Deux demies journées d’échanges
avec les magistrats congolais sur :
« Le rôle du pouvoir
judiciaire dans la protection de la liberté de la presse en général et du débat
médiatique en particulier »
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Par Charles-M MUSHIZI
Avocat, Expert en droit des médias
+243 810 516 908
˗
Monsieur le Président du Conseil supérieur de
l’audiovisuel et de la communication (CSAC),
˗
Monsieur le Représentant du Président du
Conseil supérieur de la magistrature (CSM),
˗
Monsieur le Directeur résident d’Internews,
˗
Mesdames, Messieurs les magistrats,
˗
Mesdames, Messieurs les avocats,
˗
Monsieur le Président de l’Union nationale de la
presse du Congo (UNPC),
˗
Monsieur le Président de l’Observatoire des médias
Congolais (OMEC),
˗
Mesdames, Messieurs, tout protocole observé,
Pendant
deux jours, les organisateurs des présentes assises nous convient à un échange
autour du : « Rôle du pouvoir
judiciaire dans la protection des libertés de la presse et du débat médiatique ».
Il
s’agit d’un thème plus qu’actuel et d’une grande importance, au regard du
contexte ambiant de la RDC, caractérisé, à ce jour par un dialogue politique
autour d’un processus électoral voulu transparent et pacifique.
Ce
dialogue politique et ce processus électoral constituent deux moments forts
pour la refondation de notre société.
Il
s’agit des moments au cours desquels les médias sont plus que jamais sollicités
pour faire entendre toutes les tendances qui veulent exprimer leurs opinions
dans le cadre d’un débat médiatique et pluraliste.
Le
débat médiatique est le cadre par excellence à travers lequel s’exercent la
liberté d’expression, la liberté de pensée ainsi que la liberté de critique.
Mais
il ne peut être possible si les médias ne sont pas réellement libres et si les
opinions exprimées demeurent sujet à répression.
Voilà
quelques idées centrales autour desquelles nous avons tous été conviés ce
matin.
I. De la liberté
de la presse
L’article
23 de la constitution affirme que : « toute
personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit implique la liberté
d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et
l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs ».
Et la loi du 22 juin 1996 qui fixe les modalités
d’exercice de la liberté de la presse en RDC
définit cette liberté comme : « le
droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de
les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous
réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des
bonnes mœurs ».
Pour
protéger la liberté de la presse, le constituant congolais s’est largement
inspiré des évolutions universelles consacrées par les Nations Unies à travers
les dispositions pertinentes de la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme et du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.
Le
même constituant s’est aussi inspiré des textes pris dans le cadre de l’Union
Africaine, parmi lesquels la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples ainsi que la Déclaration des principes sur la liberté d’expression en
Afrique.
Comme
vous le savez si bien, ces deux textes consacrent le droit pour la presse d’exprimer
librement ses opinions et de diffuser les informations sans crainte ni de la
censure ni de la répression d’opinions
exprimées dans le cadre d’un débat pluraliste.
Malheureusement,
dans notre pays, faute de pouvoir braver la rigueur du code pénal qui leur est
applicable, notamment en cas de diffamation ou de propagation de faux bruits ou
encore d’outrages, les journalistes ne peuvent librement s’exprimer ni laisser
librement s’exprimer l’opinion.
Ils
font face à une menace quasi permanente notamment chaque fois qu’ils
s’évertuent à soulever des débats autour des questions qui touchent entre
autres à la rédévabilité et à la transparence de la gestion de la chose
publique.
Ils[1] vivent
ainsi dans la peur des poursuites judiciaires qui bien souvent aboutissent à leur interpellation,
à leur arrestation et à leur condamnation à la servitude pénale.
L’actuel
régime congolais des infractions commises par voie de presse est, en effet,
très rigoureux.
Ce
régime a été mis en place par les articles 73 et 74 de la loi n°96-002 du 22
juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse.
Il
renvoie au code pénal (ordinaire et militaire) qui, dans l’ensemble, est
indifférent à la véracité ou à la fausseté des faits allégués.[2]
Il
est bien dommage que pour des infractions comme la diffamation, par exemple,
l’honneur, la réputation et la considération de la personne qui se dit victime
soient les seuls paramètres sur la base desquels le juge considère si
l’infraction est établie ou pas.
Telle est la situation, alors que
le constituant congolais considère la liberté de la presse comme faisant
partie des droits les plus fondamentaux et inaliénables de chaque Congolais et
qu’il a mis en place des mécanismes institutionnels et légaux pour protéger et
promouvoir cette liberté.
II. Mécanismes
constitutionnels et légaux
Parmi
les mécanismes institutionnels de protection de la liberté de la presse en RDC
figure en première place le pouvoir judiciaire.
Le
magistrat du parquet, le magistrat du siège, la police judiciaire et l’autorité
administrative en général ont un rôle important à jouer dans la protection de
la liberté de la presse et dans la promotion d’un débat médiatique libre et
constructif, essentiellement fondé sur le droit du public à ‘information.
Ce rôle s’inscrit dans l’engagement pris par la RDC dans le
cadre de l’article 19 de la DUDH qui stipule que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui
implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de
chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit».
Dans le contexte actuel du pays, les questions qui
soulèvent des débats contradictoires, parfois violents, sont légion.
