I. INTRODUCTION
Il y a
quelques jours, je discutais avec quatre compatriotes congolais, autour d’un
café, à l’ « Hôtel Mekiels » à Harare, capitale du Zimbabwe. Nos
discussions tournaient autour des pistes de solutions possibles face aux crises
sécuritaires et aux violations des droits de l’homme devenues récurrentes
notamment dans la partie est de la République démocratique du Congo (RDC). Elles
ont plusieurs fois achoppé sur une affirmation : la plupart des crises
sécuritaires à l’est de la RDC sont entretenues par le Rwanda et les
populations tutsies vivant en RDC autour de la question de la nationalité et de
la protection de la « minorité », concept inapplicable à ce pays, où
chaque groupe tribal ou ethnique constitue en soit une minorité par rapport à
l’ensemble.
J’ai alors
pensé que cette question devrait impulser un moment de réflexion et une
réflexion profonde pour chaque congolais.
Voilà qui a
motivé les quelques lignes que vous avez devant vos yeux en ce moment et qui n’ont
pour objectif que de proposer à l’ensemble de mes lecteurs un débat citoyen, un
débat d’avenir, un débat de paix pour toute personne qui vit ou qui désire
venir vivre en RDC, congolaise ou non congolaise.
Je sais que
la problématique de la nationalité n’est certes pas la seule qu’il faille
regarder avec toute l’attention dans un pays où la population meurt de faim, où
la jeunesse n’est pas instruite, où des diplômés, jeunes et vieux, cherchent
sans espoir de l’embauche et où des travailleurs ne trouvent aucune motivation
pour donner le meilleur d’eux-mêmes.
Mais, je
sais aussi que cette problématique est de celles qui conditionnent le
fonctionnement harmonieux du pays, l’épanouissement de tout homme et de toute
femme, de tout enfant, de tout jeune et de tout vieux qui vit ou désire venir
vivre dans une RDC désormais apaisée, pacifiée et exportatrice des valeurs de
paix dans la région des Grands Lacs.
Je définis la
double nationalité à laquelle je fais allusion dans le titre comme une « possession
simultanée des nationalités de deux États différents ».
Il s’agit
d’une situation qui peut être envisagée à la naissance d’un enfant ou plus tard
lorsqu’il a grandi et qu’il peut volontairement les acquérir. En cela, elle
n’est pas définitive puisque le détenteur de deux nationalités peut renoncer à
une d’elles pour en rester avec une ou pour en changer une contre une autre.
Elle n’est pas définitive puisqu’aussi le détenteur de deux nationalités peut se
voir déchoir de l’une d’elles selon les conditions et les procédures de mise
dans l’un des pays dont elle en détient une.
De cette définition
découle un principe fondamental : la double nationalité relève du libre
arbitre, du choix délibéré de la personne qui désire en acquérir. Il s’agit de
l’exercice d’une liberté fondamentale, en principe basée sur la qualité de vie,
sur le bonheur, la qualité de l’avenir ou de la sécurité qu’une personne se
sent en droit de demander à l’Etat de son choix. Bien entendu à condition que
les Etats dont elle désire acquérir la nationalité prévoient cette option.
Il est
important de relever qu’il arrive d’ailleurs que des Etats, par acquis au
principe de la double nationalité, initient et signent entre eux des accords
internationaux sur la nationalité de leurs ressortissants respectifs.
Cette
pratique relève à mon avis d’un niveau considérable de développement de la
protection diplomatique de leurs ressortissants. Il s’agit en même temps d’un
important développement de la conception d’une gouvernance sur la question de
nationalité, fondée sur la protection de la liberté des choix des
citoyens ; du renforcement des modalités d’exercice de leurs libertés
publiques et fondamentales.
Plusieurs
pays au monde ont opté pour la possibilité de leurs citoyens de pouvoir accéder
à une autre nationalité. D’autres, dont la République démocratique du Congo
(RDC), ont systématiquement verrouillé cette possibilité pour des congolais
d’acquérir une nationalité différente ou pour des ressortissants d’autres pays
d’acquérir la nationalité congolaise.
