les journalistes et les médias restera qu’ils ne pourront plus jamais être condamnés qu’à des peines de faibles importance comme les amandes pénales qui généralement ne représentent pas grand chose.

Mais comme pour les autres cas, ici aussi le domaine est de la loi et reste caractérisé par les principes de la généralité, de l’impersonnalité et de la contrainte de la loi à intervenir.

Il n’est donc envisageable non plus que la déprisonnisation puise s’adresser à un groupe cible isolément pris, en l’occurrence les journalistes.

Voilà qui laisse entier le problème de la « dépénalisation des infractions commises par voie de presse » et de sa maîtrise par ses précurseurs.


III. Coup d’œil sur quelques législations africaines qui ont « dépénalisé »

Le régime général relatif à la liberté de la presse dans les pays de l’Afrique centrale affirment le principe de la liberté de la presse en ces termes « toute personne a droit à la liberté d’opinion et d’expression dans le respect de la loi, de l’ordre public et des droits échus à autrui ».

En vertu de ce principe et du concept, toujours mal choisi par les Ong précurseuses de « la dépénalisation », quelques uns de ces pays ont « dépénalisé » ou plutôt obtenu quelques souplesses en faveur des auteurs des infractions commises par voie de presse.

Ces législations renvoient les auteurs soit devant des juridictions de l’ordre administratif qui ne peuvent se prononcer des peines privatives de liberté (servitude pénale). D’autres ne punissent qu’en cas de récidive, ce qui laisse toujours planer le spectre d’une lourde pénalité en cas de récidive.

Les pays dont nous avons particulièrement étudié les législations sont la Centrafrique et le Congo Brazzaville.

En Centrafrique, ce sont les lois N°5/002 relative à la liberté de la presse adoptée le 25 novembre 2004 que la « dépénalisation des délits de presse » a été obtenue par des journalistes et défenseurs des droits de l’homme.

L’avancée ou plutôt la différence entre la RDC et ce pays est que ce dernier connaît des juridictions de l’ordre administratif, différentes des juridictions de l’ordre commun ou du droit commun et qui sont chargées de se prononcer sur tous les cas d’infractions commises par voie de presse.

Les « dépénalisations » faites par les législations des pays sous examen n’ont rien de consistant au point de conforter réellement la qualité et l’exercice effectif de la liberté de la presse.

Des médias et des journalistes restent astreints aux mêmes contraintes, aux peurs de récidive qui les contraignent à une certaine censure de leurs propres prestations au point de ne plus être vraiment libre de toute critique objective.

Que reste-il alors de ces lois si elles ne peuvent servir de référence pour la RDC ?

Il en reste que les journalistes et les médias doivent comprendre que la « dépénalisation » ou la « déprisonnisation » ne peuvent porter en elles-mêmes l’efficacité et l’efficience de la presse si et seulement si elles ne sont pas accompagnées d’un fort engagement en faveur du respect des règles déontologiques et de l’éthique professionnelles.


IV. Conclusion : Pistes d’une efficiente campagne pour la liberté de la presse

En réalité, « dépénaliser les infractions commises par voie de presse » ne veut rien dire de concret.

On peut, à tout le moins, considérer que les Ong qui combattent en ce sens ne demandent pas au législateur de dépénaliser mais plutôt de « déprisonniser ».

Même alors, comme nous l’avons soulevé plus haut, ceci ne met pas à l’abri les journalistes et les médias ou toute autre personne auteur de ces infractions à assumer une responsabilité plus ou moins lourde pour des faits de leur profession.

Par ailleurs, puisque comme nous l’avons dit plus haut, la dépénalisation, la décriminalisation, la déjudiciarisation ou la déprisonnisation ne peuvent participer que d’une loi ; demander un moratoire d’inapplication de la peine de prison, comme le voulaient les Ong en cause n’est envisageable.

D’ailleurs, quelle serait l’autorité compétente habilitée à prendre ce moratoire ? Et en vertu de quelle loi ?

Devant cette difficulté de manque de piste de solution, quelle serait la démarche et quel serait le contenu escompté pour un renforcement de la liberté de la presse en République Démocratique du Congo ?

Nous en proposons trois :

A. Un doux régime de répression

La première démarche réside dans l’adoption d’une nouvelle loi, qui prévoit clairement un doux régime de répression des infractions commises par voie de presse. Cette loi devra par exemple prévoir des circonstances atténuantes pour certaines infractions dont la nature est plus ou moins spécifique à la profession des journalistes.

