mardi 6 mai 2008

Face à la convergence parallèle des politiciens

A PROPOS DE LA DISSOLUTION OU DE LA SURVIVANCE DE LA HAUTE AUTORITE DES MEDIAS (HAM) :
QUE DIT LE DROIT ?
[1]
PROBLEMATIQUE

Depuis plusieurs semaines, des débats se succèdent à travers des médias à propos de la dissolution, de la disparition ou non de la HAM, autorité de régulation des médias pendant la transition e République démocratique du Congo. Ces débats semblent par moment prendre la face d’une lutte de leadership et de lutte entre pouvoirs (supposés). Plusieurs fois, ils ont même véhiculés des attaques personnalisées à l’endroit de l’un ou l’autre des acteurs impliqués (d’une part les anciens animateurs de cette institution, d’autre part le ministère de l’information, presse et communication nationale).

Après avoir lu plusieurs parutions du quotidien « Le potentiel », suivi plusieurs émission sur la chaîne évangélique « RTAE » et sur la « Télé 7 »
[2], il me semble qu’une dérive est à la porte. Les attaques et la virulence accroissent. Probablement parce que les débateurs font état d’une certaine suffisance et ne se donnent la moindre peine d’interroger le législateur ou d’approcher les experts en la matière.

La confusion dans les arguments et les faussetés véhiculées lors de la dernière émission suivie à la « Télé 7 », dimanche 8 juillet 2007, ont particulièrement inspiré ces quelques lignes que je vous propose.


MAIS, FACE A CES CONVERGENCES PARALLELES, QUE DIT LE DROIT ?

La base juridique qui apporte une issue loge dans les articles 212 et 222 de la Constitution de la République
[3].

L’article 212, sans faire allusion à la Haute Autorité des Médias
[4], met en place un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) en ces termes :

« Il est institué un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication doté de la personnalité juridique.

« Il a pour mission de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans le respect de la Loi.

« Il veille au respect de la déontologie en matière d’information et d’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication.

La composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement du CSAC sont fixés par une Loi organique ».

Il échet, pour la bonne compréhension de ces dispositions, de recourir à l’article 222 de la même Constitution qui dispose :

« Les institutions politiques
[5] de la transition restent en fonction jusqu’à l’installation effective des institutions correspondantes prévues par la présente Constitution et exerce leurs attributions conformément à la Constitution de la transition.
« Les institutions d’appui à la démocratie sont dissoutes de plein droit dès l’installation du nouveau Parlement.

« Toutefois, par une Loi organique, le parlement pourra, s’il échet, instituer d’autres institutions d’appui à la démocratie ».

Le deuxième alinéa règle définitivement le sort de la HAM et de toutes les autres institutions d’appui à la démocratie pendant la période de la transition, même après avoir constamment demandé leur reconduction pour la troisième République.

C’est cette disposition de la Constitution qui a d’ailleurs justifié que certaines d’entre ces institutions, notamment l’Observatoire National des Droits de l’Homme (ONDH) et la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), ont confectionné leurs rapports finaux qu’ils ont déposés aux archives nationales depuis plusieurs mois.

In fine, il est important de relever que ces dispositions constitutionnelles donnent plein pouvoir à l’Assemblée nationale d’apprécier l’opportunité de recréer d’autres institutions d’appui à la démocratie pour la troisième République (alinéa 3 de l’article 222).

Il est important de relever que par rapport au CSAC, la Constitution ne renseigne pas qu’il sera l’équivalent de la HAM telle qu’elle a été organisée et qu’elle a fonctionné pendant la transition. Elle ne dit pas non plus que la HAM se muera en CSAC pendant la troisième République.

Dans son exposé des motifs, la Constitution dit expressis verbis que « pour garantir la démocratie en République Démocratique du Congo, la présente Constitution retient deux institutions d’appui à la démocratie, à savoir le Commission Electorale Nationale Indépendante (…) et le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication… » La Constitution ne dit pas qu’elle reconduit la Commission Electorale Indépendante et la Haute Autorité des Médias, telles qu’elles ont été instituées par la Constitution de la transition.

Lorsqu’à l’alinéa 1er de l’article 222 de la Constitution le législateur parle des « institutions politiques », il se réfère aux institutions classiques de l’Etat et de pure nature politique (Lire à ce titre le Traité de Westphalie sur les éléments constitutifs de l’Etat). Or, la HAM, comme la CEI ont été envisagées comme des organes techniques et spécialisés même si, au cours de leur fonctionnement elles ont posé certains actes à portée politique. Il y a même lieu de considérer qu’elles ont été des institutions de circonstance et qu’à ce titre, elles ne sont pas considérées par les dispositions sous examen.

