vendredi 14 septembre 2012

LA LOI N°96-002 DU 22 JUIN 1996 : Contenu - Forces - Limites

Conférence donnée à OSISA/Kinshasa, le 14 septembre 1012

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I. INTRODUCTION

Dans le cadre de ce lancement de réflexion sur la défense Pro Deo et Bono en faveur des journalistes et des médias, il m’a été demandé de parler de la loi de 1996[1].

Il s’agit bien entendu de la loi fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo.[2]

J’avoue n’avoir pas compris avec exactitude ce que les organisateurs de ces assises attendaient de moi.

Mais j’ai pensé que parler de cette loi, dans un espace où la défense des journalistes et des médias sont les maîtres mots, m’appelait à circonscrire non seulement la substance de ladite loi, mais aussi ses forces et ses faiblesses au regard du besoin pour les journalistes et pour les médias de jouir effectivement de leur liberté d’informer et de former l’opinion.

Plus en clair, j’ai donc pensé que l’analyse de la loi devait prioritairement considérer les aspects de la défense des journalistes et des médias en justice.

Voilà ce qui m’amène à vous proposer cette analyse, en deux petits points, examinant, tour à tour la substance de la loi avant d’aborder ses forces et ses faiblesses face à la nécessité d’une prise en compte de la défense gratuite des journalistes et des médias.

Voyons donc dans un premier point, la substance générale de cette loi de 1996.

II. CONTENU DE LA LOI

La loi de 1996 a été adoptée et promulguée peu après la Conférence Nationale Souveraine (CNS) et après la tenue des états généraux de la presse qui ont eu lieu en 1995.

Elle a abrogé l’Ordonnance-loi n° 70/57 du 28 octobre 1970 relative à la liberté de la presse en République du Zaïre ultérieurement modifiée et complétée par l’Ordonnance loi n°81/011 du 02 avril 1981.

Sa ratio legis, c’est-à-dire, ses motivations et sa philosophie profondes tournent autour d’un certain nombre d’éléments qui caractérisaient le contexte d’alors.

Il s’agissait essentiellement d’une forte et constante demande de la population en faveur de l’ouverture de l’espace politique ainsi que des revendications des médias et de la société civile en faveur d’une presse plus libre.

Le législateur a, alors pris le courage d’adapter la législation existante en empruntant aux textes internationaux dont la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, pour ce qui est de leurs dispositions relatives à la liberté d’expression.

En s’inspirant de ces textes, le législateur a marqué une très importante évolution. C’est qui l’a amené, par exemple à supprimer le monopole[3] de l’État en matière de création et de gestion des structures d’information et étendre les termes de la loi sur l’ensemble de la presse, écrite et audiovisuelle, publique et privée.

Parmi les innovations apportées par la loi de 1996, il faut aussi relever l’instauration du régime de déclaration en lieu et place de celui de l’autorisation, pour assouplir les exigences administratives dans le processus de la création des médias.

L’article 22 de la loi sous examen stipule en effet que : « sans préjudice des dispositions générales et particulières applicables aux entreprises, toute entreprise de presse introduit au préalable auprès du collège exécutif régional ayant l’information et la presse dans ses attributions une déclaration… ».

Le législateur de 1996 avait déjà prévu une décentralisation des organes devant régir et garantir l’exercice de la liberté de la presse en instituant des collèges exécutifs provinciaux en leur octroyant des missions très larges.

Cette loi a donc renforcé les droits des particuliers engagés dans la création et la gestion des médias.

Elle leur ouvre le droit à un recours auprès du tribunal de grande instance du ressort, toutes les fois qu’ils se trouveraient lésés par quelque acte administratif durant le processus de création et de fonctionnement de leurs médias.

La loi de 1996 a surtout le grand mérite d’avoir annoncé la création d’une instance légale chargée du contrôle et de la neutralité des médias publics.

