Deux ans après le lancement d’importantes réformes politiques et institutionnelles et de gestion du pays par un pouvoir légitimé par des élections longtemps attendues par les congolais, la presse de la République Démocratique du Congo n’est toujours pas à la hauteur des attentes.
Les défis qui lui mettent les bâtons dans les roues viennent soit d’elle-même soit de la léthargie des réformes depuis longtemps attendues.
Le cadre juridique et règlementaire, son ignorance et bas niveau professionnel, les faiblesses capacitaires des structures professionnels à contribuer à la professionnalisation de leurs membres, etc. sont ici des défis majeurs.
1. Défis légaux, réglementaires
La première difficulté que rencontrent les professionnels des médias congolais est le cadre légal. Cette difficulté est à triple face : le cadre est abondant ; touffu avec des éléments simplement tombés en désuétude. Il est contraignant et incomplet. Et il reste ignoré de la majorité des professionnels, renforçant ainsi leur vulnérabilité.
A côté de ces défis, la justice institutionnelle vient apparaître comme un autre obstacle à l’éclosion de la liberté de la presse en cela qu’il est un autre moteur de l’insécurité qui guette au quotidien les professionnels.
Le principe de la liberté de la presse est une garantie constitutionnelle : « la République démocratique du Congo garantit l’exercice des droits et libertés individuels et collectifs, notamment les libertés de circulation, d’entreprise, d’information, d’association, de réunion, de cortège et de manifestation, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes moeurs ».
Dans l’état actuel du régime de répression des infractions commises par voie de presse, si un journaliste de façon générale porte sa critique sur la gestion de la chose publique, il peut être passible de lourdes condamnations pour autant qu’une autorité publique allègue que cette émission l’a particulièrement visée (directement ou non) et qu’elle lui a causé quelque préjudice du fait de certaines imputations qui en procèdent.
Les limites d’ordre répressif resident essentiellement dans le fait que le législateur de la loi du 22 juin 1996, qui est la loi cadre sur la presse, a réservé une large place au droit pénal pour renforcer, sous la garantie de la contrainte publique, ses dispositions.
En commettant une infraction par voie de presse, le journaliste sera soumis en premier lieu au régime de responsabilité pénale, qui n’est malheureusement pas personnelle et individuelle. En même temps, cette responsabilité pénale met en jeu sa responsabilité civile qui peut aboutir à de lourdes condamnations pécuniaires contre lui.
Le caractère liberticide du régime répressif des infractions commises par voie de presse est tel qu’un rprofessionnel peut encourir jusqu’à la peine de mort pour autant que dans son interprétation de la loi le juge rapproche les faits incriminés d’une infraction punie de peine de mort.
Une grande limite à l’application du principe de la liberté de la presse reste donc la faiblesse institutionnelle de la justice qui est incapable d’interpréter la loi en faveur de la liberté d’informer, lorsqu’elle est saisie d’une plainte en diffamation, injures, fausses informations, outrages, etc. Dans la plupart des cas, le magistrat instruit à charge contre le journaliste et donc en faveur du plaignant.
Par ailleurs, au sens de la loi de 1996, l’État peut octroyer une aide indirecte aux entreprises de presse privées, au titre de tarifs préférentiels dans le domaine des importations des matières nécessaires à la production et à la distribution des informations.
Cette aide publique ne peut pas être simplement directe en terme d’apport matériel octroyé par l’Etat. Elle peut consister en un apport indirect sous forme de défiscalisation de certains intrants propres à la production des programmes radios (ordinateurs, magnétophones, dictaphones, papiers, stylos, etc.).
Les limites de la loi de 1996 sur ce point sont telles qu’elle ne prévoit pas de modalités pratiques d’octroi de l’aide publique aux médias. De véreux politiciens ont fini par exploiter la brèche pour s’attirer une sympathie de la presse de façon générale en leur accordant des aides sous formes de dons personnels, accordés de façon sélective d’ailleurs, au profit des organes qui leur affichent la sympathie.
La loi reconnaît aux privés, personnes physiques ou morales, la possibilité de créer des médias. Elle consacre donc la fin du monopole d’exploitation détenu jusque-là par l’État dans le domaine audiovisuel.
Cette loi est en parfait accord avec les dispositions pertinentes des lois sur le commerce en RDC et dans le bassin du Congo de façon générale. L’entorse qui la caractérise est l’entière liberté de création qui a été laissée aux politiques et qui l’exploitent en faveur de la propagande, souvent mensongère, au détriment du droit du public à la bonne, impartiale et fiable information.
En matière de creation des medias, il faut deplorer la non reconnaissance légale des radios associative et communautaires ainsi que des radios scolaires et académique. Ces radios sont des médias de proximité de la population, souvent très pauvres, qui ont plus que des médias commerciaux, besoin d’une aide publique consistante. Leur reconnaissance et leur renforcement permettraient à l’Etat de se constituer un partenaire de taille au développement local des lieux où sont installées ces radios.