Tel serait le cas pour les infractions commissibles par la parole, le cri ou l’écrit, et pour lesquelles cette loi accorderait à l’auteur
[3] de l’infraction le bénéfice d’une exception de vérité (prouver la véracité des faits allégués).

En effet, le régime de répression de la diffamation, par exemple ou des outrages reste fort rigoureux à l’endroit des auteurs de ces infractions, pour autant que la véracité ou la fausseté de leurs allégations n’intéresse pas le juge au sens du Code pénal livre II.

Toujours au sens de ce code l’auteur de ce type d’infraction peut se voir condamné à la peine capitale pour trahison s’il publie une information considérée comme secret-défense ; alors qu’à ce jour aucune liste des informations secret-défense n’a été dressée.

Le Code pénal congolais auquel se réfère la loi sur la presse est un héritage des années de la dictature du Maréchal Mobutu.

A cette époque l’arsenal juridique était conçu de manière à restreindre la liberté d’expression.

En tout cas, cette démarche est d’autant importante que la réforme attendue dans le secteur en dépend.

B. Renforcement de l’OMEC

La deuxième réside dans le renforcement des capacités de l’Observatoire des Médias Congolais (OMEC).

En effet, l’OMEC qui devait jouer le rôle de « disciplineur » des journalistes ne fait pas fort crédit.

Et les plaignants qui le saisissent sont vite déçus de constater qu’aucune sanction efficace ne peut y être prise ; ou que les sanctions prises quelques rare fois ne sont jamais suivies d’effets.

Pour le reste, il est dommage que ses décisions ressemblent à celles d’une structure purement inter alios sans moindre officialité. Ceci pose le besoin de l’évaluer en vue d le renforcer pour appuyer le sens de responsabilité des médias et des journalistes sans laquelle même un léger régime répressif des infractions commises par voie de presse ne saurait rien apporter de consistant à la liberté de la presse.


Mettre en place un CSAC efficace et indépendante du politique

Enfin, il est urgent que l’absence d’une autorité indépendante de régulation des médias soit rapidement comblée puisqu’elle représente une faiblesse regrettable pour la régulation des médias à ce jour.

En effet, la HAM ayant été dissoute de plein droit, il est fort regrettable que l’on ne s’aperçoive que le ministère ayant en charge la radiodiffusion a repris dans ses attributions la question de la régulation des médias. Cette concentration des pouvoirs entre les mains de l’autorité de réglementation pourrait donner lieu à moult dérapages.

A propos de la dissolution de la HAM, sa loi organique qui ne contredit pas les prescrits de la Constitution renseigne en son article 61 qu’elle n’est « applicable que pour toute la période de la transition ».

Faisant allusion à sa dissolution, cette loi est muette sur les modalités et les conditions quant à ce.

Elle se limite à dire, à son article 60 que « À la dissolution de la Haute Autorité des Médias, son patrimoine est mis immédiatement, selon l’échelon, à la disposition du gouvernement et des entités administratives provinciales ans lesquelles elle a servi ».

D’autant qu’une comparaison a été faite avec la situation de la CEI qui continue à fonctionner, il est important de relever que, contrairement à la loi organique de la HAM, celle de la CEI est éloquente sur les conditions, les modalités et les procédure de sa dissolution.

L’article 39 de la loi organique de la CEI dit in extenso que « la commission Electorale indépendante est dissoute de plein droit après l’adoption de son rapport général sur les dernières élections par le Parlement issu des élections législatives ».

Ces dernières élections (locales) n’étant pas encore organisées, la CEI se trouve ainsi dans toutes ses attribution ordinaires qu’elle exerce dans les limites des prescrits de l’article 221 de la Constitution qui dispose que « Pour autant qu’ils ne soient pas contraires à la présente Constitution, les textes législatifs et réglementaires en vigueur restent maintenus jusqu’à leur abrogation ou leur modification ».

Ces dispositions ne sont pas applicables à la situation de la HAM à l’égard de laquelle il ne se pose aucune condition de forme pour sa dissolution.

En ce qui concerne les modalités et les conditions de la dissolution de la HAM, la base juridique loge dans les articles 212 et 222 de la Constitution de la République
[4].

L’article 212, sans faire allusion à la Haute Autorité des Médias
[5], met en place un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) en ces termes :

« Il est institué un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication doté de la personnalité juridique.

« Il a pour mission de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans le respect de la Loi.

« Il veille au respect de la déontologie en matière d’information et d’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication.

La composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement du CSAC sont fixés par une Loi organique ».

