mercredi 25 janvier 2017

« La place des médias associatifs et communautaires dans la proposition de loi sur la liberté de presse en cours d’examen à l’Assemblée nationale »

Par Maître Charles-M. MUSHIZI
Directeur du « Centre d’Echanges pour des Réformes
Juridiques et Institutionnelles » (CERJI), 106, boulevard du 30 juin
(Enclos de l’Institut Géographique du Congo), Kinshasa/Gombe
+243 810 516 908  -  charles.mushizi@gmailcom / Blog : http://charlesmushizi.blogspot.com  
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I. Considérations générales

En mars 2015, l’Honorable, Député national Kizito MUSHIZI, a déposé à l’Assemblée nationale, pour examen et adoption, une proposition de loi relative à l’exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo.

Le texte déposé au parlement est le résultat d’une série de discussions et travaux techniques que des experts du domaine des médias et des droits de l’homme ont tenus depuis 2014, avec notamment avec l’appui technique et financier de l’Organisation américaine INTERNEWS.

Il vise à corriger les lacunes de l’actuelle loi qui fixe les modalités d’exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo qui non seulement se trouve dépassé par le contexte mais aussi incomplète, notamment pour ce qui est des médias associatifs et communautaires.

Faut-il rappeler que l’actuelle loi qui fixe les modalités d’exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo ne contient aucune disposition sur les médias associatifs et communautaires.

Pour pouvoir déposer et accompagner l’adoption de ce texte au parlement, le choix de l’Honorable MUSHIZI a tout d’abord été justifié par le fait qu’il est Député national.

Il été justifié ensuite par sa grande connaissance du domaine des médias et son engagement en faveur de la défense des droits humains en République démocratique du Congo.

Il a été justifié, en fin, par sa haute technicité dans la gestion des médias associatifs et communautaires pour avoir géré, pendant près de 15 années consécutives l’une de plus importantes radions associative et communautaire du pays, à savoir : la Radio Maendeleo, basée à Bukavu, dans la province du Sud Kivu.

Mais, que contient le texte déposé par ce Député national, à propos des médias associatifs et communautaires ?

Quelle place ce texte réserve-t-il à cette catégorie des médias, généralement appelés « médias de proximité » ?

II. Pour ce qui est des définitions consacrées par le texte

Ce texte réserve toute une section pour la définition de ce qu’il faut entendre par médias associatifs et communautaires et donc les différences fondamentales qui les caractérisent par rapport aux autres médias qui fonctionnent en République démocratique du Congo.

La définition consacrée par l’article 110, il stipule que les médias associatifs sont ceux qui sont créés « par une association sans but lucratif légalement constituée, en vue de la promotion de ses activités et dont la gestion et/ou l’administration est confiée à un ou plusieurs organes indépendants mis en place par l’association dans le respect de la loi ».

Ils sont communautaires, lorsqu’ils sont « créés ou initiés pour l’intérêt d’une et/ou de plusieurs communautés locales ».

Pour demeurer indépendants, ils sont gérés ou administrés par des organes indépendants de la communauté qui les ont créés ou initiés. Et les membres chargés de l’administration et de la gestion sont mis en place par la ou les communautés locales elles-mêmes, dans le strict respect de la loi.

Parmi les médias communautaires, ce texte prévoit une catégorie spécifique constituée des médias confessionnels, qui sont créés par des confessions religieuses légalement constituées conformément à la législation congolaise, en vue de la promotion de leurs doctrines et de leurs enseignements dans le respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs.

III. Pour ce qui est de leurs buts et de leurs missions

L’article 113 pose le principe de base selon lequel « les médias associatifs, communautaires et confessionnels ne poursuivent aucun but lucratif et ont une essence culturelle, sociale, éducative, apolitique et citoyenne.

Ils sont appelés à promouvoir la paix, la stabilité, la cohésion et le développement de leurs membres ou communautés respectifs, mais aussi de toute la Nation ».

En tant que médias, ils n’échappent pas à l’obligation du strict respect du code de déontologie et d’éthique du journaliste congolais, ainsi que des lois et des règlements de la République démocratique du Congo.

De même, conformément à leurs buts et à leurs missions consacrés par le texte, ils ont l’obligation de veiller à la promotion des valeurs citoyennes, démocratiques et celles liées à la bonne gouvernance.

Conformément aux dispositions constitutionnelles relatives à la liberté d’expression et celles relatives à l’égalité de tous devant la loi, ces médias doivent veiller à l’élimination de toutes formes de discriminations.

De ce fait, toujours en conformité avec la constitution, ils doivent accorder la parole à toutes les tendances en présence sans distinction de race, de tribu, d’ethnie, de culture, de sexe, de religion, d’appartenance politique ou philosophique.

Aux termes de l’article 116 de ce texte, les médias associatifs et communautaires bénéficient des privilèges particuliers.

En effet, aux niveaux national, provincial et local, l’État leur reconnaît et leur accorde un statut particulier quant aux taxes, redevances, autorisations et autres procédures administratives ou réglementaires, compte tenu de leur rôle d’utilité publique dans leurs communautés respectives, concourant à l’expression citoyenne à la base, ainsi qu’à l’accomplissement des attributions et responsabilités dévolues aux médias de service public.

Ce statut particulier leur est accordé lorsqu’ils sont constitués de manière régulière. Voilà qui nous amène aux modalités de création et de gestion de ces médias.

