mercredi 30 juillet 2008

LE PROCES DU SENATEUR CONGOLAIS JEAN PIERRE BEMBA GOMBO DEVANT LA CPI




LE PROCES DU SENATEUR CONGOLAIS JEAN PIERRE BEMBA GOMBO DEVANT LA COUR PENALE INTERNATIONALE
Quelques saillants éléments de droit


Les lignes qui suivent décrivent succinctement quelques éléments de droit relatifs au procès du sénateur et ancien vice président de la République Démocratique du Congo, Jean pierre Bemba devant la CPI.

Elles sont présentées en trois petits points, à savoir : les faits pour lesquels Bemba est poursuivi (point 1), l’état de la procédure en même temps que le contenu d’une éventuelle décision au fond (point 2) et, finalement une appréciation, tout à fait spéculative, sur l’avenir politique du sénateur (point 3).

1. LES FAITS

Les faits pour lesquels Jean Pierre Bemba est poursuivi devant la CPI ont été commis en République Centrafricaine à partir du mois d’octobre 2002 jusqu’au mois de mars 2003.

Pendant cette période, il congolais dirigeait une rébellion appelée « Mouvement pour la Libération du Congo », MLC (Devenue parti politique du même nom à la fin de la transition politique en RDC pour des fins de participation aux échéances électorales tenues en juillet 2006), venue apporter main forte au régime chancelant d’Ange Félix Patassé contre la rébellion du Général Bozizé, actuellement au pouvoir à Bangui.

Les troupes du MLC sont accusées d’avoir commis au cours de cette période de nombreux viols, des actes de torture, des atteintes à la dignité de la personne telles que des traitements humiliants et dégradants. Elles ont aussi commis des pillages, entre autres à Mongoumba, à Bossangoa et à PK12.

Parmi les multiples autres exactions commises par ces troupes, on allègue des cas d’attaques dirigées contre la population civile ainsi que des actes criminels constitutifs de torture et de viols massifs sur des adultes et mineurs de tous les sexes.

A ce propos, certaines enquêtes font état d’un nombre important des victimes qu’elles estiment à plus de 1000 parmi lesquelles 480 femmes et fillettes violées. En réalité, il n’est pas impossible que ce nombre soit revu à la hausse à l’issue des enquêtes complémentaires.

Si ces faits allégués contre Bemba sont établis, celui-ci pourrait être pénalement responsable, au sens de l’article 25-3-a du Statut de Rome de trois chefs de crime contre l’humanité à savoir:

Des viols tels que prévus et punis par l’article 7-1-g,
Des tortures prévues et punies par l’article 7-1-f, et
Des meurtres prévues et punies par l’article 7-1-a.

Il pourrait aussi être coupable de cinq chefs de crime de guerre pour autant qu’il est impliqué dans

Les viols massifs prévus et punis par l’article 8-2-e-vi,
Les tortures prévues et punies par l’article 8-2-c-i,
Des atteintes à la dignité de la personne, caractérisées par des traitements humiliants et dégradants, conformément à l’article 8-2-c-ii,
Des pillages d’une ville ou d’une localité prévus et punis par l’article 8-2-e-v,
Ainsi que des meurtres prévus et punis par l’article 8-2-c-i.

Il est important de noter à ce niveau que relativement aux faits à sa charge, bien que n’étant pas le seul pouvant assumer la responsabilité des crimes commis, Jean-Pierre Bemba est la première personne à être arrêtée et déféré devant une juridiction internationale pour les faits commis en Centrafrique.
Ce pays a ratifié le Statut de Rome qui est l’acte fondateur de la CPI en octobre 2001. Son actuel dirigeant a saisi l’opportunité pour définitivement en découdre avec son prédécesseur qui est aussi déjà cité dans la cause sous examen sur base des plaintes de plusieurs victimes qui ont accepté de témoigner depuis décembre 2004.
2. EN DROIT

Il est de coutume que des analyses portant sur des questions de droit soient abordées à la fois dans leurs aspects procédural et fondamental.

