Par Maître Charles-M. MUSHIZI
Directeur du « Centre d’Echanges pour des Réformes
Juridiques et Institutionnelles » (CERJI), 106, boulevard du 30 juin
(Enclos de l’Institut Géographique du Congo), Kinshasa/Gombe
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I.
Considérations générales
En
mars 2015, l’Honorable, Député national Kizito MUSHIZI, a déposé à l’Assemblée
nationale, pour examen et adoption, une proposition de loi relative à
l’exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo.
Le
texte déposé au parlement est le résultat d’une série de discussions et travaux
techniques que des experts du domaine des médias et des droits de l’homme ont
tenus depuis 2014, avec notamment avec l’appui technique et financier de
l’Organisation américaine INTERNEWS.
Il
vise à corriger les lacunes de l’actuelle loi qui fixe les modalités d’exercice
de la liberté de la presse en République démocratique du Congo qui non
seulement se trouve dépassé par le contexte mais aussi incomplète, notamment
pour ce qui est des médias associatifs et communautaires.
Faut-il
rappeler que l’actuelle loi qui fixe les modalités d’exercice de la liberté de
la presse en République démocratique du Congo ne contient aucune disposition
sur les médias associatifs et communautaires.
Pour
pouvoir déposer et accompagner l’adoption de ce texte au parlement, le choix de
l’Honorable MUSHIZI a tout d’abord été justifié par le fait qu’il est Député
national.
Il
été justifié ensuite par sa grande connaissance du domaine des médias et son
engagement en faveur de la défense des droits humains en République
démocratique du Congo.
Il
a été justifié, en fin, par sa haute technicité dans la gestion des médias
associatifs et communautaires pour avoir géré, pendant près de 15 années
consécutives l’une de plus importantes radions associative et communautaire du
pays, à savoir : la Radio Maendeleo, basée à Bukavu, dans la province du
Sud Kivu.
Mais,
que contient le texte déposé par ce Député national, à propos des médias
associatifs et communautaires ?
Quelle
place ce texte réserve-t-il à cette catégorie des médias, généralement appelés
« médias de proximité » ?
II. Pour ce qui est des définitions consacrées par le
texte
Ce texte réserve toute une section pour la définition
de ce qu’il faut entendre par médias associatifs et communautaires et donc les
différences fondamentales qui les caractérisent par rapport aux autres médias
qui fonctionnent en
République démocratique du Congo.
La
définition consacrée par l’article 110, il stipule que les médias
associatifs sont ceux qui sont créés « par une association sans but
lucratif légalement constituée, en vue de la promotion de ses activités et dont
la gestion et/ou l’administration est confiée à un ou plusieurs organes
indépendants mis en place par l’association dans le respect de la loi ».
Ils sont communautaires, lorsqu’ils sont « créés
ou initiés pour l’intérêt d’une et/ou de plusieurs communautés locales ».
Pour demeurer indépendants, ils sont gérés ou
administrés par des organes indépendants de la communauté qui les ont créés ou
initiés. Et les membres chargés de l’administration et de la gestion sont mis
en place par la ou les communautés locales elles-mêmes, dans le strict respect
de la loi.
Parmi les médias communautaires, ce texte prévoit une
catégorie spécifique constituée des médias confessionnels, qui sont créés par des
confessions religieuses légalement constituées conformément à la législation
congolaise, en vue de la promotion de leurs doctrines et de leurs enseignements
dans le respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs.
III. Pour ce qui est de leurs buts et de leurs
missions
L’article 113 pose le principe de base selon lequel
« les médias associatifs, communautaires et confessionnels ne poursuivent
aucun but lucratif et ont une essence culturelle, sociale, éducative,
apolitique et citoyenne.
Ils sont appelés à promouvoir la paix, la stabilité,
la cohésion et le développement de leurs membres ou communautés respectifs,
mais aussi de toute la Nation ».
En tant que médias, ils n’échappent pas à l’obligation
du strict respect du code de déontologie et d’éthique du journaliste congolais,
ainsi que des lois et des règlements de la République démocratique du Congo.
De même, conformément à leurs buts et à leurs missions
consacrés par le texte, ils ont l’obligation de veiller à la promotion des
valeurs citoyennes, démocratiques et celles liées à la bonne gouvernance.
Conformément aux dispositions constitutionnelles
relatives à la liberté d’expression et celles relatives à l’égalité de tous
devant la loi, ces médias doivent veiller à l’élimination de toutes formes de
discriminations.
De ce fait, toujours en conformité avec la
constitution, ils doivent accorder la parole à toutes les tendances en présence
sans distinction de race, de tribu, d’ethnie, de culture, de sexe, de religion,
d’appartenance politique ou philosophique.
Aux termes de l’article 116 de ce texte, les médias
associatifs et communautaires bénéficient des privilèges particuliers.
En effet, aux niveaux national, provincial et local, l’État
leur reconnaît et leur accorde un statut particulier quant aux taxes,
redevances, autorisations et autres procédures administratives ou
réglementaires, compte tenu de leur rôle d’utilité publique dans leurs
communautés respectives, concourant à l’expression citoyenne à la base, ainsi
qu’à l’accomplissement des attributions et responsabilités dévolues aux médias
de service public.
Ce statut particulier leur est accordé lorsqu’ils sont
constitués de manière régulière. Voilà qui nous amène aux modalités de création
et de gestion de ces médias.