La loi de 1996 parait mieux structure que celle qui l’a precede et semble octroyer aux professionnels plus d’avantages que naguèere. Mais l’élément essentiel de critique qui participe et de la lecture de cette loi et du comportament des professionnels est l’ignorance et la mollesse avec lesquelles ceux-ci appréhendent la question de leur statut.
Bien souvent, ignorant des dispositions légales, ils considèrent par exemple que la seule absence du contrat de travail suffit pour qu’ils estiment qu’ils n’ont pas le statut de salarié ou que le code du travail ne régit que les cas de travail contractuel (entendu contrat écrit).
Les professionnels des medias ignorant que le statut des journalistes renvoie pour dispositions complémentaires au code du travail qui régit tous les travailleurs oeuvrant en République démocratique du Congo.
Les matières relatives aux droits syndicaux des journalistes, de façon générale, sont prévues par le statut en son titre VII qui établit le régime rémunératoire. Le titre VIII établit les avantages auxquels le journaliste a droit au cours de sa carrière au sein d’une rédaction.
L’article 53 du statut établit que « la délégation syndicale est installée dans chaque organe d’information, conformément aux dispositions légales en vigueur » et l’Art. 54 ajoute que « tout journaliste professionnel a le droit de s’affilier à toute organisation professionnelle ou syndicale compatible avec les options du pays en vue d’assurer la défense de ses intérêts matériels et moraux ». Ces dispositions sont en parfait accord avec le Code du travail.
Quant aux revenus du journaliste, la loi ne dit pas qu’ils doivent nécessairement participer d’un contrat de travail. Bien au contraire. L’Art. 29 du statut qui définit la rémunération comme « la somme représentative de l’ensemble des gains » du journaliste, ajoute que ceux-ci peuvent simplement être « susceptibles d’être évalués en espèces » par rapport au service rendu et auquel elle se rapporte.
La lecture de ces dispositions légales face à la réalité professionnelle laisse croire une fois encore que les professionnels ignorent ou connaissent mal tout le bénéfice d’un syndicat. Très peu d’entre eux se sont à ce jour affilié. Très peu de radios ont en leur sein des syndicats.
La grande majorité des professionnels ignorent tout de la législation dans le domaine de leur activité. La plupart s’arrêtent à dire « nous sommes régis par la loi de 96 », sans plus. Il ne l’ont pas et ne l’ont jamais lue.
Il appert que la vulnérabilité qui caractérise les professionnels des médias vient principalement de cette ignorance de la loi et des textes qui les régissent. Il est dit que la meilleure manière de défendre ses droits c’est de les connaître. Ce n’est pas le cas pour les radiodiffuseurs, dans leur grande majorité.
La loi protège la qualité et la profession de journaliste au point qu’elle sanctionne sévèrement « quiconque se sera attribué faussement la qualité de journaliste ou aura porté publiquement tout insigne ou emblème destiné à faire croire à l’exercice de cette qualité ».
A ce titre, toute personne remplissant les critères fixés l’article 2 relatifs au journaliste peut obtenir une carte de presse. Elles sont retirées dans les mêmes conditions. Cette protection est telle que la loi interdit au stagiaire de se considérer comme journaliste. « Le journaliste stagiaire n’a pas droit à la carte de presse. Il lui est délivré une carte de stagiaire ».
L’autre eccuiel du cadre juridique et reglementaire reside dans le cahier des charges de creation des medias.
Il s’agit d’un document annexe à l’Arrêté ministériel 04/MIP/ 020/96 du 26 novembre 1996 portant mesures d’application de la loi 96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse pour les entreprises de presse audiovisuelle. Du point de vue de sa nature juridique, ce texte a un caractère règlementaire. Il n’est pas une loi.
Le cahier des charges a trois parties dont la plus importante constitue les prescriptions de formes et de fond à la création, à la gestion et à l’activité des radios et télévisions en République Démocratique du Congo.
Le caractère inapproprié de ce document ou mieux de ce triple document est qu’il est un texte unique qui s’applique de manière indifférenciées et sans tenir compte des spécificités des medias.
2. Défis sécuritaires
Les professionnels des medias vivent dans la peur au quotidian dans la récolte, le traitement et la diffusion de l’information jusqu’à se faire à eux-même une autosensure et au point de vider l’information de toute sa substance. Les informations diffusées deviennent purement protocolaires et le droit du public à une information utile devient un leurre.
Les arrestations, les menaces et les intimidations des professionnels des medias sont devenues légion en République Démocratique du Congo. Plusieurs dizaines des professionnels ont été arêtes et détenus dans des conditions infra humaines depuis le début de 2008.
La question sécuritaire est aussi liée à la vie des professionnels qui ont vécu une succession d’assassinats de leurs confreres devant une quasi indifference des autorités ou plutôt devant le refus de la justice de jouer son role de dernier rampart pour les victimes.