Il s’agit de l’organe de régulation des médias mais qui, pour le législateur devait se limiter à réguler les seuls médias publics. On peut considérer à juste titre que le législateur n’était pas encore familiarisé à l’idée qu’il existerait beaucoup des médias autres que ceux créés par l’Etat.

Il est important de relever cependant que la survivance de ces dispositions dans le corps de l’exposé des motifs de la loi devient anachronique et appelle reforme.

Non seulement que l’instance de régulation ne peut se limiter aux seuls médias publics, mais depuis 2003, le pays a déjà connu deux expériences de régulation des médias par des institutions indépendantes.

Par la loi n° 81/011 du 2 avril 1981, le législateur a définitivement reconnu l’importance du rôle que devront jouer les médias privés et les journalistes tant du secteur public que du secteur privé.

C’est ainsi qu’il a revu le statut des journalistes, au regard des dispositions déontologiques dont les prémisses avaient déjà été posées par la loi de 1970.

Cette loi a finalement le mérite, bien que théorique, de proclamer la neutralité des médias publics.

Dans une vision moderniste, bien que quelque peu étriquée, l’article 53 de la loi affirme que « la communication audiovisuelle publique est pluraliste. Elle ne peut, en aucun cas, être monopolisée au profit d’une seule opinion ou d’un groupe d’individus ».

De façon générale, elle consacre toutes ces innovations et avancées à travers trois principes clés, à savoir : le principe de la liberté de la presse, le principe de l’aide publique aux médias et le principe de la liberté de création des entreprises privées dans le domaine des médias.

Voyons, très rapidement, le contenu de chacun de ces principes.

§  Principe de la liberté de la presse

Le principe de la liberté de la presse mis en branle par la loi de 1996 constitue une garantie constitutionnelle.

En effet, « la République démocratique du Congo garantit l’exercice des droits et libertés individuels et collectifs, notamment les libertés de circulation, d’entreprise, d’information, d’association, de réunion, de cortège et de manifestation, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs ».

La constitution dispose à ses article 23 et 24 que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit implique la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs » ; « toute personne a droit à l’information. La liberté de presse, la liberté d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication sont garanties sous réserve du respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui »

§  Le principe de l’aide publique aux médias

Au sens de la loi, l’État peut octroyer une aide indirecte aux entreprises de presse privées, au titre de tarifs préférentiels dans le domaine des importations des matières nécessaires à la production et à la distribution des informations.

Les limites de la loi de 1996 sur ce point sont telles qu’elle ne prévoit pas de modalités pratiques d’octroi de cette aide publique aux médias. Le plus simple serait de l’inscrire sur une ligne du budget de l’Etat.

Entretemps, de véreux politiciens exploitent cette faiblesse pour s’attirer la sympathie des professionnels en leur accordant de temps en temps de petits appuis matériels ou financiers sous formes de dons personnels et sélectifs d’ailleurs.

§  Le principe de la libre création des médias

La loi reconnaît aux privés, personnes physiques ou morales, la possibilité de recevoir et d’émettre des signaux radios et télévisés ou de créer des organes de la presse écrite.

De ce fait, comme dit plus haut, la loi consacre ainsi la fin du monopole et en parfait accord avec les dispositions pertinentes des lois sur le commerce en RDC et dans le bassin du Congo, elle renforce la liberté de création des entreprises de manière générale.

L’entorse qu’il est souhaitable de relever face aux abus constatés est l’entière liberté de création des médias qui est laissée aux hommes politiques, qui l’exploitent en créant des médias sans contenu et dont le seul travail est d’encenser leurs promoteurs par la propagande, souvent mensongère, au détriment du droit du public à une information formatrice et informatrice.

Examinons, maintenant, dans un point séparé, les autres limites à la loi de 1996 qui appellent d’urgentes reformes.

III. LIMITES DE LA LOI

Inscrit dans le cadre de présentes assises, je relève que la plus grande faiblesse de la loi de 1996 consiste en une absence totale des dispositions sur la protection des journalistes et des médias contre des actions en justice, surtout lorsque ces actions sont purement vexatoires et téméraires.