Il échet, pour la bonne compréhension de ces dispositions, de recourir à l’article 222 de la même Constitution qui dispose :

« Les institutions politiques
[6] de la transition restent en fonction jusqu’à l’installation effective des institutions correspondantes prévues par la présente Constitution et exerce leurs attributions conformément à la Constitution de la transition.
« Les institutions d’appui à la démocratie sont dissoutes de plein droit dès l’installation du nouveau Parlement.

« Toutefois, par une Loi organique, le parlement pourra, s’il échet, instituer d’autres institutions d’appui à la démocratie ».

Le deuxième alinéa règle définitivement le sort de la HAM et de toutes les autres institutions d’appui à la démocratie qui ont fonctionné pendant la période de la transition en dehors de la CEI, même après avoir constamment demandé leur reconduction pour la troisième République.

C’est cette disposition de la Constitution qui a d’ailleurs justifié que certaines d’entre ces institutions, notamment l’Observatoire National des Droits de l’Homme (ONDH) et la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), ont confectionné leurs rapports finaux qu’ils ont déposés aux archives nationales depuis plusieurs mois.

In fine, il est important de relever que ces dispositions constitutionnelles donnent plein pouvoir à l’Assemblée nationale d’apprécier l’opportunité de recréer d’autres institutions d’appui à la démocratie pour la troisième République (alinéa 3 de l’article 222).

Il est important de relever que par rapport au CSAC, la Constitution ne renseigne pas qu’il sera l’équivalent de la HAM telle qu’elle a été organisée et qu’elle a fonctionné pendant la transition. Elle ne dit pas non plus que la HAM se muera en CSAC pendant la troisième République.

Dans son exposé des motifs, la Constitution dit expressis verbis que « pour garantir la démocratie en République Démocratique du Congo, la présente Constitution retient deux institutions d’appui à la démocratie, à savoir le Commission Electorale Nationale Indépendante (…) et le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication… » La Constitution ne dit pas qu’elle reconduit la Commission Electorale Indépendante et la Haute Autorité des Médias, telles qu’elles ont été instituées par la Constitution de la transition.

Lorsqu’à l’alinéa 1er de l’article 222 de la Constitution le législateur parle des « institutions politiques », il se réfère aux institutions classiques de l’Etat et de pure nature politique (Lire à ce titre le Traité de Westphalie sur les éléments constitutifs de l’Etat). Or, la HAM, comme la CEI ont été envisagées comme des organes techniques et spécialisés même si, au cours de leur fonctionnement elles ont posé certains actes à portée politique. Il y a même lieu de considérer qu’elles ont été des institutions de circonstance et qu’à ce titre, elles ne sont pas considérées par les dispositions sous examen.

Les discussions parlementaires autour de la Loi budgétaire 2007 renforce cette considération. On se rappelle qu’il a été relevé que le Projet de budget déposé par le Gouvernement prévoyait une ligne pour la HAM et la CEI. Cette ligne a été réaffecté à d’autres services de l’Etat parce que le Parlement a jugé que ces institutions n’existent plus.

Même l’argument tendant à considérer que la HAM gère les affaires courantes est non fondé du point de vue du droit, pour autant qu’en droit la gestion des affaires courantes se limite au stricte nécessaire et à l’urgence. Le gestionnaire d’affaires courantes ne peut donc poser des actes qui engagent l’organisation pour l’avenir.

L’option levée, une question demeure pendante : quelle est finalement l’autorité qui assume la régulation en l’absence de la HAM et sur base de quel principe de droit ?

L’on pourrait être tenté de croire que la question de régulation devient abandonnée à un vide juridique. Cette considération est erronée pour la simple raison qu’avant l’institution de la HAM, les dispositions qui réglaient la matière demeurent celles de la Loi de 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse
[7].

Elles prévoient qu’ : « en attendant la mise sur pied de la structure légale chargée du contrôle et de la neutralité des médias publics, conformément à l’article 58 point 6 de l’Acte constitutionnel de la transition
[8], la compétence dévolue à celle-ci demeure assumée par le Ministère en charge de l’information et de la presse »[9] et ajoute, qu’ « il en est de même de la période précédant la mise en place effective des collèges Exécutifs régionaux prévus par la loi sur la décentralisation administrative et territoriale, lesquels Collèges sont reconnus compétents pour recevoir ladite déclaration ».[10]

Il ne peut juridiquement être pensé que la HAM survit, même après que la Cour Suprême de Justice ait rendu un Arrêt au mois de mars 2008, reconduisant le mandat de la HAM.

Le mandat de la HAM est du seul et de l’unique ressort de la loi et il n’appartient pas à une juridiction, fut-elle la plus haute du pays de redonner vie à une loi abrogée.