A dater du début novembre 2004, lors de l’homicide de Frank Kangundu, journaliste du quotidien congolais « La Référence Plus » ainsi que de son épouse Hélène Paka, la République démocratique du Congo est entrée dans un triste cycle de deuils d’assassinats des professionnels des médias.
A la fin de 2008, cinq ont été tués en l’espace de quatre ans dans des circonstances quasi similaires faisant ainsi soupçonner des assassinats commandités et non des crimes crapuleux comme l’affirment d’aucuns, en l’occurrence Lambert Mende, Ministre en charge des médias, parlant de l’assassinat de Didace Namujimbo.
Seul Mutombo Kayilu, technicien de maintenance des émetteurs à la RENATELSAT a été tué au poignard le 29 mars 2006 sur le site de Kisanga (bourgade situé au sud de Lubumbashi, province du Katanga) le jour où ont été sabotés les émetteurs de la chaîne de télévision privée CCTV (Canal Congo Télévision appartenant à l’ancien vice président de la République Jean Pierre Bemba), alors que tous les autres ont été tués par balles tirées à bout portant.
Tous les trois procès qui ont eu lieu sur les assassinats n'ont pas pu lever toutes les zones d'ombres quant aux mobiles, aux auteurs et aux commanditaires de ces actes ignobles pour la simple raison que les enquêtes préliminaires ont été sciemment bâclées. Et le cycle de violence qui vise les journalistes se nourrit de l'impunité assurée aux véritables assassins et commanditaires au travers des simulacres de procès.
De l’avis de certaines Ong locales et internationales, cette insécurité va croissante particulièrement dans les zones de conflits militaries ouvert et dans des zones à forte tension politique comme à Kinshasa où semble s’installer depuis la fin des elections de 2006, une sorte de pensée unique et la traque des opposants.
Du coup, les professionnels des medias qui sont sensés se comporter en chiens de garde au mieux de la démocratie et du droit du public à l’information, ne peuvent avoir toute la liberté d’expression par peur de répresailles.
Qui osera critiquer par exemple les fameux “cinq chantiers” qui semblent achopper sur eux-mêmes, alors que tous les discours entendus dans les medias ont repris la deification d’hommes politiques comme dans les années 80? Ou alors que des slogans ont repris la place des actions ? Alors que visiblement le train de vie des animateurs des institutions n’a de pareil par rapport au reste des citoyens ? Alors que l’Etat a mis en place un veritable système de matraquage des citoyens en les obligeant de payer diverses sortes de textes pendant que ses propres agents restent impayés depuis de longues années ? Pendant que les taxes payees ne servent à rien visiblement ?
3. Défaut de professionnalisme
Avec l’absence d’une autorité indépendante de régulation des medias ; la Haute Autorité des Médias ayant été dissoute de plein droit, il est fort regrettable que l’on ne s’aperçoive que le ministère ayant en charge la radiodiffusion a repris dans ses attributions la question de la régulation des médias.
L’Observatoire des medias congolais (OMEC) en tant qu’instance d’autorégulation ne fait pas fort crédit. Et les plaignants qui le saisissent sont vite déçus de constater qu’aucune sanction efficace ne peut y être prise ; ou que les sanctions prises quelques rare fois ne sont jamais suivies d’effets.
Il se pose un réel besoin de revisiter toute la superstructure qui régit la profession des journalistes, en faire une évaluation en vue d’un renforcement de ses capacités pour un appui au développement de la radiodiffusion.
Les textes et le rôle de l’OMEC sont aussi ignores par les professionnels des médias. Enfin, les radiodiffuseurs ignorent tout de ce qu’est devenu le domaine de la régulation à ce jour, après la HAM.
Plus de trois ans après le grand élan dans l’histoire institutionnelle des médias congolais qu’a été le congrès de réfondation de la profession en 2004, l’espoir d’une presse indépendante, professionnelle et actrice à la construction de la démocratie reste une utopie.
L’inefficacité ou pire des querelles intestines empêchent que les structures mises en place soient à la hauteur de la mission leur confiée. Tel est d’ailleurs le cas de l’UNPC, espéré comme véritable cadre fédérateur de la profession.
Cette structure n’influe quasiment pas sur la professionnalisation des radios et des journalistes. Autant qu’elle, toutes les autres structures professionnelles demeurent réactives ou même réactionnaires et jamais proactives pour faire bon impact sur les médias.
Il eût été intéressant que ces structures travaillent ardemment sur la formalisation des lignes de conduites des grilles des programmes des médias et élaborent des mesures de suivi et de sanction en cas de dérapages.
On a peu de fois entendu l’UNPC, l’ANEAP, l’ANECO ou l’UNPC solidement impliqués dans l’anticipation d’action.
Et meme le syndicat des professionnels des medias (SNPP) semble n’être que plus ou meme de trop. Son apport est égal à celui des autres ; c’est ç dire quasi nul.
La tendance est de considérer que les organisations professionnelles ont un impact nul sur l’organisation et la gestion, au quotidien des medias ainsi que sur l’effort de professionnalisation de leurs membres.