Dans la plupart des cas où ils sont poursuivis, la pratique judiciaire démontre qu’en plus ces principes de la loi invoqués plus haut ne sont jamais interprétés à leur bénéfice.

Quelques fois ces principes sont appliqués de manière incomplète en cela que leur application ignore totalement la valeur du droit du public à l’information dans la construction d’une démocratie.

La formulation de certaines dispositions de la loi sous examen et celles du code pénal en rajoute aux écueils, notamment lorsqu’il n’est donné aucun droit aux journalistes et aux médias de bénéficier de l’exception de vérité[4].

En effet, du point de vue de la répression des infractions commises par voie de presse, la loi de 1996 marque un grand recul et une sorte de remise en cause des acquis de la liberté de la presse.

Si un journaliste porte sa critique sur la gestion de la chose publique, il peut être passible de lourdes condamnations pour autant qu’à la suite de son papier un quidam allègue que cette critique l’a particulièrement visée (directement ou non) et qu’elle lui a causé quelque préjudice ou exposé au mépris du public.

En RDC, le code pénal est appliqué avec toute sa rigueur à tout journaliste qui « impute à quelqu’un un fait précis ».[5] La rigueur est d’autant injuste que le code considère que « la véracité ou la fausseté des faits imputés sont inopérantes ».[6]

On peut bien prendre le risque d’affirmer que le législateur de 1996 a réservé une large place au droit pénal pour renforcer ses dispositions, sous la garantie d’une contrainte parfois exagérée qui rappelle les années de la forte dictature mobutienne.

En commettant une infraction par voie de presse, le journaliste sera soumis en premier lieu au régime de responsabilité pénale, qui n’est malheureusement pas personnelle ni individuelle comme l’établissent les principes du droit pénal.[7]

Ici loge une autre faiblesse de la loi. En effet, cette responsabilité pénale est alternative au lieu de se limiter à l’auteur du papier incriminé. Ceci fait clairement apparaitre le caractère trop répressif que le législateur a voulu imprimer à cette loi et donc l’intimidation latente contre toute critique des médias à l’endroit des autorités.

A côté de la responsabilité pénale, existe une responsabilité civile[8] à assumer par la personne poursuivie en justice et qui peut aboutir à une très lourde condamnation pécuniaire contre elle.

Il est important ici d’épingler ici la faiblesse de la justice institutionnelle qui interprète la loi, le plus souvent, en défaveur des médias et des journalistes, souvent pauvres, notamment lorsque le plaignant est détenteur d’un quelconque pouvoir (politique, financier, militaire, etc.)

Mais il faut en même temps pointer les organes professionnels du domaine des médias, qui demeurent largement incapables d’être réellement des cadres fédérateurs d’intérêts professionnels ou même de devenir des syndicats organisés et efficaces pour la protection de leurs membres.

Les organes professionnels portent en plus, sur eux, la responsabilité du fait que la loi de 1996 et d’autres textes qui régissent la profession ne sont presque pas connus par leurs professionnels. Ceci, à cause de la faible vulgarisation qu’ils en ont fait, ce qui renforce la vulnérabilité des médias et des journalistes.

Pour ce qui est d’autres faiblesses de la loi de 1996, il faut relever qu’elle est incomplète et ne prend pas en compte certaines spécificités de la profession. Elle est abondante ; touffue mais avec des éléments déjà tombés en désuétude.

Tel est le cas de la non reconnaissance des médias associatifs et communautaires ainsi que des médias scolaires et académiques ; reconnus pourtant comme les médias les plus en proximité de la population.

Finalement, il est dommage que le secrétariat général du ministère des Postes Transport et Télécommunication continue à traiter tout dossier d’implantation d’entreprises des médias en fonction des arrêtés d’application de l’ancienne loi malgré la promulgation de la loi-cadre n° 013/2002 du 16 octobre 2002 sur les télécommunications.

