lundi 10 novembre 2014

« JUSTICE TRANSITIONNELLE : Mécanismes de lutte contre l’impunité des violations graves des droits de l’homme et de réparation de victimes »

Nouveau livre publié par Maître Charles-M. MUSHIZI

PRÉFACE
Par Monsieur David Mugnier

Suite à la victoire, fin 2013, de l’armée congolaise et de la Mission des Nations Unies au Congo (MONUSCO) sur la rébellion du M23, les chances de voir la paix revenir durablement sur l’ensemble du territoire Congolais n’ont jamais été aussi grandes depuis deux décennies. Même si la situation demeure précaire et l’avenir semé d’embûches, la RDC est, espérons-le, en train de progressivement tourner la page des conflits pour s’engager sur celle de la reconstruction et de la réconciliation nationale.

Pour y parvenir, de nombreux défis sécuritaires, économiques et politiques restent, évidemment, à relever. Parmi ceux-ci, l’importance de la lutte contre l’impunité et de la réconciliation nationale ne doit pas être sous-estimée. Pour aider les victimes des conflits à se reconstruire et éviter que les horreurs du passé ne viennent hanter et compromettre le redressement du pays, il est indispensable que la RDC mette en place, comme d’autres États avant elle, des mécanismes de justice transitionnelle adaptés au contexte local, provincial et national.

Pour ce faire, l’appui de la communauté internationale reste important. Mais, rien de durable ne se fera sans la volonté des responsables politiques nationaux, la mobilisation de la société civile et, surtout, sans une appropriation des enjeux et problématiques de la justice transitionnelle au niveau des communautés de base et de la population.

C’est pourquoi on ne peut que saluer la parution, en cette d’année 2014, de l’ouvrage de Maître Charles-M Mushizi sur la justice transitionnelle.

L’auteur, qui travaille sur cette question depuis plusieurs années offre, en effet, aux lecteurs congolais un essai exhaustif et accessible sur le sujet.

Dans un premier chapitre, il retrace les débats théoriques permettant de comprendre ce que recouvre la notion. Écartant l’idée d’une justice adaptée aux périodes de transition, il retient une définition centrée sur les finalités spécifiques de ce processus, à savoir : rendre la justice, rechercher l’expres­sion de la vérité, obtenir réparation pour les victimes, engager des réformes institutionnelles et favoriser la réconciliation et la prévention des conflits.

Dans le second chapitre, l’auteur présente de façon détaillée et pédagogique les options déjà mises en oeuvre, de par le monde, afin de mener à bien un exercice de justice transitionnelle.
Il étudie, tout d’abord, les options qui permettraient d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs des violations graves des droits de l’homme (DH) et du droit international humanitaire (DIH), à savoir 1) la saisine des juges nationaux dont l’auteur rappelle qu’ils peuvent faire usage de la compétence universelle pour juger toute personne suspectée d’avoir commis des violations graves des DH et du DIH, sans considération de sa nationalité ni des immunités auxquelles lui donne droit sa fonction ; 2) la saisine de la Cour Pénale Internationale; 3) la création d’un Tribunal pénal international ; 4) la mise en place de juridictions mixtes ou de chambres spécialisés mixtes. Il consacre, ensuite, de longs développe­ments à l’analyse des mécanismes de recherche et d’expression de la vérité dont l’importance n’est plus à démontrer. Sans établissement des faits, les poursuites, les réparations, les réformes institutionnelles et les exercices de réconciliation risquent, en effet, de ne jamais voir le jour.

La présentation très détaillée qu’il fait de l’expérience marocaine est par­ticulièrement riche d’enseignements pour la RDC car elle montre le rôle capital joué par la société civile locale dans la conservation de la mémoire des violations, même lorsque le pouvoir politique refuse la création d’une commission officielle d’établissement de la vérité.

L’auteur se penche, également, sur la question complexe des réparations à envisager en faveur des victimes. Il rappelle le débat existant entre par­tisans et adversaires des réparations collectives et présente, en détail, les différentes mesures envisageables, en soulignant l’importance des consul­tations préalables de la population locale et la nécessité de tenir compte des spécificités liées à l’âge et au genre des bénéficiaires.

L’auteur présente, ensuite, de façon fouillée, les différentes réformes à mener afin d’améliorer le fonctionnement des services de sécurité et de la justice. Il note l’intérêt qu’il y a à mettre en place des commissions chargées d’écarter des services de sécurité les personnes impliquées dans les violations des DH et du DIH afin que la population puisse retrouver confiance dans les institutions et obtienne des garanties en matière de non répétition des violations.

L’auteur analyse aussi longuement ce qu’il qualifie d’exercices transver­saux, c’est-à-dire les mesures et processus complémentaires destinés à consolider le retour de la paix : on retiendra notamment les pages consa­crées aux cérémonies traditionnelles inspirées des traditions locales afri­caines ainsi que les actions destinées à préserver la mémoire d’un passé douloureux.

De cet exposé, il ressort clairement qu’un processus de réconciliation est toujours un exercice long et incertain qui, pour avoir une chance d’abou­tir doit être enraciné dans le contexte local et conduit par les personnes et les communautés les plus directement concernées.

Pour finir, l’auteur s’intéresse dans son pays d’amnisties et prend directe­ment position dans le débat en cours sur le sujet. Il rappelle, à juste titre, qu’une amnistie est, à la fois, une décision inacceptable mais inévitable, sous réserve qu’elle respecte certaines conditions comme : la mise à l’écart de son champ d’application des crimes de génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes d’enrôlement d’enfants soldats, des viols et violences sexuelles et des crimes de détournement des fonds publics ; l’octroi, comme en Afrique du Sud, d’une amnistie aux seules personnes ayant dit toute la vérité sur les crimes commis sous réserve qu’un lien ait pu été établi entre le crime et la situation spécifique dans laquelle il a été commis (conflit, régime politique) ; l’obligation pour le délinquant de payer des dommages-intérêts à la victime.

L’auteur consacre son troisième et dernier chapitre aux défis de la jus­tice transitionnelle en RDC. Il y récence les contraintes et obstacles de toute sorte qui entravent la mise en oeuvre des principaux mécanismes et dresse un bilan critique des mesures déjà prises en faveur de la lutte contre l’impunité et de la réconciliation.
Au terme de la lecture de l’ouvrage, on ne peut que former le vœu que ce livre accompagne les efforts de tous ceux qui souhaitent faire avancer la cause de la justice et de la paix en RDC et que tous les Congolais puissent y trouver matière à inspiration, réflexion et encouragement, malgré l’ampleur de la tâche restant à accomplir.

David Mugnier
Ancien Analyste Politique du Projet Mapping
et Ancien Directeur du « Projet Profiling »

Des Nations Unies en République démocratique du Congo

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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...