D’ailleurs, en terme clair la Haute Cour en cette matière reste incompétente, notamment au regard des prescrits des articles 155 à 160 du Code de l’organisation et de la compétence judiciaires qui se rapportent particulièrement à sa compétence.

Il ne peut non plus être attribué un moindre crédit aux actes que les anciens animateurs de la HAM produisent à ce jour en se référant à sa loi organique abrogée.

En effet, même par absurde, ce texte prévoit des conditions de procédure dans lesquelles la HAM décidait et qui ne sont plus réunies à ce jour.


Elle ne pouvait décider qu’à travers son Assemblée plénière conformément à l’article 23 dudit texte qui précise que cet organe « comprend 21 membres », selon les répartitions qu’elle établit elle-même par composantes.

Force est de constater que ces composantes n’existent plus et que le nombre légal de 21 membres n’est plus acquis pour que cet organe puisse valablement siéger.

Les juristes comprennent plus aisément la question de la régularité de la composition tant ils savent qu’aucune décision d’une juridiction ne peut être valable si celle-ci n’a pas siégé en respectant le nombre et la qualité des membres siégeant qui sont fixés par la loi.
[1] Tous les textes ici cités peuvent être trouvés sur le http://charlesmushizi.blogspot.com
[2] Telle qu’elle ressort de cet exposé, cette expression est une mise en œuvre propre à l’auteur. L’expression a auparavant été usitée par le feu professeur BAYONA BA MEYA MUNA KINVIMBA pour dénoncer l’effet zéro de la peine de prison en affirmant que bien souvent les condamnés à la peine de prison, à force de demeurer longtemps dans les cellules finissement par devenir « prisonnisés » ou habitués à la vie carcérale au point de la prendre pour normale et de ne plus être capables de se faire à la vie normale en société. Dans ce cas, le Professeur considérait qu’ils étaient prisonnisés et qu’à cet effet, la peine de prison avait un effet nul sur eux. Pour lui, déprisonniser est tout à fait différent de ce que nous entendons dire dans le cadre de cet exposé.
[3] Toute personne peut se rendre coupable de ce type d’infraction qui ne se définissent que par leur modus operandi, c'est-à-dire leur modalité de perpétration, à savoir, la presse.
[4] http://www.presidentrdc.cd/constitution.html

[5] La Constitution ne dit pas que cette institution est créée en remplacement de la HAM. Et l’allusion souvent faite à la Commission Electorale Indépendante (CEI) vaut la peine d’être relevé à ce niveau. La Constitution ne dit pas non plus que le CENI qu’elle institue à son article 211 est l’équivalent de la CEI, tout autant dissoute de plano. L’apparente survivance de la CEI tient au fait qu’il est recouru aux archives, méthodes et techniques dont elle a fait usage par le passé afin de parachever le processus électoral qu’elle n’organise plus. Ce processus a été récupéré par le Ministère en charge des affaires intérieures.
[6] Il s’agit des institutions politiques classiques dont les équivalents dépendaient de l’issue des élections (Parlement, Gouvernement et Président de la république). On se rappelle que l’Assemblée Nationale successivement dirigée par M. Olivier Kamitatu et Thomas Luhaka ainsi que le Sénat dirigé par Mgr. Marini Bodho, sont resté en fonction jusqu’à l’installation de l’actuel parlement. Et que la même situation a prévalu au Gouvernement.

[7] Loi connue pour sa grande liberticidité (expression de création personnelle de l’auteur pour systématiser le contenu du caractère liberticide de la loi ou du fait en cause). Dommage, « la Loi est dure mais c’est la Loi ». raison pour laquelle, pression doit être mise sur le Gouvernement et la Parlement pour l’adoption rapide des textes produit par les professionnels des médias et les experts du domaine lord de l’atelier du Centre Bondeko du 19 au 22 juin 2007.

[8] Il s’agit de l’Acte Constitutionnel de la Transition de 1994 produit lors de la Conférence nationale Souveraine et revu à l’occasion de plusieurs autres assises politiques dont les Conclaves politiques qui s’en sont suivies. Le ministère recouvre ainsi ce qu’en droit on appelle une compétence résiduaire, puisque la loi de 1996 demeure en vigueur et le lui reconnaît en se référant à une autre, dont « les dispositions non contraires à celle en vigueur restent d’application ».

[9] Cfr. Exposé des motifs et article 90 de la Loi N°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse en République Démocratique du Congo.

[10] Idem. Dans le contexte politique actuel, il s’agit de la Loi sur la décentralisation territoriale qui sera bientôt adoptée au Parlement.