IV. CONCLUSION

L’analyse ci-dessus fait apparaitre plusieurs défis à relever tant sur des reformes à obtenir que sur la sécurité des journalistes et des médias à renforcer.

En effet, plusieurs médias ainsi que leurs professionnels fonctionnent et vivent en permanence dans la peur.

Cette peur les conduit souvent à une autocensure au point de vider l’information de toute sa substance.

Les informations diffusées deviennent purement protocolaires et le droit du public à une information utile s’en trouve finalement vidée de sa substance.

Les exemples sont légion : Qui osera critiquer par exemple les fameux « cinq chantiers » qui semblent achopper sur eux-mêmes, alors que tous les discours entendus dans les medias ont repris la déification d’hommes politiques comme dans les années 80? Ou alors que des slogans ont repris la place des actions ? Alors que visiblement le train de vie des animateurs des institutions n’a de pareil par rapport au reste des citoyens ?

Alors que l’Etat a mis en place un véritable système de matraquage des citoyens en les obligeant de payer diverses sortes de textes pendant que ses propres agents restent impayés depuis de longues années ? Pendant que les taxes payées ne servent à rien visiblement ?

La question sécuritaire des journalistes et des médias prend de plus en plus de la place dans un contexte d’assassinats successifs des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme, de fermetures injustifiées des médias face à l’indifférence totale des autorités  ou plutôt face au refus pour la justice institutionnelle de jouer son rôle de dernier rempart pour tous les citoyens.

De l’avis d’Ong nationales et internationales, cette insécurité va croissante particulièrement dans les zones de conflits militaires ouvert et dans des zones à forte tension politique comme à Kinshasa où semble s’installer depuis la fin des élections de 2006, une sorte de pensée unique et la traque des opposants.[9]

Entretemps, tous les procès ouverts sur des assassinats des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme n’ont donné lieu qu’à des parodies de justice.

Je vous remercie !


[1] Loi N°96-002 du 22 juin 1996
[2] Dorénavant RDC
[3] Article 23 de la loi de 1996
[4] On parle d’ « exceptio veritatis »
[5] Art 74 et suivants du CPL II en rapport avec les imputations dommageables et les injures.
[6] Point doctrinal dans l’interprétation. Lire notamment les professeurs de droit pénal Pierre Akele Adu, Fofe Malewa Djofa, Ileka, etc.
[7] La responsabilité pénale est individuelle contrairement à cette loi qui établit une responsabilité en cascade (Art. 28 et suivant de la loi de 1996).
[8] Le principe posé par les articles 258 à 260 CC LIII est que « tout fait quelconque qui cause préjudice à autrui, oblige celui par le fait de qui ce fait a été produit de réparer le préjudice causé ».
La responsabilité civile de l’organisme de presse, du fait de ses écrits ou de ses émissions, découle bien souvent de sa responsabilité pénale.
Ainsi, le directeur, aux termes de l’article 29, est civilement responsable des condamnations prononcées contre le journal ou l’écrit périodique et ce, solidairement avec l’auteur de l’article. Cela signifie concrètement, qu’en cas de délit de presse, la victime pourra obtenir réparation du préjudice qu’elle aura subi, de l’un quelconque des deux débiteurs solidaires de son choix, à savoir le propriétaire-directeur ou l’auteur de l’article.
L’expression « civilement responsable » n’aurait pas la connotation technique spécifique de celui qui répond du fait d’un tiers, car l’auteur de l’article n’est pas nécessairement un préposé du propriétaire-directeur.
Dans le secteur de la radiodiffusion et de la télévision, lorsque le directeur des programmes est à la fois propriétaire, il est civilement responsable et solidairement avec l’auteur de l’émission de sons ou des images dommageables. Lorsque le directeur des programmes n’est pas en même temps propriétaire de l’entreprise, ce dernier est civilement responsable avec le directeur des programmes des imputations dommageables.

[9] Lire à ce propos les deux rapports de Human Right Watch (novembre et décembre 2008)