C’est pour cela qu’il est important, pour l’autorité
judiciaire saisi d’une plainte dans le cadre de ces débats de bien savoir situer
principalement : la place du droit à la liberté d’opinion et de
pensée ainsi que la place du droit du public à l’information.
De cette manière, il appréciera, avec justesse, les
circonstances objectives qui entourent les faits incriminés subséquemment à un
débat médiatique quel qu’en ait été le sujet de discussion et l’appartenance
politique réelle ou supposée des débateurs.
Une fois encore, l’engament pris par le pays dans le cadre
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est tel que : « Nul ne peut être inquiété pour ses
opinions. Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend
la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des
idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale,
écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».[3]
Le rôle de la justice dans la
protection et la promotion des libertés fondamentales est consacré par la
constitution dont l’article 150 met à charge du pouvoir judiciaire l’obligation
d’en garantir la protection.[4]
En
disposant que le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et
des droits fondamentaux des citoyens, le constituant rappelle le rôle classique
du magistrat qui est celui de réguler la société, c'est-à-dire celui de
toujours chercher les équilibres nécessaires à la convivialité, à la paix
sociale et au développement du pays en général.
Par-delà
l’honneur à protéger dans le cadre des poursuites d’infractions comme les
outrages ou la diffamation, le droit du public à l’information demeure une
valeur centrale à promouvoir dans la construction d’une démocratie.
A
ce titre, le rôle du juge dans la construction d’une jurisprudence de référence
pouvant booster des réformes demeure central, notamment lorsqu’il instruit des
infractions comme « les imputations dommageables » ou encore
« les outrages ».
Comme vous le savez, et comme affirmé
plus haut, le juge congolais est indifférent sur la véracité ou la fausseté
d’informations diffusées et réprimées au titre de diffamations ou d’outrages.
L’essentiel pour lui, et c’est
malheureusement cela que lui exige la loi, est de constater l’existence
d’informations publiées suivies d’une plainte de la personne qui estime que ces
dernières portent atteinte à son honneur ou à sa considération et l’exposent au
mépris du public.
Pourtant, le
point XII de la Déclaration des principes sur la
liberté d’expression en Afrique relatif à la « protection de la réputation »
dispose que les Etats doivent s’assurer que leurs
lois relatives à la diffamation sont conformes au fait que nul ne doit être
puni pour des déclarations exactes.
Pour le reste, et c’est ici que je voudrais nous
engager à un échange réellement réformiste, il est consternant de constater aussi
que le régime de répression des infractions de presse demeure inadapté aux
principes sacrosaints du droit pénal.
Dans une large
mesure, le régime appliqué aux infractions de presse viole le principe
universel et constitutionnel de la « responsabilité personnelle ou
individuelle ».
Lorsqu’un
journaliste commet une infraction par voie de presse, il est soumis en premier
lieu au régime de responsabilité pénale personnelle s’il est connu et
directement identifiable.
Une fois encore,
en violation de la constitution et des principes généraux du droit pénal, cette
responsabilité arrête d’être personnelle lorsque l’auteur de l’infraction de
presse ne peut être retrouvé par la justice.
En
effet, l’article 28 dispose que :
« Sont pénalement responsables, à titre principal, des délits de presse,
dans l’ordre suivant :
1. l’auteur de l’article ;
2. à défaut de l’auteur, le directeur de la publication ou
l’éditeur ;
3. l’imprimeur, lorsque ni l’auteur, ni le directeur de la
publication, ni l’éditeur ne sont connus ».
En
attendant d’obtenir la réforme de ces dispositions, dans son rôle de garant des libertés fondamentales et dans
son rôle réformateur du droit à travers la jurisprudence, la justice, prise en
la personne du premier président de la cour suprême de justice ou en la
personne du procureur général de la République, peut être à la base des
décisions de principe relatifs à l’instruction et à la poursuite des
infractions de presse.
Voilà, en quelques mots, ma modeste
contribution aux échanges que nous allons faire pendant ces deux demis
journées.
Je vous remercie pour votre aimable
attention.
[1]Par professionnel des médias on entend
généralement le journaliste professionnel qui se voue d’une manière régulière à
la collecte, au traitement, à la production, à la diffusion de l’information
d’actualité et des programmes d’information à travers un ou plusieurs organes
de presse et qui tire l’essentiel de ses revenus de cette profession. Outre le
journaliste, il y a aussi les catégories des métiers d’information telles
que : les directeurs de publication et/ou des programmes ; le
rédacteur en ce compris le rédacteur web ; le présentateur des programmes
d’information d’actualité ; le caricaturiste ; le
traducteur-rédacteur ; le reporter-photographe ; Le réalisateur et le
régisseur ; l’opérateur de prise de son ou l’opérateur de prise de vues
œuvrant pour le compte d’une ou de plusieurs organes de presse écrite,
audiovisuel et en ligne ; les blogueurs professionnels.
[2] En effet, il a été jugé par le tribunal de
paix de Kananga, siégeant en matière répressive en chambre foraine à Ndekensha
dans le territoire de Kazumba (RP 016/26 février 2005) que « le fait d’exposer une personne au mépris du
public en affirmant publiquement ou en propageant l’information selon laquelle
il est expert en matière superstitieuse, même si ceci est vrai, est constitutif
d’imputations dommageables ».
[3] Article 19 du Pacte
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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...