Face à la guéguerre, je rappelle qu’il est de droit le principe général qui renseigne que « nul n’a le droit de faire une distinction lorsque le législateur n’en fait pas ; puisque lorsqu’il veut, le législateur dit ou se tait ».
[6]
En empruntant un article défini « les » institutions d’appui à la démocratie sont dissoutes de plein droit, le législateur s’adresse clairement à « toutes » sans faire la distinction, ni donner une survivance à l’une d’entre elles. La conséquence qui s’en suit est que toutes, ayant constitué une importante documentation, sont chargées de la verser aux archives nationales conformément aux règles d’usage en la matière.

Les discussions parlementaires autour de la Loi budgétaire 2007 renforce cette considération. On se rappelle qu’il a été relevé que le Projet de budget déposé par le Gouvernement prévoyait une ligne pour la HAM et la CEI. Cette ligne a été réaffecté à d’autres services de l’Etat parce que le Parlement a jugé que ces institutions n’existent plus.

En attendant, les animateurs de l’ancienne autorité de régulation ont produit plusieurs déclaration, décision et communiqués de presse, dont le plus querellé est celui du 16 mai 2007, réclamant la survie de la HAM sur base du principe général de droit relatif à la « régularité et la continuité des services de l’Etat ».

Faut-il rappeler aussi que dans la hiérarchie des sources de droit (règles de droit applicables en cas de conflit), il ne peut être fait recours aux principes généraux de droit que si la jurisprudence et les Lois (Lois ordinaires, Constitutions, Conventions et traités internationaux régulièrement introduits dans la législation interne) sont muettes. Et qu’en l’occurrence, la Constitution donne une réponse suffisamment éloquente et définitive.

Il a été relevé que la HAM existe du fait de continuer à jouir d’une reconnaissance par d’autres organes de régulation des pas africains. Pour certains, la justification de cette reconnaissance tient au fait que certains de ses animateurs ont été invités à un forum sur la régulation en Afrique tenu à Ouagadougou, capitale du Bourkinafasso.

Je rappelle que ce forum a été préparé depuis environ deux ans et que des animateurs de la HAM y avaient contribué en tant que tels. Il s’avère, il me semble, que leur participation à ce forum ne tient qu’au titre de l’expérience qu’ils ont en maire de régulation. Nul ne pouvait être invité à leur place, la RDC n’ayant pas une longue expérience en la matière. Seules les personnes qui ont eu l’avantage de tremper dans le domaine pouvaient utilement participer audit forum.

Même l’argument tendant à considérer que la HAM gère les affaires courantes est non fondé du point de vue du droit, pour autant qu’en droit la gestion des affaires courantes se limite au stricte nécessaire et à l’urgence. Le gestionnaire d’affaires courantes ne peut donc poser des actes qui engagent l’organisation pour l’avenir. Or, les décisions et communiqués récemment produits par les anciens animateurs de la HAM créent disposent pour l’avenir.

A la suite de cet argumentaire, n’est-il pas fondé de croire que la guéguerre n’est finalement qu’une lutte de repositionnement camouflé sous un faut conflit de compétence et de leadership ?

Une malheureuse confusion a refait irruption dans les échanges télévisés lorsque les intervenants ont considéré que la création de la Cour Constitutionnelle relève de la même réalité que la création du CSAC ; ils font ainsi un parallélisme entre la Cour Suprême de Justice et la Haute Autorité des Médias.

Cette allusion n’est pas correcte. En effet, les deux institutions ne sont pas d’une même nature et n’ont pas les mêmes fonctions. Alors que le CSAC est un organe technique de régulation des médias, la Cour Constitutionnelle est un organe judiciaire appartenant à un des pouvoirs classiques de tout Etat moderne, à savoir : le pouvoir judiciaire. L’article 160 de la Constitution nous renseigne que :
« La Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi.
Les lois organiques, avant leur promulgation, et les Règlements intérieurs des Chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, avant leur mise en application, doivent être soumis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins d’examen de la constitutionnalité, les lois peuvent être déférées à la Cour constitutionnelle, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou le dixième des députés ou des sénateurs.
La Cour constitutionnelle statue dans le délai de trente jours. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours ».

Il est important de rappeler à l’opinion que l’éclatement de l’ancienne Cour Suprême de Justice ainsi que la création d’autres ordres juridictionnelles relèvent des revendications qui datent de plusieurs décennies considérant que le monisme juridique
[7] congolais rendait inefficace l’appareil judiciaire.

L’option levée, une question demeure pendante : quelle est finalement l’autorité qui assume la régulation en l’absence de la HAM et sur base de quel principe de droit ?

L’on pourrait être tenté de croire que la question de régulation devient abandonnée à un vide juridique. Cette considération est erronée pour la simple raison qu’avant l’institution de la HAM, les dispositions qui réglaient la matière demeurent celles de la Loi de 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse
[8].