Bien
souvent, le choix de la RDC a été justifié par la difficulté d’établir la
véritable allégeance de la personne détenant deux nationalités différentes.
Craignant ainsi que l’option de la double nationalité ne desserve ses intérêts
fondamentaux, notamment dans les domaines sécuritaire, politique et économique.
L’article 10 de la Constitution congolaise dispose que
« la nationalité congolaise est une et exclusive.
Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. La nationalité congolaise est soit d’origine, soit
d’acquisition individuelle ». Elle ajoute qu’ « est congolais d’origine,
toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire
constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République
Démocratique du Congo) à l’indépendance ».
Ces dispositions constitutionnelles sont mises en
œuvre par l’article 1er de la loi du 1er août portant
code de la famille et qui dispose que La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle
ne peut être détenue concurremment avec une autre nationalité. Elle est soit
d’origine, soit acquise par naturalisation ».
II. ANALYSE DU CONTEXTE
L’analyse du
contexte congolais, depuis son accession à la souveraineté internationale le 30
juin 1960 semble démontrer que le choix de l’unicité et de l’exclusivité de la
nationalité congolaise n’a pas été autrement pensé que pour des raisons
sécuritaires. En effet, c’est depuis de longues années que le pays faisait déjà
face à des guerres épisodiques dans sa partie est, conséquence, bien souvent
des guerres interethniques au Rwanda et au Burundi.
Les analystes
affirment que les premiers refugiés rwandais ont foulé le sol congolais, fuyant
les guerres chez eux, vers les années 30, soit bien avant la décolonisation du
Congo. Ils affirment aussi que dès leur arrivée sur le sol congolais, ils
avaient tendance à se faire frauduleusement passer pour des congolais pendant,
notamment qu’ils se préparaient militairement pour évincer le pouvoir en place
dans leur pays et le regagner.
Aussi, à
l’arrivée de Mobutu au pouvoir, le 24 novembre 1965, le choix a été celui de
refondre le livre premier du code civil de naguère pour y consacrer ce que son
régime a alors considéré comme des valeurs patriotiques et nationalistes dont l’unicité
et l’exclusivité de la nationalité congolaise, zaïroise plus tard avant de
redevenir congolaise en 1997.
En 1996,
pendant que s’annonçait une certaine « guerre de libération »
conduite par Laurent Désiré Kabila, un groupe des tutsi vivant en RDC depuis de
longues années ont commencé à revendiquer qu’il leur soit reconnu la
nationalité congolaise.
Ces
revendications ne manquaient pas forcément de légitimité :
-
tout d’abord la question de nationalité, lorsqu’elle
est abordée en RDC, elle n’est soulevée que par des politiciens et non par la population.
Bien plus, la population ne joue aucun rôle dans les choix que les politiciens
y opèrent. La preuve c’est qu’il n’a jamais existé un référendum populaire sur
cette question, surtout dans les parties directement concernées par les
revendications. La question valait la peine d’être soulevée à la base, me
semble-t-il.
-
Deuxièmement, sans plaider une cause qui, aux yeux
de quelques analystes, serait déjà perdu, il existe en RDC des groupes bahutu
dont la nationalité n’a jamais été remise en cause, pendant que les
revendications de 1996 étaient presque exclusivement conduites par des
populations tutsies. Et l’on sait bien que le rapprochement de feu le maréchal
Mobutu avec feu le président rwandais Habyarimana pourrait constituer un début
si pas le fondement de l’explication.
-
Troisièmement, la question de nationalité qui relève
partiellement des choix souverains de l’Etat a plusieurs fois été traitée avec
légèreté notamment lorsqu’en 1972, Bisengimana, alors directeur de cabinet
de feu le maréchal Mobutu initia et fit signer à ce dernier une Ordonnance
octroyant de manière collective la nationalité congolaise aux populations
d'origine rwandaises (Hutus et Tutsi)
-
arrivées
comme main-d’œuvre coloniale entre 1930 et 1950, sans qu’aucun recensement
préalable ni l’organisation d’un référendum populaire dans les provinces
concernées. Cette Ordonnance a généré des droits acquis pour des populations
traitées d’étrangers plus tard.
