mardi 6 décembre 2016

LA GOUVERNANCE DE L’INTERNET :
« Quelles actions citoyennes et législatives à prendre pour garantir et améliorer la gouvernance de l'Internet en RDC ? »
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Communication de Maître Charles-M. MUSHIZI
Avocat à la Cour et Directeur du « Centre d’Echanges pour des Réformes Juridiques et Institutionnelles » (CERJI)


I. CONSIDERATIONS GENERALES

Les organisateurs des présentes assises m’ont demandé de vous entretenir à propos des « actions citoyennes et législatives qu’il est possible de prendre pour garantir et améliorer la gouvernance de l'internet en République démocratique du Congo ».

Etant acquis au principe de la liberté d’expression qui, sans doute, intègre de plus en plus la communication en ligne dans les pays comme le notre, j’ai accepté de venir partager avec vous quelques unes des réflexions que j’ai toujours muries et que j’offre à vos critiques et commentaires constructifs pour un débat réellement citoyen.

Ma modeste contribution ne s’éloignera pas du contexte purement congolais.

Ce contexte est caractérisé par une démocratie balbutiante.

Une démocratie qui consacre un régime parlementaire, de par sa Constitution, mais qui voit exercer le pouvoir d’état tantôt sous la forme d’un régime présidentiel, tantôt sous la forme d’un régime semi présidentiel, tantôt carrément sous la forme tricheuse de présidentialisme, dans une vue globale de dilution de la responsabilité des autorités devant le parlement ou simplement du peuple congolais.

Ma modeste contribution à ce débat n’occultera certainement pas la trop forte répression de la liberté de critique actuellement consacrée par la quasi monopolisation du domaine médiatique par le régime en place.

Elle n’occultera pas non plus l’incompétence et l’opacité avec lesquelles le même régime traite la question de l’accès du public à l’information, en ce compris l’information en ligne. C’st une totale remise en cause du droit du public à l’information.

J’en voudrais pour preuve l’absence d’un débat ouvert et sincère sur la fameuse fibre optique, dont nul ne connait ni le vrai coût, ni l’état d’avancement du point de vue de son l’installation, ni les capacités réelles à desservir, ni les conditions préalables d’accès pour la population, etc.

Je ne voudrais pas revenir sur ces manières cavalières d’interruption regrettable de toutes les communications en ligne au cours des périodes électorales et en janvier 2015, lors des manifestations populaires contre la modification de la loi électorale.

Je ne reviendrai pas non plus sur les coupures des signaux des médias nationaux et étrangers à des occasions diverses ; ni aux coupures pures et simples des signaux des médias identifiés comme proches de l’opposition politique depuis les élections plurales de 2006 jusqu’à ce jour.

Constatez donc que c’est dans ce contexte que les organisateurs de la présente journée m’ont demandé de vous livrer ma réflexion sur les possibles actions citoyennes et législatives à mener pour améliorer notre démocratie, pour favoriser une réelle participation citoyenne, pour impulser le développement intégral de la République démocratique du Congo.


II. QUELLES ACTIONS CITOYENNES ?

Par « actions citoyennes », j’entends toutes sortes d’actions et d’inactions ou des abstentions, organisées dans le cadre d’une revendication citoyenne ; c’est à dire une demande qui vise l’amélioration d’une situation particulière pour le plus grand bien de la communauté.

De ceci s’entend le fait que les actions citoyennes peuvent être de deux ordres, à savoir :
­       Des actions matérielles, à l’exemple d’une manifestation publique, d’une déclaration publique, d’une pétition adressée à une autorité publique, etc. ainsi que,
­       Des inactions ou des actions négatives ou des abstentions, à l’exemple d’une abstention au titre de revendication ; telles que les « journées ville morte », le boycott, etc.

Loin d’être réducteur, il me semble, qu’au regard du contexte spécifique de la République démocratique du Congo, les actions citoyennes qui doivent être conduites dans le cadre du sujet qui nous préoccupe en ce moment, doivent viser à améliorer le cadre juridique et institutionnel existant.

En République démocratique du Congo, nous avons, en effet, la chance d’être en présence d’une grande avancée textuelle et institutionnelle sur base de laquelle nous pouvons juste revendiquer des améliorations :

­       Plusieurs plateformes de la société civile ainsi que le cadre de concertation de la société civile sont en place.

­       L’Autorité nationale de régulation de la poste et des télécommunications (ARPTC) et l’Autorité de régulation des médias (CSAC) sont aussi en place.

­       L’instance corporative d’autorégulation de la profession journalistique est en place.

Ces atouts devraient déjà faciliter les actions citoyennes à mener dans le cadre de l’appui à la bonne gouvernance de l’internet, et tout particulièrement dans le cadre de l’amélioration de l’impact de la tarification de l'Internet sur l'accès à l'information, liberté d'expression et la liberté des médias en ligne.

Je voudrais attirer votre attention sur le fait que ces actions citoyennes à mener ne pourront produire du fruit que si elles sont tenues à travers des cadres réunissant un plus large consensus des organisations de la société civile.

Je pense ici à une exigence préalable de renforcement des plateformes existantes ou de la mise en place d’une initiative toute nouvelle adaptée au contexte et à même de constituer un interlocuteur crédible dans le cadre du dialogue avec les institutions qui disposent des compétences dans le domaine de la gouvernance de l’internet au regard de la loi.