Notre démarche ne se départit pas de cette convenance coutumière en cela qu’elle présentera l’état de la procédure en marche depuis l’arrestation de Jean Pierre Bemba en Belgique (point A) avant de présenter, à la lumière des dispositions pertinentes du Statut de Rome, ce que pourrait être l’issue du procès et la décision de fond qui pourrait être rendue par le juge de la CPI (point B).

A. QUANT A LA FORME

Le 10 juin 2008, les juges de la Chambre préliminaire III ont adressé au Royaume de Belgique une demande d’arrestation et de remise de Bemba à la CPI.

La Chambre a également estimé nécessaire de délivrer un mandat d’arrêt en remplacement de celui qu’elle avait émis le 23 mai 2008 et qui avait déjà connu un examen de la Cassation belge.

Il est important de noter que ce nouveau mandat en a rajouté aux crimes déjà contenus dans le premier mandat deux chefs d’accusation supplémentaires de meurtres, envisagés sous la double qualification de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.

Cette procédure est conséquente du fait que le Procureur de la CPI a décidé le 22 mai 2007 d’ouvrir une enquête sur les événements qui se sont déroulés en Centrafrique entre octobre 2002 et mars 2003.

Et comme dit plus haut, ces événements ont engagé les troupes du MLC, dirigées par Jean Pierre Bemba aux côtés des troupes régulières de ce pays, soutenant le régime d’Ange Félix Patassé contre une rébellion du Général Bozizé.

Sur le plan social, la décision d’ouvrir cette enquête a été motivée par des plaintes des victimes des exactions qui ont été commises à l’occasion par des éléments du MLC.

Sur le plan strictement juridique, cette décision est fondée par l’article 15.1 du Statut de Rome qui donne au Procureur la prérogative « d’ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour ».

A ce propos, le Statut de Rome précise que « c’est au Procureur qu’il appartient d’apprécier la gravité des faits à instruire ». Le Statut insiste sur l’expression « gravité » au point d’en faire la condition essentielle des poursuites.

C’est ce critère de « gravité des faits » qui est à la base de plusieurs autres cas pendants devant l’office du Procureur ou des Chambres d’instruction. Elle est appréciée à la lumière de l’ampleur, de la nature, du mode de commission et de l’impact des crimes (Notons que ces éléments de la gravité sont déterminés dans l’avant projet de document de politique générale sur les critères de sélection. Voir Bureau du Procureur, « Rapport sur les activités mises en œuvre au cours des trois premières années (juin 2003-juin 2006) », 12 septembre 2006, p.7, disponible sur le site
http://www.icc-cpi.int/library/organs/otp/OTP_3-year-report-20060914_French.pdf).

Il est important d’attirer l’attention du lecteur qui pourrait, à la lumière de ces affirmations considérer que seule et seulement l’action du Procureur détermine l’issue de l’instance et donc le sort du justiciable, en l’occurrence Jean Pierre Bemba.

Tel n’est pas le cas ; car en effet, en respect des droits de la défense de celui-ci et de tout justiciable, pour besoin d’équilibre des compétences et pour pas que les pouvoirs exorbitants du Procureur n’enfreignent ceux des autres organes de la Cour, il est institué une Chambre préliminaire, chargée de vérifier les actes du Procureur et de donner son accord pour l’ouverture d’une procédure. (L’article 15§4 du Statut prévoit que « Si elle estime, après examen de la demande et des éléments justificatifs qui l'accompagnent, qu'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête et que l'affaire semble relever de la compétence de la Cour, la Chambre préliminaire donne son autorisation, sans préjudice des décisions que la Cour prendra ultérieurement en matière de compétence et de recevabilité »). C’est d’ailleurs dans ce cadre que la Chambre préliminaire confirme ou infirme les charges à l’issue de leur discussion en droit dans une audience publique où assiste le Procureur.

