Par Charles-Mugagga MUSHIZI
Avocat à la Cour
Directeur du CERJI (Centre d’Echanges pour des
Réformes Juridiques et Institutionnelles)
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A
l’état actuel de la législation, la réponse est indiscutablement « oui ! »
Depuis
plusieurs semaines, la question de savoir si oui ou non Joseph Kabila demeure
fondé de candidater à nouveau comme président de la République fait couler
ancre et salive. Cette question préoccupe des juristes, des scientifiques (universitaires
même), des politiques congolais et même des professionnels des médias. Le
« non » dominant qui y est constamment réservé au titre de réponse me
semble plutôt « réactionnaire ». Pour moi, cette réponse ressort d’une
sorte d’attitude plutôt récriminatrice à l’endroit de Joseph Kabila. Elle est
très probablement justifiée par les résultats largement négatifs de mandats que
celui-ci a passés à la tête de la République démocratique du Congo (RDC) de
manière ininterrompue depuis 2001 jusqu’à 2018.
Il
y a certes cette récrimination qui est socialement et même politiquement
compréhensible, mais il y a surtout en toile de fond des analyses basées sur
une interprétation incomplète, incorrecte même, des dispositions de l’alinéa 1er
de l’article 70 de la Constitution de la RDC au sens desquelles « le président de la République est élu au
suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ».
Je
note que les dispositions ci-dessus, rapprochées de celles de l’alinéa 6 de
l’article 104 de la même constitution au sens desquelles « les anciens présidents de la République élus
sont de droit sénateurs à vie » font affirmer ces juristes,
scientifiques, politiques et professionnels des médias qu’après son deuxième
mandat, l’ancien président de la République ne peut plus, de toute sa vie, postuler à nouveau.
Sans
préjudice d’une interprétation écrite du juge (en l’occurrence de la cour
constitutionnelle), une telle interprétation n’est soutenable que dans les
limites de l’esprit de la constitution et de la loi N°18/021 du 26 juillet 2018 portant statut
des anciens présidents de la République élus et fixant les avantages accordés
aux anciens chefs de corps constitués.
Aussi,
je me permets de rappeler qu’en droit positif la force contraignante de loi (au
sens général) ne réside pas tant dans son esprit que dans ses dispositions
écrites (son préambule ou son exposé des motifs ainsi que ses articles).
Voilà
pourquoi j’estime que de cette mauvaise interprétation découlent les deux
accessions totalement contradictoires ci-dessous :
¬
D’une
part, elles tendent à affirmer qu’aucun ancien président de la république ne
peut plus jamais se représenter pour un nouveau (deuxième) mandat même
lorsqu’il n’en a fait qu’un seul puisqu’il sera entretemps devenu sénateur à
vie ; et
¬
D’autre
part, elles insinuent que tout ancien président de la République, devenu
sénateur à vie, ne peut de toute sa vie avoir droit à un autre (troisième
éventuellement) mandat à cause de son droit viager de sénateur.
Au le plan strictement juridique, ces deux
assertions, qui sont des conséquences de cette lecture combinée des
dispositions constitutionnelles, sont fausses, notamment lorsqu’elles sont
confrontées aux dispositions des articles 110 et suivants de la même
constitution qui sont relatives à « la
fin du mandat de député national ou de sénateur ».
Elles sont d’autant fausses, tout au plus
incorrectes, du fait qu’au regard des dispositions de la « loi N°18/021 du 26 juillet
2018 portant statut des anciens présidents de la République élus et fixant les
avantages accordés aux anciens chefs de corps constitués », il n’est
expressément de restriction sur cette question aux anciens présidents de la
République.
On
note, par exemple, que sans préciser qu’il s’agit des sénateurs élus ou non,
l’article 110 de la constitution dispose entre autres que « le mandat de député national ou de sénateur
prend fin par (…) démission »,
c’est-à-dire par « un acte à travers
lequel on renonce à une fonction ou à un mandat[1] ».
En
effet, la loi N°18/021
du 26 juillet 2018 qui devait constituer un important levier pour dénouer ce
débat se limite à dire à son article 1er notamment qu’elle « fixe le statut des anciens
présidents de la République élus, (…) détermine les règles spécifiques concernant
leurs droits et devoirs, (…) le
régime de leurs incompatibilités, leur statut pénal ainsi que les avantages
leur reconnus (…) ».
La lecture des dispositions de cette loi qui sont relatives
aux obligations d’anciens présidents de la République élus ne renseigne strictement
pas non plus sur le caractère
contraignant ou non contraignant du mandat viager de ces derniers
lorsqu’ils deviennent sénateurs à l’issue de leur mandat de chef de l’Etat.
Les conclusions, au plan juridique, deviennent aisées :
« ce qui n’est pas interdit est
permis », « ubi lex no
distinguere, non distinguere debe mus », « ubi lex noluit taquit ». On peut ajouter à ces conclusions que
ni le constituant ni législateur n’ont assorti leurs dispositions des sanctions
particulières à l’égard d’anciens présidents de la République qui iraient à
l’encontre de leurs prescriptions.
Je note par ailleurs que le constituant de 2006 ainsi
que le législateur de 2018 ont simplement voulu faire de ce droit viager un « droit
purement personnel » auquel les anciens présidents de la République
peuvent renoncer à volonté, notamment par
démission, lorsqu’ils désirent solliciter un nouveau mandat présidentiel.
Pour pas que la prochaine candidature du
« président honoraire de la République[2] »,
Joseph Kabila soit donc déclarée recevable et fondée, la loi N°18/021 du 26 juillet
2018 et même la constitution de la RDC devraient assortir ce droit de
quelques contraintes allant notamment dans le sens d’interdire toute
possibilité de renonciation au mandat viager du sénateur à vie.
Dans le
cadre de ces contraintes, l’article 110 de la constitution devrait faire une
nette différence entre le régime appliqué aux députés nationaux, aux sénateurs
élus et aux sénateurs à vie en créant un régime spécial pour ces derniers. Ce
régime spécial devrait ainsi consacrer le caractère non dérogeable par ses
bénéficiaires.
Il n’y
a qu’avec cette restriction que les présidents honoraires de la République ne
pourraient plus jamais revendiquer le droit à un nouveau mandat constitutionnel
de président de la République, de député national, de député provincial, de
sénateur, de gouverneur de province, de bourgmestre, de conseillers communaux,
d’échevins, etc.
Il me
semble donc que seule la réforme de l’actuelle constitution de la RDC ainsi que
de la loi N°18/021 du 26 juillet 2018 dans le sens indiqué ci-dessus constitue
la seule voie pour parer à toute éventuelle future candidature du concerné.
[2] Expression consacrée par la loi N°18/021 du 26 juillet 2018_________________________________________