Elles prévoient qu’ : « en attendant la mise sur pied de la structure légale chargée du contrôle et de la neutralité des médias publics, conformément à l’article 58 point 6 de l’Acte constitutionnel de la transition
[9], la compétence dévolue à celle-ci demeure assumée par le Ministère en charge de l’information et de la presse »[10] et ajoute, qu’ « il en est de même de la période précédant la mise en place effective des collèges Exécutifs régionaux prévus par la loi sur la décentralisation administrative et territoriale, lesquels Collèges sont reconnus compétents pour recevoir ladite déclaration ».[11]

Pour les acteurs majeurs engagés dans la réforme du cadre juridique régissant la liberté de la presse en RDC et dans la production de l’avant projet de Loi organique sur le CSAC (il s’agit principalement du ministère, des anciens animateurs de l’autorité de régulation des médias ainsi que divers autres partenaires), il reste à accepter cette dure vérité de la mort juridique de la HAM.

A défaut, celui qui y trouve un intérêt
[12] devra saisir les instances judiciaires compétentes, conformément aux dispositions de la Constitution qui le fonde à requérir un Arrêt en interprétation des dispositions sujettes à conflit.




Maître Charles-M. MUSHIZI
Avocat à la Cour
Charles.mushizi@gmail.com
Vous pouvez aussi trouver cette analyse sur le web site personnel de son auteur que voici :
www.freewebs.com/mushizi
+243 810 516 908


[1] Sous réserve de l’application des dispositions prévue par la « Loi régissant les droit d’auteurs et les droits voisins », la citation de toute ou partie de la présente publication oblige d’en citer la source http://www.freewebs.com/mushizi/loisetanalyses.htm et l’auteur.

[2] La dernière émission date de la matinée du 8 juillet 2007, rediffusée en fin d’après midi.

[3] http://www.presidentrdc.cd/constitution.html

[4] La Constitution ne dit pas que cette institution est créée en remplacement de la HAM. Et l’allusion souvent faite à la Commission Electorale Indépendante (CEI) vaut la peine d’être relevé à ce niveau. La Constitution ne dit pas non plus que le CENI qu’elle institue à son article 211 est l’équivalent de la CEI, tout autant dissoute de plano. L’apparente survivance de la CEI tient au fait qu’il est recouru aux archives, méthodes et techniques dont elle a fait usage par le passé afin de parachever le processus électoral qu’elle n’organise plus. Ce processus a été récupéré par le Ministère en charge des affaires intérieures.
[5] Il s’agit des institutions politiques classiques dont les équivalents dépendaient de l’issue des élections (Parlement, Gouvernement et Président de la république). On se rappelle que l’Assemblée Nationale successivement dirigée par M. Olivier Kamitatu et Thomas Luhaka ainsi que le Sénat dirigé par Mgr. Marini Bodho, sont resté en fonction jusqu’à l’installation de l’actuel parlement. Et que la même situation a prévalu au Gouvernement.

[6] « Ubi lex non distinguit, non distinguere debemus ; ubi lex voluit dixit, ubi lex noluit taquit »
[7] Le monisme juridique est notamment le fait d’une absence des les Cours et Tribunaux spécialisés selon les branches des matières soumis à leur examen. Les matières relevant du droit du travail, du droit pénal, du droit administratif, du droit civil, … étaient indistinctement traitées par les mêmes Cours et tribunaux congolais. Ceci a longtemps transformé le magistrat congolais en un « connaisseur » de tout le droit, capable de se prononcer sur toutes sortes de litiges. Pour plus de réalisme et d’efficacité de l’appareil judiciaires congolais, des voix ont sollicité la création des juridictions spécialisées et donc des magistrats spécialisés par branche de matière juridique. C’est ainsi qu’ont apparu les Tribunaux de commerce. C’est aussi ainsi que la Constitution institue l’ordre juridictionnel administratif (lire les articles 154 et suivants. http://www.presidentrdc.cd/constitution.html)

[8] Loi connue pour sa grande liberticidité. Dommage, « la Loi est dure mais c’est la Loi ». raison pour laquelle, pression doit être mise sur le Gouvernement et la Parlement pour l’adoption rapide des textes produit par les professionnels des médias et les experts du domaine lord de l’atelier du Centre Bondeko du 19 au 22 juin 2007.

[9] Il s’agit de l’Acte Constitutionnel de la Transition de 1994 produit lors de la Conférence nationale Souveraine et revu à l’occasion de plusieurs autres assises politiques dont les Conclaves politiques qui s’en sont suivies. Le ministère recouvre ainsi ce qu’en droit on appelle une compétence résiduaire, puisque la loi de 1996 demeure en vigueur et le lui reconnaît en se référant à une autre, dont « les dispositions non contraires à celle en vigueur restent d’application ».

[10] Cfr. Exposé des motifs et article 90 de la Loi N°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse en République Démocratique du Congo.

[11] Idem. Dans le contexte politique actuel, il s’agit de la Loi sur la décentralisation territoriale qui sera bientôt adoptée au Parlement.

[12] On dit en droit que « l’intérêt est la mesure de l’action ». Principe général de droit.

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