A côté de cela, il y a quelques prérogatives échues à la Cour et qui lui permettent de pouvoir contraindre certaines les décisions du Procureur grâce à différents mécanismes dont celui prévu par l’article 19.2 relatif à la possibilité pour les justiciable ou les juges de contester la recevabilité de l’affaire ou la juridiction de la Cour pour des motifs indiqués aux articles 17 et 58.( L’article 18 est relatif aux conditions de recevabilité de la cause par la Cour tandis que l’article 58 est relatif à la délivrance, par la Chambre préliminaire d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître après examen des preuves de culpabilité examiné par la Chambre).

Dans le cadre de ces procédures et en respect des droits de la défense de Bemba ou de tout autre justiciable, le Procureur peut être appelé à surseoir à statuer tant que la Cour n’a pas rendu une décision de recevabilité dans le cas d’une contestation de mandat d’arrêt ou de citation à comparaître.

Tel n’a pas été le cas de Jean pierre Bemba jusqu’à ce jour, y compris lors de toutes ses comparutions.

Rappelons que ce dernier a été arrêté le 24 mai 2008 à Bruxelles, en Belgique, suite à la levée des scellés d’un mandat d’arrêt émis la veille par la CPI et qu’il avait déjà été condamné par contumace par un Tribunal correctionnel de Bruxelles, à un an de prison pour traite d’êtres humains.

Bemba a finalement été transféré à la CPI en début juillet 2007. Ce transfèrement faisait suite du rejet par la cassation belge de ses deux pourvois en liberté provisoire.

A propos de la demande de liberté provisoire des détenus à la CPI comme cela a été le cas en juillet 2008 pour Jean Pierre Bemba, il est important de relever que le Statut de Rome est muet et ne prévoit aucune procédure quant à ce.

Ce silence ne peut cependant être interprété comme un vide juridique ou comme une limite grave pouvant préjudicier les droits de la défense des justiciables ou, dans le cas en l’occurrence, à Jean Pierre Bemba.

Ce qui est important à ce niveau est de se poser des questions sur l’opportunité et l’opérationnalité de cette liberté si elle était octroyée par décision du juge.

Nous devons rappeler que le Statut de Rome est un complément aux législations internes des pays signataires qui, pour la plupart prévoient déjà des mécanismes d’octroi de liberté provisoire des justiciables.

Par ailleurs, la CPI qui a été créée dans ce sens de complémentarité des Etats, l’a aussi été pour pouvoir juger des personnes qui seraient « inappréhendables » par les justices de leurs propres Etats soit en vertu de leur puissance de feu, économique, politique ou autres, alors même que celles-ci seraient coupables des crimes qui troublent l’ordre public international.

Tel est d’ailleurs le cas de Bemba et bien d’autres détenus de la CPI qui n’auraient su être condamnés par les juridictions congolaises sans soulever des questions évidentes de sécurité, de cohabitation pacifique entre ethnies, de succès du processus de démocratisation du pays, etc.

On illustrerait aussi cette difficulté par le fait que la CPI a connu de grandes difficultés pour mettre la main sur ses principaux justiciables à ce jour, y compris Bemba, et qu’il serait tout logique qu’elle ne les lâche point pour qu’elle ne vienne à ne plus jamais pouvoir les appréhender.

Même en considérant le fait que la Cour a en principe sa juridiction sur tous les pays et sur tous les citoyens du monde, elle n’a son siège qu’à la Haye. Il serait difficilement envisageable qu’un justiciable bénéficiant de la liberté provisoire puisse être invité à comparaître à une date et une heure précises alors que profitant de cette liberté il a dû faire un déplacement pour un autre Etat lointain.

Dans le pire des cas, cette liberté pourrait nuire au besoin de justice si le justiciable en de tels déplacements pendant sa liberté provisoire parvenait à avoir la protection d’un Etat non signataire du Statut de Rome, l’empêchant ainsi d’aller comparaître.
Tel aurait probablement été le cas de tous les justiciables de la CPI à ce jour en détention, dont Jean Pierre Bemba, connu pour sa grande fortune qui pourrait lui faire bénéficier d’une protection de plusieurs pays non signataires du Statut de Rome et porter ainsi ombrage à la procédure en cours.