-
Le
désordre avec lequel la question de nationalité a été traitée depuis des années
démontre qu’il existe bien des groupes plutôt visés que d’autres, une sorte de
stigmatisation : en démontre le fait qu’en 1972, aucune possibilité
d’acquisition de la nationalité n’était consacrée alors qu’en 1981, avec
l’entrée en vigueur du code de la famille, on consacre finalement plusieurs
modalités d’acquisition de la nationalité congolaise mais sous des conditions
assez prohibitives. Il suffit de se rapporter sur les conditions d’obtention de
la petite et de la grande naturalisation.
III. DOUBLE NATIONALITE : UNE
ISSUE DE SECOURS ?
Depuis des
années, la question de la double nationalité fait couler l’encre et la salive
des politiciens congolais. Mais à vrai dire, aucune discussion courageuse n’a
jamais été engagée sur la question. En témoigne le fait que des accusations,
jamais contredites d’ailleurs, courent les rues sur la détention, par plusieurs
officiels congolais des nationalités autres que celle congolaise.[1]
De même,
depuis des années, des affirmations ont circulé, laissant croire que les
ressortissants rwandais seraient
pratiquement les seuls bénéficiaires de la double nationalité si elle
constitue le choix du législateur congolais. Ces affirmations trouvent pour
justification, le fait que le Rwanda a plusieurs fois agressé la RDC.
Le manque de
courage des politiciens congolais, la peur injustifiée du Rwanda, l’hypocrisie
et les affirmations gratuites comme celles reprises ci-dessus sont forcément
inquiétantes. L’Etat qui opte pour le principe de la double nationalité doit
mettre en place des mécanismes non seulement de son octroi mais aussi de son
contrôle.
Il me semble
ici que le refus est fondé sur l’affirmation de l’incapacité perpétuelle de la
RDC à pouvoir contrôler l’acquisition de sa nationalité, ce qui est le cas
d’ailleurs, mais aussi à en contrôler l’exercice effectif, ce qui parait aussi
être le cas.
Mais une
question se pose : jusqu’à quand un Etat sera-t-il capable de telle
monstrueuse affirmation ?
Je conçois le
choix de la double nationalité comme une modalité d’exercice des libertés les
plus fondamentales dans des pays acquis au principe et à la pratique des droits
de l’homme. En cela, il pourrait constituer une issue pour certains problème de
la RDC, globalement taxée de mauvais élève en matière des droits de l’homme par
les Nations Unies et les organisations de défense et de promotion des droits de
l’homme.
Ce choix
serait une issue à un triple titre :
-
Les balles qui crépitent sous des revendications de
nationalité se terraient ; pour autant que ces revendications soient
sincères.
-
Le pays n’a plus d’école depuis des années. Il se
pose un réel problème des ressources humaines pour les années à venir pendant
qu’il n’existe aucun mécanisme de coopération en termes d’échanges
d’expériences et de technologies avec les pays avancés. Ici la double
nationalité permettrait la fuite de l’intelligence, du savoir et du savoir
faire des pays où on n’y recourt plus assez pour la RDC qui en aura alors
fortement besoin.
-
Et que dire des investisseurs d’autres pays qui souhaitent
vivement venir investir en RDC sous la seule condition de se sentir protégés au
même titre que tous les autres congolais !
Peut-être
aussi que ce choix pourrait sensiblement améliorer la qualité de la classe
politique du pays ? A voir. De toute façon, on a à y gagner. Question de
courage. Il y a lieu d’essayer, puisque le législateur pourrait y revenir si le
principe ne sert pas. De toute façon, c’est aux institutions qu’il appartient
de contrôler le niveau de légitimité des citoyens et de le sanctionner le cas
échéant !
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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...