Le plus souvent, les actions citoyennes conduites par des organisations de la société civile congolaise manquent de rayonnement et du retentissement notamment à cause de leur caractère quasi isolé et non concerté.

Ceci dit, l’autre condition ou l’autre préalable qui me semble urgent à réaliser, c’est le renforcement des capacités communicationnelles internes et externes au sein des organisations impliquées dans les actions citoyennes.

Il est évident qu’une communication de qualité renforce la visibilité des organisateurs et de leurs actions, elle renforce leur crédibilité et peut largement contribuer à l’atteinte de bons résultats.

Je voudrais soulever un point de discussion à propos du rôle de la corporation des professionnels des médias, parmi lesquels on trouve de plus en plus des bloggeurs, des chroniqueurs en lignes, etc. et qui doivent remplir toutes les conditions exigées pour exercer la profession de journaliste au sens de la loi congolaise et des principes de référence établis à travers le monde.

L’intérêt de cette question réside dans les nouvelles attributions qui devraient revenir à la corporation et à l’instance chargée de l’autorégulation professionnelle pour ce qui est des professionnels des médias en ligne.

Cet intérêt n’élude en aucun cas les interventions de l’ARPTC ni du CSAC qui ont un rôle évident à jouer dans ce domaine.

Là et ici aussi, le besoin du renforcement des capacités textuelles s’en faut, en même temps que le renforcement institutionnel des organes impliqués au mieux d’une profession toujours organisée, efficace, crédible, partenaire à la construction de la démocratie et au développement intégral du pays et au mieux du droit du public à l’information par internet.

Finalement, si nous, organisations de la société civile congolaise retrouvons les capacités techniques d’action et de communications efficaces, pouvons être à la base de la mise en place d’un cadre concerté impliquant nos propres organisations aux côtés des institutions compétentes.

Ce cadre aura essentiellement pour missions d’échanger des informations pertinentes sur la question de la gouvernance de l’internet en République démocratique du Congo, d’évaluer les avancées et les reculs afin de proposer des améliorations et des réajustements dans un cadre tout à fait transparent et républicain.

Je plaide donc ici en faveur de la mise en place de ce cadre concerté qui doit être exigé par les organisations de la société civile et celles des médias aux fins d’une meilleure gouvernance de l’internet en République démocratique du Congo.

C’est donc la seule action citoyenne qui me semble urgente à ce jour et qui peut produire des effets durables et largement bénéfiques pour tous les congolais et pour tous les autres citoyens qui vivent en République démocratique du Congo.

Les autres actions ultérieures pourront consister au suivi de sa mise en place, de son opérationnalisation et de son renforcement régulier.

III. QUELLES ACTIONS D’ORDRE LEGISLATIF ?

A priori, les actions législatives ne peuvent être que du ressort du parlement et du gouvernement.

Cependant rien n’empêche les organisations de la société civile et des médias à pouvoir être à la base d’initiatives de réformes des textes.

J’en voudrais pour preuve le projet de loi sur la liberté de presse, actuellement en discussion à l’assemblée nationale ainsi que la loi d’accès à l’information déjà votée par les deux chambres du parlement et qui attend d’être promulguée par le Chef de l’Etat.

Les deux initiatives viennent de nos organisations de la société civile.

Les seules actions qui restent à faire pour leur aboutissement consisteront en :
­       des plaidoyers,
­       en des lobbyings,
­       en des pétitions,
­       en des rencontres directes avec l’autorité législative,
­       en des rencontres avec d’autres partenaires impliquées pour évaluer les parcours et améliorer les stratégies.

En dehors du suivi de ces initiatives existantes, il me semble, comme je l’ai dit plus haut qu’il est aussi important de rechercher l’amélioration du cadre juridique et institutionnel existant.

Je vois dans ce cadre la possibilité pour nos organisations respectives d’être à la base de nouvelles lois visant à renforcer la régulation des médias, notamment les médias en ligne et l’internet ; question à ce jour, théoriquement logée dans la Loi organique du « Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication » (CSAC) et pour laquelle il devient urgent de faire ressortir les aspects techniques afin d’encadrer, de manière concrète l’action du régulateur des médias dans le domaine de l’internet.

Il n’est pas non plus interdit aux organisations de la société civile d’être à la base des directives de régulation pouvant compléter les lacunes et les vides juridiques de la loi pour ce qui est de la régulation des médias en ligne ou plus généralement de la gouvernance de l’internet.

Une fois encore, un cadre concerté entre l’ARPTC qui est l’autorité établie pour la régulation de ce domaine, le CSAC dans les attributions de qui la régulation des médias en ligne loge ainsi que les organisations de la société civile s’en faut.

C’est sur ce vœu que je souhaite m’arrêter et me soumettre à vos critiques, commentaires et autres questions pouvant nous permettre tous de nous approprier cette importante question de la gouvernance de l’internet qui conditionnera très largement la qualité de notre vie de demain, si il ne le fait déjà pas depuis de longues années.


Madame/Monsieur, Je vous remercie !
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L'auteur défend les libertés dans un pays en voie de devenir un Etat, une République et une Démocratie...