Pour ce qui est
des aspects fiscaux, en vertu de la loi N°004/2001 du 20
juillet 2001 portant dispositions générales applicables aux associations sans
but lucratif et aux établissements d’utilité publique, les pouvoirs publics accordent des exonérations et
des réductions significatives sur les droits et taxes relatifs au domaine des
communications, des télécommunications et d’autorisation d’activités dans le
secteur, en vue de garantir un meilleur accès, un accès équitable et
raisonnable des médias associatifs, communautaires et confessionnels aux
équipements et formalités ou procédures administratives, susceptibles
d’améliorer la qualité de leur travail et de les rendre accessibles aux
communautés locales.
Le décret du
Premier ministre arrête les modalités pratiques applicables aux taux, quotités
et montants des redevances, licences, autorisations applicables aux médias
associatifs et communautaires en RDC.
Ce décret
énumère aussi limitativement les redevances, licences, taxes, impôts et autres
prélèvement fiscaux auxquels doivent être assujettis les médias associatifs,
communautaires et confessionnels, afin d’éviter les abus auxquels peuvent se
livrer des autorités locales dans le domaine.
IV. Pour ce qui est des modalités de leur création
Le texte en examen à l’Assemblée nationale prévoit à
son article 117 que « Pour autant
qu’elle/il soit légalement constitué, toute association sans but lucratif,
toute association de culte, tout établissement d’utilité de droit public ou de
droit privé peut procéder à l’ouverture et à l’exploitation d’un média audiovisuel
associatif, communautaire ou confessionnel, moyennant dépôt obligatoire de sa
déclaration auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication ».
Cette
déclaration doit comporter les éléments ci-après :
le nom du
média,
le nom de
l’association ou de la communauté qui le crée,
la date de
création du média,
la date de
création de l’association ou de la communauté, et
l’adresse
physique de l’association, de l’association de culte ou de l’établissement
d’utilité publique ayant créé ou initié le média.
Elle est
conjointement et dûment signée par le directeur et le directeur des programmes
du média en création.
Au cas où le directeur
des programmes forme avec le directeur de média une seule et même personne, une
seule signature suffit.
Dès le dépôt de
la déclaration, sans autres formalités, l’autorité compétente prend acte et
délivre au déposant un récépissé dans le mois suivant au plus tard.
Toute
modification de l’un des points figurant dans la déclaration doit être déclarée
au Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication dans un délai de
30 jours, sous peine des sanctions prévues par la loi.
V. Pour ce qui
est de la Programmation
Les medias
associatifs, communautaires et confessionnels ont l’obligation de diffuser au
minimum 50% (Cinquante pour cent) des programmes et émissions locaux d’intérêt
communautaire, relatives, notamment à :
-
la
vulgarisation des lois et autres instruments juridiques importants ;
-
l’éducation
citoyenne et à la sensibilisation au civisme électoral, à la cohabitation
pacifique et le bon voisinage des populations locales ;
-
la
sensibilisation des populations locales au respect du bien commun, à la bonne
moralité publique, des emblèmes et armoiries nationaux (hymne national, drapeau
national, etc.) ;
-
la
vulgarisation des mesures et pratiques préventives de lutte contre les
épidémies et autres formes de maladies périodiques ;
-
la promotion de
la bonne gouvernance, la transparence et la participation des populations dans
les actions de développement ;
-
la formation
des populations aux actions de production locale responsable garantissant la
protection de la faune et de la flore (agriculture, élevage, pêche et
cueillette) ;
-
la promotion de
la protection des droits de l’enfant, l’éducation et la culture de la
paix ;
-
la promotion et
la protection des droits des groupes vulnérables ou défavorisés dont les
personnes vivant avec le VIH, les personnes vivant avec handicap, les
populations autochtones y compris les droits des femmes et jeunes filles ;
-
la
retransmission des programmes sociaux, éducatifs et sanitaires du gouvernement,
des partenaires et agences de développement à des conditions
préférentielles ;
-
la
dissémination des matériaux didactiques de sensibilisation sur le processus de
décentralisation mis en œuvre dans le pays moyennant un traitement
privilégié ;
-
la promotion
des objectifs du millénaire pour le développement, à savoir : la réduction de l'extrême pauvreté et la faim, la nécessité d’assurer l’accès de tous à l'éducation primaire, la promotion
de l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes, la réduction de la mortalité infantile ;
l’amélioration de la santé maternelle, la lutte
contre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies et la construction d’un partenariat mondial pour le développement ;
-
la promotion
des valeurs culturelles nationales traditionnelles et modernes, pourvu qu’elles
soient conformes à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
VI. Pour ce qui
est de la responsabilité pénale et civile
Tout média
associatif, communautaire ou confessionnel doit avoir un directeur des
programmes qui doit être un journaliste professionnel.
En matière de
responsabilité, lorsque le directeur du média et le directeur des programmes
sont une seule et même personne, celle-ci est solidairement responsable au
plan civil avec l’auteur d’une émission dommageable.
Contrairement
aux dispositions de l’actuelle loi qui fixe les modalités d’exercice de la
liberté de la presse, le texte déposé prévoit qu’en toutes circonstances, la
responsabilité pénale sera individuelle.
En conformité
avec les règles établies en matière de la responsabilité civile par le code
civil congolais livre III, le cas échéant, le média ne pourra répondre que
comme civilement responsable.
Voilà, Mesdames, Messieurs, la quintessence des
dispositions particulièrement réservées aux médias associatifs et
communautaires dans le texte en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...