A ce propos d’ailleurs le Statut précise à son article 62 que « sauf s’il est décidé autrement, le procès se tient au siège de la Cour ».




B. QUANT A LA DECISION AU FOND

Le sort final et la base de cette matière logent dans les articles 76 et suivants du Statut de Rome.

En substance, ces articles tendent à affirmer qu’au cas où la culpabilité de Bemba est établie, la Chambre de première instance fixera la peine à lui appliquer en tenant compte des conclusions et des éléments de preuve pertinents présentés au procès par le Procureur et les avocats des victimes.

Une fois encore, la question de la gravité des faits revient en ce sens que « lorsqu’elle fixe la peine, la CPI tient compte, conformément au Règlement de procédure et de preuve, de considérations telles que la gravité du crime et la situation personnelle du condamné ».

Et « lorsqu’elle prononce une peine d’emprisonnement, la Cour en déduit le temps que le condamné a passé, sur son ordre, en détention. Elle peut également en déduire toute autre période passée en détention à raison d’un comportement lié au crime ». Tel serait le cas pour Bemba en ce qui concerne toute la période qu’il aura passé en détention depuis le mois de mai 2008 lors de son arrestation en Belgique.

Il faut relever qu’en vertu de la pluralité des crimes dont Bemba est accusé, s’il en est reconnu coupable, la Cour prononcera « une peine pour chaque crime et une unique indiquant la durée totale d’emprisonnement. Cette durée ne peut être inférieure à celle de la peine individuelle la plus lourde et ne peut être supérieure à 30 ans ou à celle de la peine d’emprisonnement à perpétuité » prévue à l’article 77, paragraphe 1, alinéa b.

Comme le précise le Statut, « à propos des peines applicables par la Cour, conformément à l’article 77 du Statut, celle-ci ne peut prononcer que l’une de ces peines seulement : emprisonnement à temps de 30 ans au plus ou à perpétuité, si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient ».

Mais à la peine d’emprisonnement, la Cour pourrait toujours ajouter une amende fixée selon les critères prévus par le Règlement de procédure et de preuve. Dans ce cadre, Bemba se verrait condamner à payer des réparations civiles aux différentes victimes reconnues par la Cour. Celle-ci pourrait aussi prononcer « la confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi ».


4. DE L’AVENIR POLITIQUE DE BEMBA


Il est question de se demander ici si le transfèrement et la condamnation de Bemba à la CPI pourrait annoncer sa fin politique.

A cette question, la réponse affirmative est d’une telle évidence car il n’est pas difficile de décrire la complication qu’apportent les poursuites contre Bemba à sa vie politique dans son pays d’origine, surtout s’il venait à être condamné.

Les raisons de cette affirmation sont simplement tirées de la loi, en l’occurrence des articles 9 et 10 de la loi du 09 mars 2006, portant organisation des élections présidentielles, législatives, provinciales, municipales et locales.

Ceci, si on considère qu’une vie politique pour une personnalité de son envergure ne peut être effective en l’absence de sa participation à la vie politique du pays soit à titre d’électeur soit à tire d’élu ou de candidat à un mandat public.

Les articles cités ci-haut prévoient notamment que :

- Pour être éligible, il faut jouir de tous ses droits civils et politique et ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par la loi. Il faut être électeur au préalable ; et
- Que sont exclus de la qualité d’électeur et de candidat, les personnes condamnées pour des crimes de guerre, des crimes de génocide et crime contre l’humanité par une juridiction pénale internationale.

Au cas où Bemba ne serait pas condamné ou qu’aucune culpabilité ne serait retenue contre lui à l’issue d’un procès juste et équitable, les poursuites contre lui faites à ce jour n’auraient aucun effet sur le reste de sa carrière politique.

Mais ceci ressemble fort à une hypothèse d’école !