Pour ce qui est des aspects fiscaux, en vertu de la loi N°004/2001 du 20 juillet 2001 portant dispositions générales applicables aux associations sans but lucratif et aux établissements d’utilité publique, les pouvoirs publics accordent des exonérations et des réductions significatives sur les droits et taxes relatifs au domaine des communications, des télécommunications et d’autorisation d’activités dans le secteur, en vue de garantir un meilleur accès, un accès équitable et raisonnable des médias associatifs, communautaires et confessionnels aux équipements et formalités ou procédures administratives, susceptibles d’améliorer la qualité de leur travail et de les rendre accessibles aux communautés locales.

Le décret du Premier ministre arrête les modalités pratiques applicables aux taux, quotités et montants des redevances, licences, autorisations applicables aux médias associatifs et communautaires en RDC.

Ce décret énumère aussi limitativement les redevances, licences, taxes, impôts et autres prélèvement fiscaux auxquels doivent être assujettis les médias associatifs, communautaires et confessionnels, afin d’éviter les abus auxquels peuvent se livrer des autorités locales dans le domaine.

IV. Pour ce qui est des modalités de leur création

Le texte en examen à l’Assemblée nationale prévoit à son article 117 que « Pour autant qu’elle/il soit légalement constitué, toute association sans but lucratif, toute association de culte, tout établissement d’utilité de droit public ou de droit privé peut procéder à l’ouverture et à l’exploitation d’un média audiovisuel associatif, communautaire ou confessionnel, moyennant dépôt obligatoire de sa déclaration auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication ».

Cette déclaration doit comporter les éléments ci-après :
­       le nom du média,
­       le nom de l’association ou de la communauté qui le crée,
­       la date de création du média,
­       la date de création de l’association ou de la communauté, et
­       l’adresse physique de l’association, de l’association de culte ou de l’établissement d’utilité publique ayant créé ou initié le média.

Elle est conjointement et dûment signée par le directeur et le directeur des programmes du média en création.

Au cas où le directeur des programmes forme avec le directeur de média une seule et même personne, une seule signature suffit.

Dès le dépôt de la déclaration, sans autres formalités, l’autorité compétente prend acte et délivre au déposant un récépissé dans le mois suivant au plus tard.

Toute modification de l’un des points figurant dans la déclaration doit être déclarée au Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication dans un délai de 30 jours, sous peine des sanctions prévues par la loi.

V. Pour ce qui est de la Programmation

Les medias associatifs, communautaires et confessionnels ont l’obligation de diffuser au minimum 50% (Cinquante pour cent) des programmes et émissions locaux d’intérêt communautaire, relatives, notamment à :
-       la vulgarisation des lois et autres instruments juridiques importants ;
-       l’éducation citoyenne et à la sensibilisation au civisme électoral, à la cohabitation pacifique et le bon voisinage des populations locales ;
-       la sensibilisation des populations locales au respect du bien commun, à la bonne moralité publique, des emblèmes et armoiries nationaux (hymne national, drapeau national, etc.) ;
-       la vulgarisation des mesures et pratiques préventives de lutte contre les épidémies et autres formes de maladies périodiques ;
-       la promotion de la bonne gouvernance, la transparence et la participation des populations dans les actions de développement ;
-       la formation des populations aux actions de production locale responsable garantissant la protection de la faune et de la flore (agriculture, élevage, pêche et cueillette) ;
-       la promotion de la protection des droits de l’enfant, l’éducation et la culture de la paix ;
-       la promotion et la protection des droits des groupes vulnérables ou défavorisés dont les personnes vivant avec le VIH, les personnes vivant avec handicap, les populations autochtones y compris les droits des femmes et jeunes filles ;
-       la retransmission des programmes sociaux, éducatifs et sanitaires du gouvernement, des partenaires et agences de développement à des conditions préférentielles ;
-       la dissémination des matériaux didactiques de sensibilisation sur le processus de décentralisation mis en œuvre dans le pays moyennant un traitement privilégié ;
-       la promotion des objectifs du millénaire pour le développement, à savoir : la réduction de l'extrême pauvreté et la faim, la nécessité d’assurer l’accès de tous à l'éducation primaire, la promotion de l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes, la réduction de la mortalité infantile ; l’amélioration de la santé maternelle, la lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies et la construction d’un partenariat mondial pour le développement ;
-       la promotion des valeurs culturelles nationales traditionnelles et modernes, pourvu qu’elles soient conformes à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

VI. Pour ce qui est de la responsabilité pénale et civile

Tout média associatif, communautaire ou confessionnel doit avoir un directeur des programmes qui doit être un journaliste professionnel.

En matière de responsabilité, lorsque le directeur du média et le directeur des programmes sont une seule et même personne, celle-ci est solidairement responsable au plan civil avec l’auteur d’une émission dommageable.

Contrairement aux dispositions de l’actuelle loi qui fixe les modalités d’exercice de la liberté de la presse, le texte déposé prévoit qu’en toutes circonstances, la responsabilité pénale sera individuelle.

En conformité avec les règles établies en matière de la responsabilité civile par le code civil congolais livre III, le cas échéant, le média ne pourra répondre que comme civilement responsable.

Voilà, Mesdames, Messieurs, la quintessence des dispositions particulièrement réservées aux médias associatifs et communautaires dans le texte en cours d’examen à l’Assemblée nationale.

Je vous remercie.
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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...